Pathologie
Pierre Olivier PAMELARD* Cédric SCIRAFFA** Vincent COMPÈRE*** Hervé MOIZAN****
*CHU, Département d'odontologie,
**Hôpital Saint-Julien
***Rouen
****CHU, Département d'anesthésie,
*****Hôpital Charles Nicolle
******Rouen
*******CHU, Département d'anesthésie,
********Hôpital Charles Nicolle
*********Rouen
**********CHU, Département d'odontologie,
***********Hôpital Saint-Julien
************Rouen
Cette étude (Les patients en situation de handicap constituent-ils une population plus à risque qu'une population témoin lors des procédures de soins dentaires sous anesthésie générale ?) évalue la qualité et la sécurité de prise en charge en chirurgie dentaire ambulatoire sous anesthésie générale d'une population handicapée par rapport à une population témoin. L'étude a été effectuée avec des patients du service de chirurgie ambulatoire du CHU de Rouen pendant 2 ans....
Cette étude (Les patients en situation de handicap constituent-ils une population plus à risque qu'une population témoin lors des procédures de soins dentaires sous anesthésie générale ?) évalue la qualité et la sécurité de prise en charge en chirurgie dentaire ambulatoire sous anesthésie générale d'une population handicapée par rapport à une population témoin. L'étude a été effectuée avec des patients du service de chirurgie ambulatoire du CHU de Rouen pendant 2 ans. Le critère de jugement principal était le taux d'hospitalisation au décours de la chirurgie. Il n'y a pas de différence significative dans les complications entre les deux groupes de patients et la satisfaction des patients et accompagnants concernant la prise en charge ambulatoire est élevée.
Les patients en situation de handicaps psychomoteurs constituent une population avec une très forte incidence de pathologies bucco-dentaires par comparaison avec la population générale [1]. Les raisons en sont multiples, avec notamment les traitements psychotropes influençant de façon importante la production qualitative et quantitative de salive, le régime alimentaire déséquilibré et fortement orienté vers des produits glucidiques mixés, la difficulté d'accès aux soins dentaires en raison des troubles de communication et de coopération. Toutes ces situations cliniques associées conduisent inévitablement à des conduites de non-recours aux soins ou de renoncement, avec pour corollaire une progression importante des pathologies bucco-dentaires justifiant très souvent une prise en charge sous anesthésie générale [2].
Si les motifs de recours à l'anesthésie générale en odontostomatologie sont parfaitement codifiés par les sociétés savantes, force est de constater que très peu d'études se sont intéressées aux risques liés à cette prise en charge en ambulatoire [3]. Les quelques études recensées sont ciblées sur le risque anesthésique indépendamment du cadre de la chirurgie ambulatoire qui minimise la perturbation du patient handicapé psychomoteur en favorisant le retour à domicile le soir même de l'intervention.
L'originalité de notre étude est de comparer la sécurité et la qualité de prise en charge en chirurgie ambulatoire d'une population handicapée par rapport à une population témoin.
Cette étude rétrospective compare 2 cohortes suivies pour des soins dentaires sous anesthésie générale au CHU de Rouen sur une période de 24 mois consécutifs entre janvier 2013 et décembre 2014. La collecte des données a été faite par recueil du registre ou carnet de bloc opératoire croisé avec les dossiers médicaux informatiques. Une cohorte totale de 160 patients a bénéficié d'une prise en charge ambulatoire. Seulement 138 dossiers ont été inclus, les 22 autres ont été exclus car ils étaient incomplets. Un premier groupe dit H (Handicap) a été constitué de 70 patients nécessitant une prise en charge sous anesthésie générale du fait d'un manque de coopération empêchant tout acte odontologique à l'état vigile en relation directe avec une déficience intellectuelle, une pathologie psychiatrique ou une infirmité motrice cérébrale. Le second groupe dit T (Témoin) a été constitué de 68 patients nécessitant une prise en charge odontologique sous anesthésie générale pour des actes odontologiques conservateurs ou chirurgicaux pour d'autres motifs (fig. 1). Les données préopératoires (feuille de programmation opératoire du chirurgien, feuille de consultation pré-anesthésique), peropératoires (feuille d'anesthésie, feuille de surveillance en salle de surveillance postopératoire, compte rendu opératoire) et postopératoires (feuille de rappel téléphonique systématique à J+1) ont été collectées de manière rétrospective à partir des dossiers médicaux des patients et rendues totalement anonymes. Le principal critère de jugement était le retour en hospitalisation après la sortie de l'ambulatoire le soir même de l'intervention. Les critères secondaires étaient : la présence de complications per et postopératoires, de complications à J+1, la durée d'hospitalisation et la durée de séjour en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI).
