Couleur
Romain CEINOS* Marie-France BERTRAND**
*MCU-PH
**UFR d'Odontologie de Nice
***Réhabilitation Orale, Université Côte d'Azur
****UMR 7268,
*****Anthropologie bio-culturelle, Droit, Éthique et Santé (ADES),
******Aix-Marseille Université
*******PU-PH
********UFR d'Odontologie de Nice
*********Réhabilitation Orale, Université Côte d'Azur
**********Laboratoire Microbiologie Orale,
***********Immunothérapie et Santé (MICORALIS),
************Université Côte d'Azur, Pôle St Jean d'Angély, Nice
Il est indispensable pour le praticien de comprendre les mécanismes régissant la couleur dentaire et l'origine de son éventuelle perturbation pour pouvoir au mieux la corriger et, si besoin, la magnifier pour des raisons esthétiques.
La couleur dentaire est complexe en raison de la nature stratifiée de l'organe dentaire. La polychromie de la dent est la résultante de la composition de ses tissus hétérogènes et de leur épaisseur (
Il est indispensable pour le praticien de comprendre les mécanismes régissant la couleur dentaire et l'origine de son éventuelle perturbation pour pouvoir au mieux la corriger et, si besoin, la magnifier pour des raisons esthétiques.
La couleur dentaire est complexe en raison de la nature stratifiée de l'organe dentaire. La polychromie de la dent est la résultante de la composition de ses tissus hétérogènes et de leur épaisseur (fig. 1). La couronne, la racine et le parodonte environnant forment une unité optique dont l'équilibre visuel est délicat. La moindre modification de cet équilibre viendra perturber la couleur originelle de la dent [1].
L'émail et la dentine sont anisotropes, leurs propriétés optiques dépendent de la direction de propagation de la lumière. L'aspect visuel d'une dent va principalement être régi par deux phénomènes : l'absorption et la diffusion lumineuse [2]
L'émail et la dentine vont collecter la lumière incidente et la distribuer au sein et à travers la dent. Cette entité biphasée de surface amélaire semi-translucide couplée au tissu dentinaire repose sur des mécanismes complexes dont le résultat optique dépendra de nombreux facteurs (longueur d'onde de la source lumineuse, protéines en présence, biofilm en surface coronaire, taux hydrique contenu au sein des tissus durs...). On peut cependant résumer les grandes lignes du mécanisme d'interaction de la lumière avec la dent par les points suivants (fig. 2) :
• la lumière incidente est partiellement réfléchie par la surface de l'émail (réflexion spéculaire) ;
• en profondeur de l'émail, le phénomène d'absorption se poursuit et une partie du flux lumineux est réfléchie de manière diffuse jusqu'au tissu dentinaire ;
• au sein de la dentine, la grande majorité de la lumière viendra être absorbée (une faible quantité est encore dispersée), le coefficient d'absorption dentinaire étant nettement supérieur à celui de l'émail (en raison de la présence des protéines et des fibres collagéniques).
Les propriétés optiques précédemment citées ont pour résultante directe un certain nombre de dimensions colorimétriques propres à la dent naturelle [3].
Le corps dentinaire va transformer la lumière reçue en radiations visibles de plus grandes longueurs d'onde. Les dents, une fois illuminées par une lumière UV, vont ainsi être naturellement fluorescentes.
L'émail d'une dent jeune est moins translucide et plus lumineux, donnant à sa couleur un aspect blanc laiteux. A contrario, l'émail d'une dent âgée est plus minéralisé et devient plus translucide pour une luminosité réduite.
Les différents indices de réfraction des composants organiques/inorganiques de l'émail ainsi que la capacité du cristal d'hydroxy-apatite à disperser la lumière incidente vont aboutir à un effet singulier, l'opalescence. Les grandes longueurs d'onde sont transmises à travers le tissu dentaire tandis que les longueurs d'onde courtes sont réfléchies, produisant une lueur bleuâtre (fig. 3).
