Parodontie
Master en Parodontologie de l'Université Paris DescartesExercice exclusif de parodontologie, Paris
Les cigarettes électroniques (ou vaporisateurs personnels) suscitent depuis quelques années un intérêt grandissant en France pour des fumeurs espérant trouver une solution de substitution non toxique à la cigarette, voire une aide au sevrage tabagique. Leur usage est cependant l'objet de multiples interrogations quant à leur potentielle toxicité et leur efficacité en tant qu'aide au sevrage.
En France, la prévalence du tabagisme adulte est de 26,9 % en 2017. Fumer reste...
Les cigarettes électroniques (ou vaporisateurs personnels) suscitent depuis quelques années un intérêt grandissant en France pour des fumeurs espérant trouver une solution de substitution non toxique à la cigarette, voire une aide au sevrage tabagique. Leur usage est cependant l'objet de multiples interrogations quant à leur potentielle toxicité et leur efficacité en tant qu'aide au sevrage.
En France, la prévalence du tabagisme adulte est de 26,9 % en 2017. Fumer reste aujourd'hui la plus grande cause de maladies et de morts prématurées évitables. Plus de la moitié des fumeurs (59 %) déclare avoir envie d'arrêter de fumer. Mais, sans aide, 80 % des fumeurs rechutent au bout de 1 mois [1]. La cigarette électronique se positionne depuis quelques années comme un des substituts tabagiques majeurs. Selon le Haut Conseil de la Santé Publique [2], 6 % des 15-75 ans vapotent et 50 % d'entre eux, soit 1,5 million d'individus, sont usagers quotidiens. L'étude de Guignard et al. [3] révèle que, sur l'ensemble de la population âgée de 15 à 75 ans, les anciens fumeurs utilisant la cigarette électronique de manière exclusive ne sont que 0,9 %. En parallèle, un rapport de la Public Health of England [4] déclare que vapoter est au moins 95 % moins nocif que fumer. Mais qu'en est-il sur les effets buccaux et sur nos traitements parodontaux ou implantaires (fig. 1 à 4) ?
La cigarette électronique est un dispositif composé d'une batterie et d'un atomiseur constitué d'une résistance et du liquide destiné à être vaporisé. Celui-ci comprend un solvant à base de propylène glycol et/ou de glycérol pouvant contenir de la nicotine ou des substances aromatiques à base d'additifs alimentaires ou d'arômes artificiels [5].
Les modèles de première génération, appelés aussi « cigalikes » du fait leur design proche des cigarettes, sont jetables ou partiellement réutilisables. Ils sont composés d'une batterie de faible capacité qui peut être rechargeable et d'une cartouche de liquide scellée jetable. Ils ne se vendent pratiquement plus car ils sont peu efficaces pour restituer les sensations recherchées par les fumeurs.
Les deuxièmes générations de cigarette électronique sont munies d'un bouton de mise en fonction, ont une batterie de plus grande capacité et un réservoir rechargeable pour l'e-liquide.
Les troisièmes générations sont les plus utilisées. Elles ont des capacités améliorées et permettent à l'usager de régler le voltage et la résistance afin d'obtenir une libération de nicotine qui lui convient et des sensations proches de la consommation d'une cigarette, notamment le « throat hit », sensation de contraction de la gorge [6] (fig. 5).
Les vaporisateurs personnels fonctionnent tous de la même manière. La résistance est constituée d'un fil résistif qui entoure une mèche de matériau absorbant. Le liquide se propage dans la mèche (optionnelle) par capillarité depuis le réservoir jusqu'à la résistance. Il est alors chauffé à environ 60 oC, ce qui produit un aérosol, sans phénomène de combustion (fig. 6).
