Clinic n° 05 du 01/05/2019

 

Biomatériaux

Andreas REIGER  

Exercice libéral, TalheimAllemagne

« Tout dans la vie consiste à résoudre des problèmes », disait le philosophe des sciences autrichien Karl Popper. La nature met à disposition de nombreux brevets qui ont fait leurs preuves dans la lutte pour la survie. Dans le domaine de la bionique (mot formé en combinant biologie et technique), les chercheurs essayent de comprendre les plans de construction optimisée par l'évolution et de les convertir en innovations techniques. Les solutions matérielles bioniques qui...


« Tout dans la vie consiste à résoudre des problèmes », disait le philosophe des sciences autrichien Karl Popper. La nature met à disposition de nombreux brevets qui ont fait leurs preuves dans la lutte pour la survie. Dans le domaine de la bionique (mot formé en combinant biologie et technique), les chercheurs essayent de comprendre les plans de construction optimisée par l'évolution et de les convertir en innovations techniques. Les solutions matérielles bioniques qui imitent la fonctionnalité de la substance dentaire naturelle représentent une approche prometteuse pour des restaurations stables sur le long terme. Les effets chromatiques et le degré de translucidité doivent aussi être imités afin de pouvoir offrir une réhabilitation esthétique.

Comprendre la biologie

Si l'on observe la couronne dentaire du point de vue d'un expert en matériaux, celle-ci est composée de deux matériaux très différents. On trouve à l'extérieur la substance la plus dure du corps, l'émail dentaire cristallin et essentiellement inorganique, ayant une résistance à la flexion de 80 à 100 MPa et un module de flexion de 70 GPa. L'émail robuste protège la dent de la destruction mécanique causée par les contraintes de mastication. Dessous se trouve la dentine, plus molle et plus organique, avec une résistance à la flexion inférieure, de 20 à 40 MPa, et un module de flexion inférieur, de 15 GPa [1], qui permet à la couronne dentaire de compenser les forces masticatoires grâce à une déformation élastique [2]. La couronne dentaire est aussi un hybride réussi de propriétés matérielles très variées, qui ont fait leurs preuves au fil de l'évolution.

Dureté versus souplesse

Les propriétés naturelles de la substance dentaire ont été pendant longtemps négligées dans le développement des matériaux. Les restaurations monolithiques en dioxyde de zirconium, avec une résistance à la flexion allant jusqu'à 1 200 MPa [3] et un module de flexion élevé de 257 GPa, sont de plus en plus appréciées des praticiens. De telles restaurations peuvent être produites de façon rapide et économique. Elles sont robustes et permettent un scellement conventionnel. On peut toutefois supposer que ces restaurations, en raison de leurs propriétés, ne sont pas harmonisées avec les structures anatomiques et la physiologie du système stomatognathique. Les études cliniques montrent qu'une grande résistance à la flexion ne signifie pas nécessairement une grande stabilité sur le long terme. Les réhabilitations avec un module de flexion similaire à celui de la substance dentaire sur des implants ostéointégrés montrent ainsi des taux de survie plus élevés que les matériaux plus résistants à la flexion avec un module de flexion plus élevé [4]. La possibilité d'absorber les forces masticatoires pourrait se révéler être un avantage évolutionnaire. La possibilité de coller de façon entièrement adhésive les restaurations réduit encore la pertinence d'une plus faible résistance à la flexion [5].

Recette de réussite du piquant d'oursin (fig. 1)

Les piquants d'oursin sont extrêmement solides et ont fait leurs preuves depuis 500 millions d'années. Ils peuvent supporter des forces élevées et permettent même à l'oursin de percer la roche dure. Les piquants sont fondamentalement composés de cristaux de calcite cassants. Pour éviter que ne se brise le réseau cristallin et pour augmenter la résistance à la rupture, le piquant est sillonné à l'intérieur de protéines gélatineuses. Les cavités d'une matrice principalement inorganique renferment donc un matériel organique [6]. Aux essais de rupture, la première fissure apparaît sur un piquant d'aiguille à plus de 2 000 N [7]. Le réseau double, composé d'un réseau cristallin résistant à la pression et d'une matrice organique résistante à la traction, est donc en mesure de résister à des forces élevées sans être endommagé, ce qu'ont pu constater avec douleur certains touristes imprudents en bord de mer. Ce principe éprouvé est appliqué avec succès par l'homme dans le bâtiment depuis des siècles avec le béton armé. L'acier est résistant à la traction, et le béton à la pression, ce qui, réunis ensemble, garantit encore jusqu'à aujourd'hui la stabilité souhaitée aux tours de télévision, aux ponts et aux immeubles [8].