Le critère de jugement a été le non-retour à domicile le soir même de la chirurgie ambulatoire conduisant à une hospitalisation non programmée. Les autres critères de jugement secondaires ont été la présence de complications pré et postopératoires, la durée d'hospitalisation et le temps de séjour en salle de surveillance post-interventionnelle. Sur le plan statistique, la normalité des données quantitatives a été testée par le test de Sapiro. En cas de normalité, les groupes ont été comparés par un test de Student et, dans l'autre cas, par le test de Mann-Whitney.
Pour les données qualitatives, un test du chi 2 a été effectué. Le risque relatif a été calculé et un seuil de significativité de 0,05 a été adopté. Le logiciel R (R Development Core Team) a été utilisé pour toutes ces analyses.
Le premier groupe (H) est constitué de 70 patients atteints de handicaps divers avec pour principale étiologie l'autisme (tableau 1). Sous la rubrique ou l'item divers, 1 patient avait un antécédent de traumatisme crânien grave et l'autre un syndrome de Cornelia de Lange. Le groupe T comprend 68 patients pour lesquels les principaux recours à l'anesthésie générale étaient des avulsions dentaires multiples (plus de 15 dents) (62 %) et les extractions des 4 dents de sagesse (28 %) (tableau 2). Les données démographiques (sexe, âge, poids, taille, index de masse corporelle) sont comparables dans les 2 groupes.
Les patients appartenant du groupe H ont un score ASA plus élevé que ceux du groupe T (tableau 3). Le score ASA classe en 5 catégories (I à V) les patients sur le plan des risques anesthésiques et de la morbidité péri-opératoire au décours de la première semaine postopératoire. Seuls les patients classés ASA I, II et III stable seront éligibles à la chirurgie ambulatoire ; les autres patients seront récusés et devront suivre le chemin de l'hospitalisation traditionnelle. La comorbidité associée la plus fréquente dans ce groupe est l'épilepsie (26 %).
Le score de Mallampati (fig. 2) était renseigné sur tous les patients du groupe T à l'exception de 2 patients porteurs d'une trachéotomie. Au sein du groupe handicap, l'évaluation du score de Mallampati n'a pas pu être effectuée dans 30 % des cas (21 patients) en raison de l'absence de coopération du patient. Si le score de Mallampati était plus élevé dans le groupe H, la différence entre 2 sous-groupes (1-2 facile et 3-4 difficile) n'est pas significative (tableau 3).
En peropératoire, tous les scores de Cormack (fig. 3) ont été consignés et présentaient une similitude dans les 2 groupes. Il est intéressant de noter que les scores de Cormack des patients handicapés pour lesquels les scores de Mallampati n'avaient pas pu être établis en préopératoire pour des raisons de non-coopération étaient similaires à ceux des patients pour lesquels l'évaluation avait été possible. Il n'y a pas, sur notre échantillon, d'arguments en faveur d'une prédictibilité plus grande d'intubation difficile chez le patient handicapé (tableau 4).