À ce jour, aucune autorisation de mise sur le marché (AMM) n'a été octroyée à une cigarette électronique. Ce produit est donc considéré comme un produit de consommation courante et soumis au code de la consommation [5]. En France, la cartouche ne doit pas dépasser 10 mL et ne doit pas contenir plus de 20 mg/mL de nicotine. La propagande et la publicité des produits de vapotage, la vente aux mineurs et leur consommation dans certains lieux publics (espaces collectifs clos de travail, établissements accueillant des mineurs, transports en commun) sont interdites. Les fabricants ont interdiction d'inscrire sur l'emballage que ces dispositifs constituent une aide au sevrage tabagique.
La préoccupation principale quant à l'e-cigarette reste que les données actuelles concernant la toxicité et la sécurité, notamment au long terme, sont trop peu nombreuses. En effet, la cigarette électronique, du fait de son statut de produit de consommation courante, n'a pas eu à remplir les conditions de mise sur le marché des autres substituts nicotiniques considérés comme des médicaments : essais cliniques, processus de vérification, qualité et sécurité. Ces dispositifs électroniques, mais surtout leurs liquides de recharge appelés e-liquides, ont été mis sur le marché sans contrôle et sans surveillance. La Direction générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes (DGCCRF) a déclaré que 90 % de ces derniers seraient non conformes (erreurs d'étiquetage, composition inadaptée, sécurité enfant, etc.) d'après les résultats d'une étude qu'ils ont menée en 2014 [5].
La toxicité des cigarettes électroniques est supposée moindre que celle du tabac. En effet, de nombreux composés toxiques de la fumée de tabac, issus de la combustion, sont absents de l'aérosol [7] (fig. 7) :
• absence de monoxyde de carbone, privant l'organisme d'oxygène et responsable d'effets cardio-vasculaires ;
• absence de plus de 60 cancérogènes identifiés dans la fumée de tabac ;
• absence de particules solides responsables dans la fumée de tabac d'effets cancérogènes, d'irritations des voies respiratoires, d'effets délétères pour le cœur.
La nicotine est l'alcaloïde responsable de la dépendance pharmacologique chez le fumeur. Elle provoque une vasoconstriction des vaisseaux, une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque, une stimulation de l'activité motrice de l'intestin (provoquant elle-même une acidité gastrique), un effet anorexigène par augmentation du métabolisme basal et une altération du goût et de l'odorat.
De plus, la nicotine provoque de nombreux effets délétères sur les tissus oraux : elle altère la fonction des fibroblastes gingivaux, a un effet de stimulation de la différenciation des ostéoclastes et entraîne une vasoconstriction périphérique des vaisseaux sanguins par la libération de noradrénaline et, donc, une diminution des apports nourriciers des tissus. Ceci induit une perturbation des processus de cicatrisation et une augmentation de la sévérité des maladies parodontales. La présence de nicotine est donc dommageable dans le cadre de nos traitements parodontaux et implantaires. Il faudrait privilégier l'usage d'e-liquides sans nicotine.
Il est difficile de convertir la dose de nicotine absorbée lors d'une consommation de cigarettes avec celle absorbée par la consommation en e-liquide d'une concentration donnée. En effet, la quantité de nicotine absorbée est dépendante de sa concentration dans l'aérosol et donc des paramètres suivants [8] :
• concentration de nicotine dans le liquide ;
• proportion des solvants utilisés ;
• puissance de la cigarette électronique qui dépend du voltage et de la résistance (P = V2/R) ;
• variabilité interindividuelle (expérience de l'usager).
La concentration de nicotine plasmatique semble similaire lors du vapotage et lors de la consommation d'une cigarette avec des concentrations maximales entre 13,9 et 16,3 ng/mL et aux alentours de 15 ng/mL respectivement. La concentration maximale est atteinte plus rapidement pour la cigarette (5 min) que pour la cigarette électronique (70 à 75 min). Cette dernière serait donc moins addictive.
Une étude récente [9] a montré que les usagers qui souhaitent baisser leur consommation en nicotine en prenant des liquides moins concentrés compensaient en prenant de plus grandes bouffées et en augmentant donc leur consommation journalière de liquide jusqu'à obtenir une concentration salivaire de nicotine similaire. L'étude d'Etter en 2016 avait déjà une conclusion similaire [10]. En conclusion, pour obtenir un sevrage nicotinique pour une meilleure santé, il faut tendre vers l'utilisation d'e-liquides sans nicotine.
