Hauteur sous plafonds

L'actualité du monde dentaire est particulièrement chaude et chargée ces derniers temps. Et, au milieu des grandes manœuvres d'annonces médiatico-gouvernementales concernant une baisse historique des prix des prothèses dentaires, voilà que nous sont distillées quelques informations professionnelles, pouvant sembler peu pertinentes, mais qui nous éclairent sur la manière dont la « gouvernance » de la médecine dentaire s'organise.

La Haute Autorité de santé (HAS) a en effet fait connaître les conclusions récentes de deux de ses groupes de travail concernant notre discipline. Dans un rapport daté du 7 mars 2019, la HAS conclut à l'utilité des couronnes transitoires en prothèse conjointe. On apprend également que cette conclusion tonitruante émane d'une demande de l'Assurance maladie qui cherchait à savoir si la prise en charge de la prothèse transitoire était justifiée. Ainsi, après la signature de la nouvelle Convention dentaire, la prothèse transitoire fait donc son apparition dans la CCAM, au tarif conventionnel de 10 € (sic).

Autre fruit savoureux du travail de la HAS : un rapport de décembre 2018 nous informe très doctement de l'intérêt du surfaçage-curetage radiculaire (SCR) dans le traitement des maladies parodontales. On ne peut qu'applaudir des deux mains devant tant de perspicacité. Mais on comprend une fois encore que ces conclusions émanent de l'Assurance maladie qui semble se décider enfin à rattraper près de 40 ans d'absence de prise en charge des traitements parodontaux. Attendons-nous donc à des tarifs conventionnels et autres plafonds mirobolants...

Les chirurgiens-dentistes français sont-ils à ce point ignorants des évolutions de leur métier qu'il faille leur en rappeler les bases fondamentales ?

Les généreux et dociles contribuables que nous sommes apprécieront sûrement de voir avec quelle puissance la HAS est capable d'enfoncer des portes ouvertes et avec quelle détermination ses brillants contributeurs sont capables de ré-inventer la roue puisque les preuves scientifiques de l'utilité, de l'intérêt et de l'efficacité du SCR dans le traitement de maladies parodontales ainsi que celui de la prothèse transitoire en prothèse conjointe se mesurent en centaines d'articles scientifiques publiés de par le monde depuis les années 1960. C'est d'ailleurs même ce qui est enseigné, me semble-t-il, dans toutes les UFR d'odontologie en France, depuis pas mal d'années déjà.

La vitesse de réaction et l'inertie des pouvoirs publics face aux évolutions du monde et, en ce qui nous concerne, de la science, laissent également perplexe. À titre d'exemple, il s'est écoulé 5 ans entre les premières demandes d'inscription des bridges collés en cantilever à la CCAM et le rapport du groupe de travail de la HAS sur le sujet.

Les scientifiques et les professionnels de santé de tous bords, désormais écartés de l'équation sanitaire en France et peu à peu dépouillés de leur libre arbitre, n'auront pas d'autre choix que d'accepter de se soumettre à toute la hauteur de cette Autorité, de celle de l'Assurance maladie, de celle de l'État et de leurs ardents désirs de centralisation, d'égalisation et, in fine, de plafonnement des pratiques médicales.