Céramique hybride biomimétique

Le principe fondamental du piquant d'oursin a été appliqué dans le développement de la céramique hybride VITA ENAMIC®. Un bloc de céramique feldspathique anorganique préfrittée poreuse (86 % du poids) est infiltré sous pression et sous l'action de la chaleur avec un polymère organique (14 %), ce qui crée un réseau double imbriqué [9]. La céramique feldspathique est résistante à la pression, et le polymère à la traction. La combinaison hybride de matériaux a été développée de façon si équilibrée que la céramique hybride possède les « caractéristiques matérielles » de la substance dentaire naturelle. Le module de flexion de VITA ENAMIC®, de 30 GPa, se situe entre celui de l'émail dentaire et celui de la dentine et non, comme tous les autres matériaux hybrides CFAO, au niveau de la dentine ou moins [10, 13]. Une flexibilité matérielle trop élevée peut entraîner une déformation du matériau sous l'effet des forces masticatoires et, par la suite, un descellement. En raison de la dominance du feldspath, l'abrasion correspond à celle de l'émail dentaire naturel, ce qui assure une intégration fonctionnelle durable des restaurations en céramique hybride [11, 12]. Le réseau double permet en outre une couche plus mince et des marges plus précises que celles des matériaux CFAO en céramo-céramique [13]. Grâce à la stabilisation résistante à la traction avec le réseau polymère, la résistance à la flexion est supérieure à celle de l'émail et de la dentine, à 160 MPa [14]. Les microfissures dans la céramique sont par ailleurs arrêtées aux interfaces avec le polymère et ne se poursuivent pas avec les années d'utilisation clinique [15].

Tout le reste n'est que résine composite

Tous les autres matériaux CFAO, appelés de façon erronée et trompeuse « céramique hybride », « céramique composite » ou « nanocéramique », sont en fait des résines composites à haute densité [16]. Des charges anorganiques broyées sont ici incorporées à une matrice polymère organique. Ces matériaux composites ne permettent pas de réaliser de surfaces mordancées rétentives à l'acide fluorhydrique. Parfois, on utilise comme charge de remplissage du dioxyde de zirconium, qui ne peut pas du tout être mordancé. Le conditionnement doit donc être effectué par sablage [17]. Il faut donc s'assurer, lors de l'utilisation, de bien atteindre toutes les zones. Si le sablage est trop fort, cela risque d'endommager la structure ou les bords fins. Du fait de sa proportion dominante en céramique feldspathique (75 % du volume), la céramique hybride peut être mordancée et silanisée de façon similaire à la céramique feldspathique et vitreuse, et elle atteint des valeurs d'adhérence comparables lors du scellement adhésif [18]. Cette procédure sûre a fait ses preuves, est simple et applicable partout, sans investissement technique. La stabilité chromatique, supérieure à celle des blocs de résine composite, résulte de la dominance de la proportion de céramique colorée [19]. Les 2 cas cliniques suivants ont été résolus avec les variantes de VITA ENAMIC® super-translucide et multichromatique en cabinet et sans cuisson.

Un peu de nature au cabinet et au laboratoire

Du fait de ses propriétés biomimétiques et de sa possibilité de collage entièrement adhésif fiable, la céramique hybride VITA ENAMIC® forme une unité harmonieuse et fonctionnelle avec la substance dentaire résiduelle. Le matériau peut être intégré de façon efficace au flux de travail numérique. Les longues cuissons de cristallisation, de frittage, de régénération et d'individualisation ne sont plus nécessaires, et les restaurations complexes sont aussi réalisables en une séance. Le dégradé intégré de couleur, de translucidité, et l'effet caméléon marqué des deux différentes variantes du matériau simulent, selon le domaine d'indication, les effets et l'effet chromatique de la substance dentaire naturelle, ce qui permet des restaurations unitaires fonctionnelles et esthétiques, conformes à la nature.

Première publication Dentalzeitung 1/2019, Oemus Media AG, Allemagne.