La vapeur des cigarettes-électroniques pourrait altérer les tissus oraux. Des études in vitro s'intéressent plus particulièrement aux fibroblastes, principaux composants du tissu conjonctif gingival, mais également aux cellules épithéliales qui ont un rôle de défense contre les agressions extérieures. Une étude de 2017 montre une altération de la morphologie et une augmentation de l'apoptose des cellules épithéliales exposées à de la vapeur de cigarette électronique contenant de la nicotine [11]. Une autre étude récente montre une altération de la forme et de la prolifération ainsi qu'une augmentation de l'apoptose des fibroblastes gingivaux exposés à un condensé de vapeur de cigarette électronique avec ou sans nicotine [12]. Cette étude met en valeur une toxicité décroissante comme suit : cigarette > cigarette électronique avec nicotine > cigarette électronique sans nicotine. Et pose donc la question d'une toxicité de la cigarette électronique indépendamment de la nicotine.
Cette thèse est supportée par l'étude de Sancilio qui montre une augmentation du stress oxydatif et de l'apoptose cellulaire lors de l'application de liquides d'e-cigarette contenant ou non de la nicotine sur des fibroblastes oraux [13]. Le stress oxydatif et la sénescence cellulaire prématurée renforcent les processus inflammatoires, ce qui suggère un rôle dans la pathogénie des pathologies orales, notamment la parodontite.
La base des e-liquides est constituée de propylène glycol (PG) et de glycérine végétale (GV), dans des proportions variables. Ces composés permettent de produire l'aérosol qui imite la fumée des cigarettes. Ainsi, le propylène glycol est utilisé au cinéma et dans les concerts pour simuler de la fumée. Il est également utilisé dans l'industrie alimentaire, pharmaceutique et cosmétique.
PG et GV sont considérés comme très peu toxiques mais peuvent être irritants pour les muqueuses respiratoires chez certaines personnes. Les effets les plus importants liés à ces deux substances sont les dommages (réversibles) à l'épithélium des voies respiratoires et également, dans le cas du propylène glycol, une diminution du nombre de lymphocytes. Dans l'ensemble, nous manquons de données sur les effets de l'inhalation prolongée de ces substances chez l'homme, notamment au niveau des voies aériennes, et l'extrapolation des données in vitro ou sur des modèles animaux est difficile [4, 8].
Les aldéhydes sont des composés carbonylés qui peuvent être formés à partir de l'oxydation du PG ou de la GV, sous l'effet de températures élevées. Ils sont également présents dans la fumée de cigarette. La formation de ces composés, notamment l'acroléine, l'acétaldéhyde et le formaldéhyde, peut être irritante pour les voies aériennes supérieures, voire provoquer un effet cancérogène pour l'acétaldéhyde et le formaldéhyde [14]. Une étude in vitro de Farsalinos et al. (2015) démontre qu'une concentration élevée d'aldéhydes n'est obtenue que suite à une surchauffe du liquide, appelée « dry puff », et générant un goût désagréable pour le vapoteur. Le « dry puff » correspond donc à une situation de consommation anormale et évitée [15]. L'équipe de Farsalinos a réalisé une revue systématique en 2018 sur la formation d'aldéhydes lors de l'utilisation de cigarettes électroniques. Ils rapportent que très peu d'études prenaient en compte et évitaient la génération de « dry puff » mais que, dans ces conditions, l'émission d'aldéhyde est minime par rapport à celle des cigarettes conventionnelles et à des concentrations inférieures aux seuils toxiques connus [16].