Il existe une différence de typologie de soins entre le groupe handicap et le groupe témoin. En effet, les soins dits exodontiques (extractions de dents sur arcade ou incluses quel que soit le type de dent) sont plus importants dans le groupe témoin. C'est le contraire pour les soins conservateurs où la population handicapée bénéficie, en volume, de plus de soins dentaires conservateurs que de soins chirurgicaux. Il ne s'agit que d'un biais de sélection (tableau 5).
Ces constatations ont un impact certain sur le temps opératoire (tableau 6) où toutes les durées opératoires sont plus importantes dans le groupe H par rapport au groupe T ; paradoxalement, les patients handicapés passent moins de temps en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) et en unité de chirurgie ambulatoire (UCA).
Le taux d'hospitalisation non programmée, critère principal, était quasi similaire dans les 2 groupes. Dans le groupe T, 3 patients ont été hospitalisés contre 1 pour le groupe H (risque relatif : 0,32 [0,03 - 3,04] intervalle de confiance : IC à 95 %). Pour tous les cas recensés, il s'agissait d'une sortie tardive de SSPI avec persistance de nausées, vomissements postopératoires et douleurs.
Le contact à J+1 a été établi pour 86 % des patients du groupe T et pour 79 % du groupe H. Le score de satisfaction était similaire dans les 2 groupes : 9,3 versus 9 respectivement.
Notre étude ne montre pas de différence significative en termes de taux d'hospitalisation non programmée entre une population de patients handicapés et une population générale. Elle présente certes des limites méthodologiques en rapport avec un effectif réduit à 138 patients et par le fait qu'elle soit rétrospective et monocentrique. Néanmoins, elle a le mérite d'intégrer un groupe témoin permettant une analyse dans le cadre d'une chirurgie odontostomatologie standardisée mineure de type 1 dans la classification d'Altameier. La population de patients en situation de handicap ne constitue pas une cohorte homogène en elle-même et 3 sous-groupes doivent être considérés en termes de besoin en soins dentaires, de temps opératoire et de maintenance de la santé orale dans le temps. Ce constat est en corrélation directe avec l'autonomie du patient dans la vie courante et notamment pour ses besoins primaires. Ces 3 sous-groupes sont définis par un groupe avec un handicap léger, un groupe avec un handicap moyen et un dernier groupe, dit handicap sévère, disposant d'une autonomie quasi inexistante.
Le temps d'intervention reste un élément difficile à évaluer par le chirurgien en préopératoire du fait des difficultés de l'examen initial et parfois même de l'absence d'un bilan radiographique. Malgré cette imprévisibilité, le temps opératoire reste correctement maîtrisé. En préopératoire, il est important de souligner que l'information donnée au patient ou à la personne de confiance exprime de nombreuses réserves compte tenu des difficultés de l'examen initial et de l'absence de bilan radiographique préopératoire dans de nombreux cas. En effet, il est fréquent de découvrir en peropératoire une situation clinique bucco-dentaire plus dégradée que prévue conduisant à un traitement invasif et non conservateur des organes dentaires. Toute la difficulté réside en préopératoire à délivrer une information claire sur cette imprévisibilité inhérente à la situation clinique et au handicap. Sur le plan médico-légal, les personnes de confiance n'ont jamais manifesté leur mécontentement ou exprimé des plaintes dans les suites opératoires lorsque les traitements étaient non conservateurs, tout en sachant que les réhabilitations prothétiques étaient souvent compromises pour des raisons de comportement par la suite chez les patients édentés totalement.
Il est à noter que, dans de nombreux cas, le temps d'installation du patient handicapé sur la table opératoire est majoré par rapport à un patient normal du fait de difficultés comportementales et de dysmorphoses imposant des procédures adaptées aux divers handicaps [4] (fig. 4 à 6).
