Toxicité
Fabrice CAMPANA* Jean-Christophe FRICAIN** Vincent SIBAUD*** Emmanuelle VIGARIOS****
*Chirurgie orale
**AP-HM
***Marseille
****Chirurgie orale
*****PU-PH, CHU de Bordeaux
******Oncodermatologue
*******Institut Claudius Regaud
********Institut Universitaire du cancer de Toulouse-Oncopole
*********MCU-PH, médecine bucco-dentaire
**********Institut Claudius Regaud
***********Institut Universitaire du cancer de Toulouse-Oncopole
Le lichen plan est une maladie auto-immune caractérisée par des lésions ubiquitaires intéressant les muqueuses (buccales et génitales), la peau et/ou les phanères (ongles, follicules pileux). L'aspect histologique typique est un infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire sous la membrane basale responsable de la formation de corps apoptotiques.
Certains médicaments ou des traumatismes locaux peuvent également induire des lésions lichénoïdes, très proches cliniquement,...
Le lichen plan est une maladie auto-immune caractérisée par des lésions ubiquitaires intéressant les muqueuses (buccales et génitales), la peau et/ou les phanères (ongles, follicules pileux). L'aspect histologique typique est un infiltrat inflammatoire lymphoplasmocytaire sous la membrane basale responsable de la formation de corps apoptotiques.
Certains médicaments ou des traumatismes locaux peuvent également induire des lésions lichénoïdes, très proches cliniquement, et sur le plan histologique du lichen plan idiopathique. Ces lésions régressent généralement avec la suppression de la cause, ce qui les distingue d'un véritable lichen plan. On individualise principalement trois types de réactions lichénoïdes : de contact (fig. 1), maladie du greffon contre l'hôte (fig. 2) et médicamenteuses (fig. 3).
Une origine médicamenteuse doit être systématiquement évoquée devant la découverte de lésions lichénoïdes endobuccales. Cependant, il convient aussi de discuter le diagnostic de lichen plan idiopathique et les autres étiologies des réactions lichénoïdes avant de retenir l'imputabilité d'une molécule. Même si le contexte est évocateur, le diagnostic de réaction lichénoïde d'origine médicamenteuse doit être considéré comme un diagnostic d'élimination.
Des réactions lichénoïdes d'origine médicamenteuse ont été rapportées avec de nombreuses molécules (encadré 1). Ces réactions, ou lésions lichénoïdes d'origine iatrogène, ont cependant été beaucoup plus souvent décrites au niveau de la peau que de la muqueuse buccale. Notons également que la plupart des réactions lichénoïdes d'origine médicamenteuse rapportées dans la littérature médicale reposent sur des rapports de cas et non sur de véritables études cliniques prospectives et il n'y a aucune étude fondée sur les preuves (evidenced based) de disponible.
Les traitements qui présentent la plus forte imputabilité et le plus souvent cités sont :
• les pénicillamines ;
• les sels d'or (aurothiopropanolsulfonate de sodium) ;
• dans une moindre mesure des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (captopril, ramipril, énalapril) ;
• des bêtabloquants (propranolol, sotalol, labétalol) ;
• l'inhibiteur de la tyrosine kinase ciblant BCR-ABL (imatinib).
D'autres médicaments ont été associés, plus rarement, à la survenue d'une réaction lichénoïde. Citons, entre autres (encadré 1) :
• des diurétiques (hydrochlorothiazide) ;
• les sulfamides hypoglycémiants ;
• certains antiépileptiques (carbamazépine) ;
• des immunomodulateurs (sulfasalazine) ;
• des antirétroviraux (inhibiteurs des protéases) ;
• des hypocholestérolémiants (simvastatine, pravastatine) ;
• des traitements de la goutte (allopurinol) ;
• des anti-inflammatoires non stéroïdiens (indométacine) ;
• des antiparkinsoniens.
Il est intéressant de noter que des médicaments utilisés parfois pour traiter le lichen plan peuvent aussi induire des réactions lichénoïdes : dapsone, lévamisole, tétracyclines et interféron alpha.