Les métaux détectés dans la vapeur des e-cigarettes ne proviendraient pas du e-liquide mais de l'élément de chauffe qui permet de produire l'aérosol. Les teneurs en cadmium, plomb et arsenic sont plus faibles dans l'aérosol d'e-cigarettes que dans la fumée de cigarettes. D'autres métaux comme le cuivre, le chrome ou le nickel sont présents en quantités plus élevées que dans les cigarettes conventionnelles. L'équipe de Farsalinos a comparé les teneurs en métaux des aérosols d'e-cigarettes dans la littérature par rapport aux limites définies par des instances de santé états-uniennes. Ces teneurs étaient drastiquement moins élevées que les taux maximaux quotidiens acceptables, exceptées pour le cadmium, dans le cadre d'une consommation extrême de 1200 bouffées par jour, dont l'exposition était 10 % plus élevée que la limite permise. Ils concluent que l'exposition aux métaux contenus dans l'aérosol des cigarettes électroniques n'est pas préoccupante pour des fumeurs se convertissant au vapotage mais qu'elle devrait être évitée chez les non-fumeurs [17]. Afin de réduire le risque lié aux métaux, il conviendrait de privilégier les matériaux qui permettent une exposition minimale.
Chez les vapoteurs débutants, des symptômes tels que toux, xérostomie ou irritation des muqueuses buccales, vertiges, maux de tête et nausées sont décrits [18]. Ils peuvent être causés par un liquide surdosé en nicotine ou une vapeur trop dense. Paradoxalement, certains de ces symptômes (maux de tête, vertiges, nausée) sont susceptibles d'apparaître lors du sevrage de la nicotine. La sensation de bouche sèche est un des effets secondaires les plus fréquents [19]. Elle pourrait avoir pour origine le propylène glycol et la glycérine qui ont des propriétés hygroscopiques, ce qui signifie qu'ils absorbent l'humidité. Le manque de salive qui en résulte augmente le risque de survenue de lésions carieuses et de pathologies parodontales, car la salive assure une protection naturelle contre les bactéries (fig. 8).
Malgré les nombreuses études publiées, on ne sait pas aujourd'hui si la cigarette électronique aide au sevrage tabagique. Les cigarettes électroniques pourraient avoir une action non seulement sur la dépendance physique à la nicotine mais également sur la dépendance psychologique, en reproduisant la gestuelle et le comportement du fumeur [8].
Deux études contrôlées randomisées font référence mais ont été réalisées avec des dispositifs de première génération, très peu utilisés aujourd'hui et considérés comme peu efficaces. L'étude ASCEND [20] compare l'efficacité de la cigarette électronique par rapport au patch et à un placebo dans une population souhaitant un sevrage. Les résultats ne sont pas significatifs à 3 et 6 mois. La cigarette électronique avec nicotine semble aussi efficace que les patchs. L'étude ECLAT [21] compare l'efficacité de la cigarette-électronique avec nicotine par rapport à un placebo dans une population ne souhaitant pas arrêter de fumer. L'abstinence tabagique est significativement plus importante à 3 mois mais pas à long terme. La méta-analyse Cochrane [19] portant sur ces deux études rapporte que la cigarette électronique avec nicotine faciliterait le sevrage tabagique à 6 mois en comparaison avec un placebo, mais avec un faible niveau de preuves. Une étude contrôlée randomisée de 2019 [22] montre que la cigarette électronique rechargeable est plus efficace que les substituts nicotiniques dans le maintien du sevrage tabagique à 1 an.
La diversité des modèles de cigarettes électroniques et l'évolution rapide du marché rendent difficiles la conceptualisation et l'interprétation des études de tolérance et d'efficacité. L'usage d'une cigarette électronique de nouvelle génération avec nicotine pourrait être proposée chez le fumeur actif, en échec de stratégie d'aide au sevrage validée, dans une stratégie de réduction du risque lié à l'inhalation chronique de fumée de tabac. Nous disposons de très peu de données validant l'efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique et portant sur sa toxicité. Il faut donc rester prudent en limitant les thérapeutiques complexes lors de l'usage d'une cigarette électronique, particulièrement avec nicotine, et faire tendre nos patients vers un sevrage total.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.