Forcée d'arrêter d'exercer à cause d'un accident à l'épaule, Anne-Sophie Calloc'h Sturm se lance, un peu par hasard, dans une aventure industrielle. Cette praticienne de Courchevel commercialise depuis quelques jours « Rodol'f », un kit d'ustensiles de cuisine spécialement conçu pour les micro-cuisines(). C'est une médaille d'or reçue au Concours Lépine de 2017 qui l'a incitée à aller au bout de cette idée née dans un mobile-home...
Le cabinet de Anne-Sophie Calloc'h Sturm à Courchevel tourne à plein régime, jusqu'à 7 j/7 pendant la saison d'hiver, lorsque, en 2015, l'épaule de la praticienne ne répond plus. Il faut opérer. Une, puis deux opérations, puis... Au fil des mois, la perspective de reprendre son métier s'éloigne. Cette période ne la laisse cependant pas inactive. Peu après la première opération, la praticienne en arrêt maladie s'installe 5 mois dans un mobile-home pour suivre son mari restaurateur. Afin de ruser avec l'exiguïté des lieux, elle se met en quête d'un kit rassemblant tous les ustensiles incontournables dans une cuisine. Les accrocher en hauteur éviterait d'encombrer l'unique tiroir et le mini plan de travail. À sa surprise, cet objet est introuvable sur le marché.
Anne-Sophie Calloc'h Sturm se met alors à dessiner – de la main gauche – l'objet rêvé. « Pour rigoler », dit-elle, et aussi pour tromper l'ennui. Car la période de convalescence se prolonge. Mais aussi parce que penser le côté pratique des objets et d'une installation est devenu une seconde nature pour cette praticienne qui a conçu le cabinet dentaire dans lequel elle a exercé 20 ans. Passionnée « depuis toujours » par le design et la déco, elle s'est attachée à développer le côté « pratique » et « efficace » de cet espace de 55 m2. « L'idée de Rodol'f ? C'est une déformation de mon métier », affirme-t-elle avec humour.
Entre patients du centre de rééducation, les échanges vont bon train sur le sujet. Des idées sont lancées à la cantonade, comme le fait de créer une société sous le nom de « e-Paul ». Elle ne les prend pas au sérieux. « Cela permettait juste de s'évader un peu » quand la douleur ne permettait pas de marcher. D'ailleurs, « Rodol'f n'aurait jamais vu le jour si j'étais retourné au cabinet », affirme Anne-Sophie Calloc'h Sturm. Mais, après une deuxième opération, le chirurgien interdit d'exercer pendant au moins 2 ans !
L'idée de participer au concours Lépine fait alors son chemin. Anne-Sophie Calloc'h Sturm se présente, un peu sur un coup de tête et « sans aucun stress car je ne savais pas très bien ce que c'était », se souvient-elle. Elle obtient une médaille d'or avec mention spéciale du BHV Marais. Et le magasin propose de mettre l'objet en vente quand il sera produit. Cette reconnaissance est un signe de l'intérêt de Rodol'f. L'inventrice, encouragée à poursuivre, se met à étudier de plus près son projet et ne compte plus ses heures... Elle n'imagine pas alors l'importance du travail à fournir pour développer son invention. « C'est vraiment un métier. Je ne connaissais rien. J'ai dû tout apprendre. J'étais inconsciente. C'est énormément de boulot, de stress et d'argent en jeu ! Le jour où j'ai emprunté les premiers 100 000 €, j'ai compris que la phase rigolote pendant laquelle mon ego était flatté était terminée. J'étais dans le dur. Et je ne pouvais plus faire marche arrière » se remémore l'inventrice. Une idée lancée par jeu est devenue un business.
Anne-Sophie Calloc'h Sturm plonge dans un nouvel univers, celui de l'industrie, de la logistique, du packaging... « Cela ne se voit pas mais tout est ``archi'' technique » remarque-t-elle ! Son métier l'avait un peu préparée à certaines difficultés comme l'étape de la conception des moules. « Comme chez le dentiste, pour pouvoir démouler, il y a des contraintes de forme qui ne permettent pas toujours de conserver ce qui a été dessiné ».
À quelques semaines du lancement de la commercialisation, l'agenda du chef d'entreprise donne une idée de la diversité de son activité pour faire aboutir la conception de cet objet 100 % made in France : vérifier les derniers réglages dans l'usine d'injection à Oyonnax, trouver une solution pour éclaircir le prototype du verre doseur, effectuer des test spécifiques pour ustensiles alimentaires dans un laboratoire lyonnais, s'assurer de l'absence de bisphénol A car les certificats officiels ne suffisent pas...
Et puis, il a fallu une marque. Ses propres lunettes s'imposent comme logo. « C'est un peu comme Rodol'f, un objet qui vous suit partout. J'ai gravé des lunettes sur la passoire. » Une marque qui permettra aussi de distinguer son objet d'éventuelles copies. Car, même si un brevet a été déposé, l'inventrice sait qu'elle n'est pas à l'abri de cette pratique.
Sur un plan financier, il a fallu 100 000 € pour produire les moules, puis 100 000 € pour lancer la fabrication de 5000 exemplaires de Rodol'f...
Pour passer au stade de la commercialisation de Rodol'f, Anne-Sophie Calloc'h Sturm a recruté un stagiaire en contrat pro avec lequel elle s'occupe de la partie « nomade » qui vise les camping-cars, les 4/4, les bateaux... « Ces voyageurs ont tous une problématique d'espace ; ils comprennent tout de suite l'intérêt de cet outil que l'on peut fixer partout ». La vente dans les magasins de déco et à destination du grand public est confiée à un commercial.
Parallèlement au lancement de Rodol'f, la praticienne doit tirer un trait sur sa vie professionnelle de chirurgien-dentiste. Après 4 opérations à l'épaule, ne pouvant plus lever le bras, elle a été mise en invalidité et doit vendre son cabinet. Mais les pistes de reprise se sont évanouies petit à petit. Il faut fermer et licencier deux assistantes. C'est « un sujet très difficile », reconnaît-elle avec émotion. Un vrai déchirement pour cette praticienne qui avait su créer une équipe très soudée.
Elle ne regrette cependant pas sa nouvelle activité. « J'ai rencontré des gens très différents. C'est passionnant. Intellectuellement, je me suis régalée », raconte-t-elle au seuil d'une nouvelle étape, celle de la confrontation avec les consommateurs.
(1) www.rodolflerouleau.com
Mai 2015 : l'idée.
Janvier 2017 : dépôt du premier brevet.
Mai 2017 : médaille d'or au concours Lépine.
Juin 2019 : lancement de la commercialisation.