Le temps opératoire est souvent plus important dans le contexte de soins conservateurs mais cela n'est pas corrélé avec un temps de séjour en SSPI plus important [5]. Compte tenu de la durée opératoire plus importante pour le patient handicapé, il serait logique de s'attendre à un séjour plus important en SSPI. Les drogues anesthésiques actuelles permettent une action qui est rapidement labile (mode on-off), autorisant des temps opératoires plus longs sans les inconvénients en termes de retour à l'état vigile et de restauration des fonctions respiratoire, hémodynamique et neurosensorielle [6]. Pour illustrer la problématique, nous avons constaté que l'incidence des nausées-vomissements postopératoires est similaire dans les 2 groupes [7].
La prise en charge des patients handicapés nécessitant une anesthésie générale pour des soins dentaires n'implique pas de différence significative sur les difficultés d'intubation et sur les complications postopératoires par comparaison avec les patients témoins.
L'analyse du risque anesthésique est souvent plus compliquée chez les patients porteurs de handicap du fait de l'évaluation difficile ou incomplète et du recueil de données par l'intermédiaire de l'environnement familial ou institutionnel. Ces éléments ne permettent pas toujours d'avoir une exhaustivité de l'évaluation clinique [5].
Dans notre étude, le score élevé du nombre de patients dont le score de Mallampati n'était pas connu (30 %) s'explique par une évaluation du score lors de la consultation préanesthésique et non, comme dans certaines études, après le début de la sédation.
Le taux d'hospitalisation non programmée après chirurgie ambulatoire est semblable entre notre groupe de patients porteurs de handicap et notre groupe témoin et sa faible prévalence est comparable.
Les facteurs de risque prédictifs des hospitalisations non programmées retrouvés dans la littérature sont l'âge supérieur à 65 ans, une chirurgie supérieure à 2 heures, une pathologie cardiaque vasculaire périphérique ou centrale, un cancer ou le VIH [8].
Notre étude ne montre pas de différences significatives entre les 2 groupes au niveau des complications à J+1. Même si aucun patient n'a nécessité de réadmission, la ré-hospitalisation à J+1 retrouvée dans l'étude de Mattila sur une cohorte de 6 659 patients montre un taux de 0,1 % et de 0,4 % de retour à l'hôpital sans hospitalisation [9]. Ces taux sont à pondérer car notre étude n'incluait pas de chirurgie lourde.
La gestion de la douleur chez les patients porteurs de handicaps est significativement différente [10]. En effet, il est fréquent de sous-estimer les besoins en antalgiques dans cette population [11]. Cela s'explique par les difficultés de communication et d'évaluation de la douleur avec toutes les limites des échelles visuelles analogiques et autres [11]. Les recommandations de prise en charge en analgésie postopératoire sont fondées sur des approches multimodales lors des prescriptions avec horaires précis d'administration et de possibles compléments en cas d'insuffisance d'efficacité [12].
Systématiquement, pendant l'anesthésie générale, des infiltrations locales d'anesthésie complètent durablement la prise en charge analgésique, ce qui a pour effet de diminuer significativement le recours en antalgiques en SSPI [12].
Enfin, le taux élevé de satisfaction postopératoire est similaire à celui retrouvé dans la littérature et conforme à l'étude de Escribano-Hernández et al. [13].
La prise en charge ambulatoire des patients en situation de handicap pour des soins odontologiques (soins conservateurs et chirurgicaux) sous anesthésie générale n'induit pas un taux plus élevé d'hospitalisations non programmées ni une morbidité péri-opératoire par rapport à une population témoin. La procédure d'hospitalisation ambulatoire est judicieuse pour cette population. En effet, une hospitalisation traditionnelle avec une nuit consécutive à l'anesthésie générale n'apporterait aucune sécurité supplémentaire, à condition que les critères médicaux de sortie de l'unité de chirurgie ambulatoire soient validés par le médecin anesthésiste et le chirurgien. La chirurgie ambulatoire en odontostomatologie est totalement justifiée, et ce sans effets délétères chez cette population particulière pour laquelle l'hospitalisation est source d'anxiété et de perturbations psychologiques par perte des repères habituels.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.