Une dent lisse sera peu réfléchissante, ce qui lui confère un aspect terne, tandis qu'une dent au relief prononcé réfléchira la lumière dans de nombreuses directions (effet de réflexion diffuse). Une micro-géographie hautement texturée a donc pour effet d'augmenter la sensation de luminosité d'une dent (fig. 4).
Les diverses singularités venant marquer les dents (taches blanches, fêlure mordorée...) peuvent trouver des origines différentes. Le degré de luminosité et d'opacité des taches blanches vont dépendre de l'étendue de l'hypominéralisation au sein de l'émail [4].
La micro-fissure amélaire signe une ouverture étroite et linéaire au sein de l'émail (la JAD prévient sa propagation au sein des tissus dentinaires) dont la visibilité est permise par le passage fugace d'un indice de réfraction à un autre (tel le carreau d'une vitre fêlée). Au même titre que toutes les micro-porosités de surface, les micro-fissures peuvent être envahies par des chromatophores provenant, entre autres, des tanins alimentaires (fig. 5).
Il est important de différencier l'évolution physiologique de la couleur dentaire soumise à l'épreuve du temps des dyschromies vraies acquises ou congénitales.
Lorsque les dents vieillissent, la couleur est naturellement amenée à se modifier. D'une part, les colorants contenus dans l'alimentation se diffusent au sein de l'émail perméable. D'autre part, l'épaisseur amélaire va s'amenuiser par les phénomènes d'usure, sa maturation va diminuer sa luminosité et augmenter sa translucidité, ce qui entraîne une réflexion de la lumière plus importante par la dentine plus colorée [5]. L'épaisseur dentinaire s'élargit par l'apposition continue de tissu ayant pour effet de diminuer la chambre pulpaire.
Les dyschromies pré-éruptives sont de deux ordres :
• congénitales (amélogenèse/dentinogenèse imparfaite, dysplasie associée à un désordre systémique) ;
• acquises (médicamenteuses telles les dyschromies aux tétracyclines et les fluoroses) et poly-factorielles (l'étiologie des MIH reste à ce jour inconnue mais pourrait potentiellement associer des facteurs prédisposants génétiques et environnementaux).
Les dyschromies les plus rencontrées par le chirurgien-dentiste sont post-éruptives :
• superficielles extrinsèques, avec une vaste gamme de discolorations causées par des agents externes. Les plus rencontrées sont sans nulle doute celles dues au tabac et à la consommation excessive de café/thé mais on peut retrouver de nombreuses autres étiologies plus ou moins rares (bactéries/champignons chromogènes, bains de bouche, colorations métalliques...) ;
• intrinsèques : nécrose post-traumatique avec ou sans conservation de la vitalité pulpaire, atteintes carieuses.
Une origine des discolorations dentaires majeures est bien trop souvent écartée du « catalogue étiologique » : l'intervention du chirurgien-dentiste lui-même ! L'utilisation de biomatériaux de restauration à l'amalgame aura bien entendu un impact sur la couleur dentaire par corrosion de celui-ci mais d'autres gestes thérapeutiques peuvent aboutir à des discolorations plus subtiles : les reconstitutions corono-radiculaires et l'envahissement du cœur de la dent dans sa partie coronaire par les produits d'obturations canalaires (ciment, gutta-percha) sont responsables d'une opacification de la dent. Dans ces cas de figure, la transmission de la lumière incidente se trouve absorbée au centre de la dent, ce qui empêche sa correcte diffusion.
La stratégie thérapeutique de correction de la couleur perturbée repose systématiquement sur le même algorithme :
• diagnostiquer la ou les étiologies responsables de la discoloration ;
• éliminer in situ les sources locales de perturbation du flux lumineux (élimination/polissage des colorations superficielles extrinsèques, exérèse des tissus carieux, dépose des matériaux endodontiques débordants et/ou des restaurations) ;
• traiter la discoloration avec la modalité adéquate au diagnostic initial (méthodes d'éclaircissement pour dents vitales ou non vitales, micro-abrasion, érosion-infiltration) ;
• harmoniser si besoin la couleur à l'aide de techniques restauratrices directes ou indirectes.