Il faut aussi souligner que la littérature scientifique s'enrichit de nouvelles observations avec certains traitements innovants comme :
• les anti-TNF alpha utilisés en rhumatologie (polyarthrite rhumatoïde), en dermatologie (psoriasis) ou en gastro-entérologie (maladie de Crohn), tels l'infliximab et l'adalimumab ;
• les inhibiteurs de checkpoints immunologiques visant PD-1 (programmed cell death-1) ou PD-L1 (programmed cell death ligand-1) utilisés en cancérologie tels le nivolumab, le pembrolizumab, l'atezolizumab.
• Adalimumab
• Allopurinol
• Capécitabine
• Captopril
• Carbamazépine
• Dactinomycine
• Énalapril
• Escitalopram
• Hydrochlorothiazide
• Imatinib
• Indométacine
• Infliximab
• Interféron alpha
• Labétalol
• Lévamisole
• Lithium
• Méthyldopa
• Nivolumab
• Orlistat
• Pembrolizumab
• Pénicillamine
• Pravastatine
• Propranolol
• Ramipril
• Salazopyrine
• Sels d'or : aurothiopropanol sulfonate
• Simvastatine
• Solifénacine
• Sotalol
• Sulfaméthoxazole
• Zidovudine
La physiopathologie des réactions lichénoïdes d'origine médicamenteuse est mal connue. Certains médicaments – pénicillamines, certains inhibiteurs de l'enzyme de conversion (captopril) et sels d'or – ont un groupement thiol en commun qui pourrait participer à la réaction immune.
Un polymorphisme des enzymes du cytochrome P450, à l'origine d'un défaut de métabolisme hépatique des médicaments, peut également participer à cette toxicité muqueuse.
Concernant les anti-TNF alpha, le mécanisme évoqué est une surproduction d'interféron alpha qui active les cellules dendritiques et les lymphocytes T. Cela est à rapprocher des réactions lichénoïdes observées avec l'interféron alpha.
Il est parfois difficile de faire la part entre l'influence de la maladie et celle du médicament sur la survenue des réactions lichénoïdes. C'est le cas dans la thyroïdite d'Hashimoto où le lichen buccal est quatorze fois plus fréquent que dans la population générale, mais aussi trois fois et demie plus fréquent chez les patients sous lévothyroxine.
Les réactions lichénoïdes endobuccales sont plus fréquemment observées chez l'adulte que chez l'enfant. Les lésions sont similaires quel que soit le traitement inducteur. Les joues et la face ventrale de la langue sont souvent concernées.
Les critères cliniques le plus souvent proposés sont des lésions orales qui restent unilatérales, avec un aspect érosif. Cependant, ces critères n'ont rien de spécifique car des réactions lichénoïdes médicamenteuses peuvent se développer de façon bilatérale et/ou plurifocale. De plus, il est probable que le diagnostic soit plus souvent fait au stade érosif, plus douloureux, qu'au stade kératosique.
En pratique, ces réactions lichénoïdes peuvent se présenter sous la forme de quatre lésions élémentaires : érythème, érosion, ulcération et kératose, cette dernière prenant souvent un aspect strié ou en réseau de « feuilles de fougère » (fig. 4 et 5).
L'examen histopathologique (fig. 6), bien que souvent non spécifique par rapport au lichen plan idiopathique, peut parfois orienter vers une origine médicamenteuse par la présence d'un infiltrat inflammatoire plus diffus, avec polynucléaires éosinophiles et des corps apoptotiques plus nombreux. Des anticorps circulants anti-cellules basales peuvent s'observer. Leur dosage a été proposé par certains auteurs mais n'est pas réalisé en routine.
En réalité, les critères qui restent les plus fiables pour orienter vers une origine médicamenteuse sont ceux d'imputabilité intrinsèque (molécule associée à des réactions lichénoïdes) et surtout extrinsèque : survenue plus ou moins rapide des lésions après l'introduction du médicament, régression progressive à l'arrêt et réapparition en cas de réintroduction du médicament. En pratique courante, cela n'est en général pas réalisable pour des raisons éthiques et peut s'observer seulement au décours d'un changement de thérapeutique.
Dans tous les cas, un examen systématique de la peau, des ongles et de la muqueuse génitale doit être réalisé. En effet, la présence de lésions multifocales, souvent caractéristiques, orientera le diagnostic vers un lichen plan idiopathique.
