Au centre du débat politique depuis l'élection américaine, les fake news ont trouvé avec la santé est un autre sujet propice aux rumeurs, fausses informations, croyances erronées... La France a adopté en novembre dernier une loi anti fake news. Mais comment se propagent-elles ? Que peuvent les soignants pour lutter contre elles ? Clinic fait le point avec Caroline Faillet qui observe depuis quinze ans la circulation de l'information sur Internet.
Caroline Faillet : Les fake news correspondent à de la désinformation assistée par ordinateur. La désinformation a toujours existé mais le côté numérique constitue une nouveauté. Ces technologies ont en effet apporté aux émetteurs d'informations falsifiées des armes de propagation massive. Il peut s'agir d'armes de création, par exemple Photoshop, ou d'armes de diffusion, avec les réseaux sociaux.
C. F. : Oui. Il s'agit même peut-être du sujet sur lequel il existe à mon sens le plus de fake news. Pour qu'une fake news se propage, il faut qu'il y ait de l'émotion, il faut qu'elle touche les gens. C'est pour cela que celles qui touchent aux valeurs qui sont chères au public se diffusent si bien. Mais, en la matière, il n'y a rien de mieux que d'agir sur la peur que nous éprouvons tous pour notre propre santé.
C. F. : On peut, par exemple, citer le mouvement « antivax », qui avait compris l'importance d'Internet bien avant l'émergence des réseaux sociaux et qui propage l'idée du lien [qui a été complètement démenti par les études scientifiques, NDLR] entre vaccination et autisme. Il y a également énormément de fake news autour de l'alimentation, cela concerne presque un article sur deux de Santé+ Magazine, le site français qui émet le plus de fake news en santé.
C. F. : Il y a plusieurs phénomènes. Tout d'abord, il existe de fausses revues à comité de lecture, qui ne demandent en réalité aux auteurs que de payer pour être publiés. Ceci explique en partie l'explosion du nombre d'articles scientifiques douteux à laquelle on a assisté ces dernières années. On peut également constater que les carrières des chercheurs sont liées au nombre de leurs publications : quand ils ont obtenu un peu de visibilité sur un sujet, certains sont donc tentés de chercher à confirmer leurs premiers résultats coûte que coûte, en s'éloignant parfois de la rigueur qui devrait les caractériser.
C. F. : Oui. Ceux-ci trouvent toujours une figure de proue scientifique, une sorte de porte-drapeau qui va faire autorité. La figure la plus connue est celle du Pr Henri Joyeux, brandie par le mouvement « antivax ». On remarque également que les médias ont tendance à ne reprendre que les annonces des premières études sur un sujet donné. Or, le principe en science, c'est celui de la réplicabilité des résultats. Si jamais des résultats ultérieurs viennent contredire la première étude, l'effet d'annonce étant passé, les médias n'en parlent pas.
C. F. : Sur les sujets santé, qui sont à forte connotation émotionnelle, les fake news génèrent de la peur, ce qui fait entrer en jeu tous les biais cognitifs qui conduisent à prendre les mauvaises décisions. Sur la vaccination, par exemple, certains vont être amenés à surévaluer les risques des effets secondaires des vaccins par rapport aux risques de l'absence de vaccination, et ils ne vont pas se faire vacciner. Il s'agit donc d'un véritable sujet de santé publique.
C. F. : Malheureusement, oui. Les soignants, même s'ils sont plus armés que le grand public grâce à leur formation scientifique, ne peuvent pas être experts en tout. D'autant plus que les articles scientifiques eux-mêmes sont contaminés par les fake news.
C. F. : Bien au contraire. Le danger pour les soignants consiste justement aujourd'hui à rejeter tout ce qui vient d'Internet d'un revers de la main. Il faut bien comprendre que la plupart des patients arrivent dans le cabinet du médecin en ayant lu quelque chose sur la Toile à propos de leur maladie. C'est donc aux soignants de se mettre à la place du patient, et de se renseigner pour savoir ce qui fait le buzz sur les maladies qu'ils traitent au quotidien. Il leur est donc nécessaire d'être présents sur les réseaux sociaux et de suivre les bons hashtags.
Il y a quelques jours, en zappant dans ma bibliothèque Netflix, je suis tombée sur l'émission Root Cause. Ce soi-disant documentaire soutient que la dévitalisation d'une dent pourrait, entre autres, entraîner un cancer du sein. Mon radar à fake news s'est tout de suite alerté. Une rapide recherche sur Google m'a permis de constater qu'un article d'Hoaxbuster, un site qui chasse les canulars sur le web, dénonçait déjà la supercherie en 2015. La source de cette croyance était un chirurgien-dentiste rayé de son ordre. Cette histoire démontre qu'au-delà de Facebook et Twitter, très souvent accusés de répandre les fake news, il faut aussi être vigilant avec les plates-formes de vidéos à la demande.
C. F. : Une loi est passée en France contre les fake news en novembre dernier mais elle a deux limites. Tout d'abord, elle ne concerne que les périodes électorales. Ensuite, son objet principal est d'exiger de la part des plates-formes comme Facebook la transparence sur le financement des campagnes massives de ciblage utilisées par les candidats. Il s'agit plutôt de bonnes nouvelles, bien que je sois convaincue que les enjeux se situent davantage au niveau européen. La loi prévoit également des mesures pour favoriser l'éducation à l'information, ce qui est positif car c'est une palette de réponses qui va permettre de résoudre le problème. Je déplore, en revanche, que la loi ne parle pas des fake news en santé, qui ont des conséquences très importantes sur les décisions prises par les patients.
Auteur de Décoder l'info - Comment décrypter les fake news (Bréal, 2018) et L'Art de la guerre digitale - Survivre et dominer à l'ère du numérique (Dunod, 2016).