Bibliographie

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1 Le piquant d'oursin renferme un brevet éprouvé de la nature, qui a été appliqué dans le développement de la céramique hybride VITA ENAMIC®. © Nick Hobgood

CAS CLINIQUE 1 (fig. 2 à 11)

Avec la variante multichromatique VITA ENAMIC multiColor®

Une jeune patiente n'était pas satisfaite de l'esthétique de ses incisives restaurées au moyen de facettes en céramique vitreuse. Les facettes avaient l'air mat et sans vie. Le tracé du bord incisif n'était pas en harmonie avec le tracé labial, et était asymétrique. Les axes des dents étaient irréguliers et ainsi agencés de façon instable. Cela donnait aux facettes un aspect informe et artificiel. La nouvelle restauration a été effectuée en céramique hybride multichromatique VITA ENAMIC multiColor® avec dégradé de couleur et de translucidité intégré, en 6 couches finement nuancées. Les épaisseurs de couche minimum réduites jusqu'à 0,2 mm permettent d'effectuer une restauration minimalement invasive, ainsi que d'appliquer systématiquement un ensemble de règles esthétiques. La CFAO, la préparation, le polissage et l'insertion adhésive ont été réalisés sans cuisson dans un délai de 5 heures. Les facettes soutenues par la substance dentaire expriment pleinement leur potentiel esthétique et minimalement invasif avec de minces épaisseurs de couche.

2 Les facettes en céramique vitreuse sur les incisives supérieures avaient un aspect inerte. 3 Les caractéristiques d'angle n'avaient pas été réalisées selon les règles esthétiques dans les restaurations. 4 Du côté vestibulaire, le tracé du bord incisif était irrégulier et en dysharmonie avec la lèvre inférieure. 5 La préparation a pu être effectuée de façon minimalement invasive grâce à la mince épaisseur de couche de la céramique hybride. 6 Lors de la construction des facettes dans le logiciel CEREC, l'orientation a été obtenue grâce à un wax-up numérisé. 7 Construction virtuelle des quatre facettes du point de vue vestibulaire. 8 Lors du positionnement des facettes dans le bloc multichromatique, le dégradé de couleur et de translucidité a pu être contrôlé. 9 Le tracé du bord incisif et les caractéristiques d'angle ont pu être optimisés grâce à la mince épaisseur de couche. 10 Du côté vestibulaire, l'arcade dentaire avait une apparence aussi nivelée. 11 La morphologie et la texture de surface des facettes en céramique hybride ont un effet absolument naturel.

CAS CLINIQUE 2 (fig. 12 à 23)

Avec VITA ENAMIC ST® super-translucide

Une obturation (MOD) provisoire en ciment au verre ionomère devait être remplacée par une solution définitive chez une patiente de 36 ans. En raison de la cavité de classe II, s'étirant en direction vestibulo-orale, et du box distal fortement étendu et sous-gingival, le défaut a été corrigé avec la céramique hybride super-translucide VITA ENAMIC ST® afin de stabiliser la dent de façon durable et de créer une surface de contact proximale optimale. Après le flux de travail numérique, l'inlay a été préparé avec une fine pierre et un polissoir en caoutchouc. La surface occlusale a été ensuite conditionnée au gel d'acide fluorhydrique et de silane, afin de caractériser en brun les fissures avec VITA ENAMIC STAINS®. Après durcissement à la lampe de polymérisation, la surface occlusale a été scellée avec VITA ENAMIC GLAZE® et photopolymérisée. Après la réalisation par CFAO sans cuisson ultérieure, et l'insertion en une séance, la restauration super-translucide affichait un effet caméléon net et se fondait visuellement dans la substance dentaire naturelle.

12 L'obturation provisoire en ciment de la 36 a été successivement éliminée afin de réparer le défaut au moyen d'un inlay en céramique hybride. 13 Le défaut dans le box distal s'étendait largement dans la zone sous-gingivale, et le tissu gingival a été incisé pour le scannage. 14 Cavité après arrêt du saignement et poste de fil, immédiatement avant le scannage. 15 Le flux de travail numérique a été lancé avec l'Omnicam® (Dentsply Sirona). 16 Cavité virtuelle avec limite de préparation fixée. 17 Inlay construit en VITA ENAMIC ST® super-translucide. 18 Inlay construit positionné virtuellement dans le bloc pour la fabrication assistée par ordinateur. 19 Après meulage et préparation, la surface occlusale de l'inlay a été mordancée à l'acide fluorhydrique. 20 Après élimination complète de l'acide fluorhydrique et séchage, a suivi la silanisation. 21 Les fissures ont été caractérisées en brun avec VITA ENAMIC STAINS®, puis scellées avec VITA ENAMIC GLAZE®. 22 Photopolymérisation finale des colorants et du glaçage avec la lampe à photopolymériser. 23 L'inlay super-translucide en céramique hybride affiche un excellent effet caméléon.