Les réactions lichénoïdes sont susceptibles d'évoluer en carcinome épidermoïde dans près de 3 % des cas. Il n'a en revanche pas été prouvé que les réactions lichénoïdes induites par des médicaments présentaient un risque augmenté de cancer, contrairement aux lésions lichénoïdes de la maladie du greffon contre l'hôte (GVHD, graft versus host disease).
Les principaux diagnostics différentiels incluent le lichen plan idiopathique et les autres étiologies des réactions lichénoïdes.
Le lichen plan buccal représente 20 % des consultations pour pathologie de la muqueuse buccale. Sa prévalence dans la population générale adulte est estimée entre 0,5 et 2 %.
Le lichen plan buccal est une maladie chronique évolutive. Les lésions kératinisées évoluent souvent d'un stade en pointillé (fig. 7) à un stade réticulé (fig. 8) puis en nappe (fig. 9) qui prend parfois un aspect verruqueux (fig. 10). Le passage d'une forme purement kératosique à une forme érythémateuse, érosive ou ulcérée (fig. 11), est fréquent. Le stress pourrait être un facteur d'évolution. Le lichen plan doit être considéré comme une lésion à potentiel malin même si certains auteurs nient cette affirmation. De 1 à 3 % environ des lésions chroniques de lichen plan buccal seraient susceptibles de dégénérer en carcinome épidermoïde (fig. 12).
La présence d'une atteinte muqueuse bipolaire (génitale) et la coexistence avec des lésions cutanées, unguéales ou capillaires évocatrices, orientent clairement vers le diagnostic de lichen plan idiopathique.
Le traitement du lichen plan est essentiellement symptomatique et n'a le plus souvent qu'un effet suspensif. Il dépend de la lésion élémentaire et de sa distribution dans la cavité buccale. En première ligne thérapeutique, on retiendra la corticothérapie locale ou systémique en cure courte. Un suivi régulier est nécessaire. Il doit être mis en place et expliqué au patient.
Les lésions lichénoïdes de contact résultent en général d'un phénomène de Koebner, c'est-à-dire du développement d'une lésion lichénoïde sur une zone ayant subi des microtraumatismes répétés. Elles doivent être évoquées devant des lésions limitées à certaines zones buccales spécifiques. Par exemple, elles sont particulièrement fréquentes au niveau des muqueuses jugales, en regard des molaires, surtout si celles-ci sont en malposition, porteuses d'amalgame ou couronnées (fig. 13). Le remplacement des obturations, des couronnes prothétiques ou l'avulsion des dents, permet en général la disparition de ces réactions lichénoïdes. En revanche, s'il s'agit de lésions en rapport avec un lichen plan idiopathique limité, ces traitements odontologiques restent inefficaces et le diagnostic doit être reconsidéré.
De rares auteurs ont incriminé un mécanisme d'hypersensibilité de contact. Cependant, un patch positif n'est pas une garantie de rémission complète de la réaction lichénoïde après élimination du matériau dentaire incriminé.
En pratique, l'avulsion des amalgames pourra être proposée en cas de suspicion forte, mais on s'abstiendra de modifier les prothèses dans la majorité des cas.
Des lésions lichénoïdes peuvent apparaître à la suite d'une greffe de moelle osseuse allogénique dans le cadre d'une réaction du greffon contre l'hôte (agression des antigènes de la peau ou des muqueuses du receveur par les lymphocytes du donneur).
Ces lésions ont une grande similarité clinique avec le lichen plan idiopathique mais sont souvent plus étendues et plus inflammatoires (fig. 14). Elles nécessitent un suivi régulier car il existe un risque de dégénérescence avéré chez des patients immunodéprimés. Le traitement est identique à celui du lichen plan.
Les lésions lichénoïdes orales ont fréquemment été rapportées dans les pays où l'hépatite C est endémique. En France, la corrélation ne semble pas spécifiquement établie avec le lichen plan. La recherche systématique du virus lors de la découverte d'un lichen plan buccal n'est donc pas indiquée.
