Clinic n° 04 du 01/04/2019

 

C'est mon avis

Nathalie DELPHIN  

Présidente du SFCD nathalie.delphin@sfcd.fr

Lorsque nous sommes en face de notre patient, connaissons-nous tout de lui, devons-nous savoir tout de lui ? Chaque chirurgien-dentiste connaît la tension, la peur qu'il peut susciter chez les patients par son image, sa blouse, les bruits, l'imaginaire collectif.

Alors que nous réussissons à rassurer, améliorer notre accueil et la gestion de la douleur, il arrive que nous soyons en présence de comportements sinon irrationnels tout du moins inappropriés, voire...


Lorsque nous sommes en face de notre patient, connaissons-nous tout de lui, devons-nous savoir tout de lui ? Chaque chirurgien-dentiste connaît la tension, la peur qu'il peut susciter chez les patients par son image, sa blouse, les bruits, l'imaginaire collectif.

Alors que nous réussissons à rassurer, améliorer notre accueil et la gestion de la douleur, il arrive que nous soyons en présence de comportements sinon irrationnels tout du moins inappropriés, voire inquiétants.

Aujourd'hui, on ne peut plus passer à côté d'une actualité nous rappelant la violence innommable que certains croisent : attentat, agression, viol. Mais, alors que les stigmates d'agression physique sont visibles, les dégâts sur le cerveau qui jusqu'à aujourd'hui n'étaient pas considérés voire même ignorés deviennent enfin visibles, étudiés. Et l'on parle de mémoire traumatique.

À l'inverse de la mémoire « autobiographique », la mémoire traumatique se souvient de tout et peut s'enclencher à n'importe quel moment sous l'impulsion d'une odeur, d'un bruit, d'un lieu, d'une position. La victime du traumatisme revit alors intégralement son agression : peur, stress, douleur, imminence de la mort. Le cerveau doit mettre en place une stratégie pour protéger le corps et il déconnecte, un véritable court-circuit de survie. Le corps peut alors faire des choses complètement inapproprié : silence, fuite, éclat de rire, immobilité. Et cela jusqu'à la fin de la menace ou plutôt de l'événement qui a ré-enclenché cette mémoire traumatique.

Dans nos cabinets, nous ne devons pas ignorer que certains de nos patients sont victimes de psycho-traumatismes et que notre attitude, même anodine voire normale pour nous, peut être une source de réactivation de cette mémoire traumatique. Nous sommes des chirurgiens-dentistes, donc des soignants, à l'écoute de tous les signes non verbaux que notre patient nous envoie.

Mais que faisons-nous de si grave dans nos cabinets qui pourrait être vécu comme un « revival » d'une agression ? Et bien tout instrument (miroir, sonde) introduit dans la bouche peut réactiver une agression sexuelle. La position allongée sur le fauteuil, la peur de la douleur, et même notre position « à midi », derrière le patient, peut être vécue comme une emprise. Le patient peut alors réagir d'une manière tellement surprenante que cela va nous déstabiliser. Il peut y avoir la fuite : le patient littéralement saute du fauteuil et part. Il y a aussi le patient qui en une seconde ne parle plus, est immobile et stoïque jusqu'à ce que le fauteuil remonte. Le patient peut aussi se mettre à crier, fort, alors que nous n'avons encore pratiqué aucun soin. Bien sûr, tous les patients ayant ce type de réaction ne sont pas des victimes de psycho-traumas mais il est de notre rôle d'être attentif et de savoir réagir dans la bienveillance. Savoir poser les bonnes questions et orienter nos patients qui, pour certains, sont des victimes qui s'ignorent.

Nous devons nous rappeler que nous ne soignons pas seulement une bouche et des dents. Nos patients sont des êtres humains avec une histoire. Et nous sommes ainsi pleinement dans notre rôle médical, conscients de cette mémoire traumatique et accompagnant dans le soin des patients avec empathie et connaissance.