La situation initiale met en avant ici classiquement plusieurs origines à la perturbation de la couleur dentaire. La 11 est traitée endodontiquement avec un envahissement massif de la cavité d'accès par un mélange de gutta-percha et de ciment. La restauration proximale est infiltrée avec la présence d'une carie secondaire (fig. 6). Dans l'émail carieux, les différences d'indices de réfraction des structures présentes s'accroissent. Par conséquent, l'exérèse des substrats cariés va améliorer le rendu visuel final mais il est indispensable de supprimer de pair la totalité des biomatériaux contenus au sein de la chambre coronaire (fig. 7). Des restaurations en résine composite monochromatique sont réalisées pour palier temporairement la perte de substance. Une fois le toilettage de la cavité effectué, un bouchon étanche résineux est positionné à fleur du traitement canalaire. L'éclaircissement débute par une méthode ambulatoire inside/outside au peroxyde de carbamide 10 % via une gouttière mono-réservoir. Les modifications colorimétriques sont monitorées dans le temps (fig. 8). Une fois le match colorimérique 11/21 obtenu, la patiente évoque le souhait d'éclaircir la totalité de son sourire. L'éclaircissement se poursuit une semaine à l'aide du même produit sur une gouttière jusqu'à l'enjolivement global de la couleur dentaire. Le traitement est finalisé par la restauration des pertes de substances de manière analogue aux tissus dentaires après un délai observé d'une semaine post-éclaircissement [6, 7]. Actuellement, des systèmes de résines composites parfaitement adaptés à la structure de la dent en termes de propriétés optiques sont à la disposition du praticien : la capacité d'un composite à réfléchir, absorber et diffuser la lumière de manière identique à la dent naturelle permet de réaliser une adaptation parfaite à la structure de la dent environnante [8] à la condition d'observer un certain nombre de règles :
• la stratification des incréments de composite doit respecter la disposition histologique des tissus naturels [9] ;
• l'accent est mis sur le choix de la masse émail pour imiter la luminosité et sur la ou les masses dentines pour imiter son ou leur degré de saturation [10] ;
• la préparation des lignes cavitaires doit permettre une transition visuelle adéquate entre la restauration et la dent [11] (fig. 9) ;
• les finitions, outre le polissage/brillantage, restitueront minutieusement la micro-géographie pour une intégration complète de la restauration.
L'éclaircissement dentaire a pour finalité une diminution de la saturation dentinaire ainsi qu'une opacification amélaire avec une réduction de la transmission de la lumière jaune par l'émail. La sélection des incréments de résine à utiliser par la méthode du bouton aura donc, post-éclaircissement, une nette tendance à orienter le praticien vers une masse amélaire lumineuse (en particulier en présence d'émail en grande épaisseur) et une masse dentinaire faiblement pigmentée (fig. 10).
La restauration transitoire est déposée, la ligne cavitaire vestibulaire est préparée en biseau court arrondi. L'objectif de cette préparation est d'obtenir in fine un camouflage complet de la restauration stratifiée sans limite visible (fig. 11 et 12).
La dyschromie est un problème esthétique courant en dentisterie. De nombreuses origines de discolorations sont connues et leurs modalités de traitement peuvent différer mais la connaissance des propriétés optiques régissant les tissus dentaires reste un préalable incontournable pour le chirurgien-dentiste. Le praticien, dans sa quête de reproduction du modèle naturel, doit être en mesure de comprendre les paramètres en présence régissant l'aspect colorimétrique des substrats amélo-dentinaires et adopter les gestes en accord avec la restitution du passage lumineux optimal au sein des tissus dentaires [12].
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.