Des lésions lichénoïdes orales ont été rapportées dans le syndrome APECED (autoimmune polyendocrinopathy-candidiasis-ectodermal dystrophy), ou poly-endocrinopathie auto-immune de type 1. Cette maladie exceptionnelle est de transmission autosomique récessive et se caractérise par l'association d'une atteinte endocrinienne auto-immune, d'une candidose cutanéo-muqueuse et d'une atteinte des tissus ectodermiques. Les réactions lichénoïdes résulteraient de l'absence de destruction des lymphocytes T autoréactifs par mutation du gène AIRE (autoimmune regulator). L'évolution fréquente des lésions lichénoïdes en carcinome épidermoïde dans le syndrome APECED nécessite une surveillance régulière.
Enfin, des lésions lichénoïdes orales ont été décrites à plusieurs reprises dans le syndrome de Good. Il se manifeste par un thymome associé à une hypogammaglobulinémie, une lymphopénie B circulante, une lymphopénie T CD4 circulante avec un rapport CD4/CD8 inversé. Il se complique d'infections et de maladies auto-immunes telles que le lichen plan.
Le traitement des lésions lichénoïdes d'origine médicamenteuse repose normalement sur l'éviction du médicament. La régression de la lésion s'observe alors progressivement en plusieurs semaines ou mois (fig. 15 et 16).
En pratique, devant une lésion buccale d'apparence « lichénienne », on doit rechercher de façon systématique :
• un facteur contact associé (couronnes, prothèses) ;
• une atteinte multipolaire (cutanée, phanères, génitale) qui orienterait vers un lichen plan idiopathique ;
• une prise de médicament pouvant potentiellement induire une réaction lichénoïde.
Dans tous les cas, plusieurs schémas thérapeutiques sont possibles en fonction de l'aspect de la lésion :
• en cas de kératose typique de lichen, non douloureuse et souple à la palpation, aucun traitement n'est requis et une biopsie n'est pas systématique. Une simple surveillance annuelle est préconisée ;
• en cas de kératose atypique, épaisse, inhomogène et plus ou moins indurée, une biopsie est nécessaire. Si elle révèle une lésion lichénoïde, il faudra rechercher une cause médicamenteuse. En raison du caractère suspect, une éviction du médicament sera préconisée en fonction de son indication et des possibilités de substitution ;
• en cas de kératose typique de lichen et d'ulcérations multiples, souples à la palpation, un traitement par corticothérapie locale (clobétasol notamment) est instauré. Si les lésions restent inflammatoires, une biopsie est requise et l'interrogatoire médical doit rechercher une cause médicamenteuse. Si un médicament est suspecté, une éviction sera préconisée en fonction de son indication et des possibilités de substitution ;
• en cas de kératose typique de lichen et d'ulcération unique, une suspicion de lésion lichénoïde peut d'emblée être faite. Si un médicament est en cause, une éviction sera préconisée en fonction de son indication et des possibilités de substitution. Dans tous les cas, une corticothérapie locale est instaurée. Si les lésions ne régressent pas, une biopsie est requise.
• Une origine médicamenteuse représente une étiologie rare mais possible de lésions lichénoïdes.
• Les lésions lichénoïdes muqueuses sont rares par rapport aux lésions lichénoïdes cutanées.
• Les lésions lichénoïdes peuvent avoir une origine médicamenteuse, être dues à un contact avec des matériaux de restauration dentaire (amalgames, céramique, or...) ou à une maladie générale (maladie du greffon contre l'hôte).
• Les principales molécules impliquées sont les sels d'or (rarement prescrits aujourd'hui), la pénicillamine et, dans une moindre mesure, certains bêtabloquants, inhibiteurs de l'enzyme de conversion et inhibiteurs des tyrosines kinases.
• Les lésions lichénoïdes médicamenteuses sont le plus souvent érosives et unilatérales même si une atteinte plurifocale est possible.
• Devant une lésion de « lichen », il faut avant tout évoquer un lichen plan idiopathique ; le diagnostic de réaction lichénoïde doit également être systématiquement envisagé surtout en cas de lésion atypique sur le plan clinique ou histopathologique.
• La prise en charge des lésions lichénoïdes d'origine médicamenteuse repose sur l'éviction du médicament quand la situation médicale le permet.
La figure 17 présente une synthèse de cette situation.
Cet article est extrait de Campana F, Fricain JC, Sibaud V, Vigarios E. Toxicités buccales des médicaments. Éditions CdP, novembre 2016.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.