Clinic n° 05 du 01/05/2019

 

Juridique

Audrey UZEL  

Avocat au barreau de Paris

Dans une décision du 13 avril 2018 (no 391895), le Conseil d'État a rappelé que la sanction d'interdiction d'exercice prononcée par un Ordre professionnel dans le cadre d'une procédure disciplinaire suppose que le praticien concerné ne se fasse pas remplacer pendant la période de suspension.

Les faits

Ayant fait l'objet d'un contrôle de sa facturation par l'assurance maladie, M. C. a fait l'objet d'une plainte devant la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Dans ce cas, le praticien encourt, outre le remboursement à l'assurance maladie des sommes indûment facturées, une sanction disciplinaire. C'est ainsi que, par une décision du 30 mai 2013, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé à M. C. la sanction d'interdiction du droit de donner des soins aux assurés sociaux pendant une durée de 8 mois, dont 4 mois avec sursis. M. C. n'a pas fait appel de cette décision et la sanction devait donc être exécutée. Or, pendant l'exécution de sa sanction, M. C. s'est fait remplacer par M. B. Le conseil départemental de l'Ordre a donc porté plainte contre M. C. et ce dernier a été condamné à une sanction d'interdiction d'exercer sa profession pendant 1 mois pour n'avoir pas respecté la sanction infligée par la section des assurances sociales et s'être rendu complice d'exercice illégal de l'art dentaire. Dans le cadre de l'appel interjeté, cette sanction a été portée à 3 mois. Le praticien s'est pourvu en cassation, estimant que le remplacement est possible dès lors que le praticien interdit n'en tire aucune contrepartie financière.

La décision

Le Conseil d'État ne valide pas le raisonnement de M. C. et confirme la sanction ainsi prononcée, en l'estimant fondée et proportionnée. Dans la poursuite de précédentes décisions, le Conseil d'État rappelle que la sanction d'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux prévue à l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale s'analyse comme « faisant obligation au praticien concerné de s'abstenir de donner des soins aux assurés sociaux, même à titre gratuit ». L'objectif recherché par cette sanction est clairement d'empêcher le contournement de l'interdiction d'exercer qui pourrait consister pour le praticien sanctionné à poursuivre sa pratique médicale en prétendant qu'il prodigue des soins à titre purement gratuit. On aurait pu déduire de cette jurisprudence que la sanction d'interdiction d'exercice induit seulement que le praticien sanctionné ne pourrait réaliser lui-même un acte médical, payant ou gratuit. Le remplacement devrait dès lors être exclu du cadre de l'interdiction d'exercice.

Quid du remplacement ?

C'est d'ailleurs ce que soutenait M. C. Il s'appuyait sur une jurisprudence ancienne du Conseil d'État (30 juin 1993, no 90559) qui avait jugé que la sanction d'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux interdisait au praticien de se faire « remplacer dans son cabinet, au cours de cette période, par des confrères qui lui reversaient une partie des honoraires perçus, alors même que ce reversement aurait éventuellement correspondu aux frais de gestion des installations techniques ». Il en avait déduit que, si le praticien remplacé ne percevait aucun honoraire (puisque le montant reversé correspondait strictement au montant des charges fixes du cabinet), le remplacement dans le cadre d'une sanction était possible. Le Conseil d'État ne le pense pas. Il juge que l'interdiction d'exercice « fait également obstacle à ce que le praticien se fasse remplacer dans son exercice pour donner de tels soins, même s'il ne tire aucune contrepartie financière de ce remplacement ».

À RETENIR

Le remplacement permet à un praticien tiers d'exercer « à votre place ». Il est donc logique, si vous faites l'objet d'une interdiction d'exercice, qu'aucun praticien ne puisse se substituer à vous. Dans le cas inverse, il serait effectivement trop facile de priver d'effet la sanction qui a un aspect punitif tant financier (perte de revenus pendant une période) que moral (fermeture du cabinet à l'égard de la patientèle et des tiers).