Endodontie
Serge BOUILLAGUET* Pierre MACHTOU**
*Chef du département d'endodontie
**University clinics of dental medicine (CUMD)
***université de Geneve, Suisse
****PU-PH
*****UFR odontologie Garancière
******Paris
Prévenir l'apparition de lésions péri-apicales inflammatoires et/ou obtenir la guérison de lésions osseuses induites par la colonisation bactérienne du système canalaire sont les objectifs fondamentaux de l'endodontie. Ces objectifs sont cliniquement atteints lorsque toutes les procédures nécessaires à la conduite du traitement endodontique sont à la fois clairement identifiées et parfaitement maîtrisées. On a l'habitude de dire que, en endodontie, la somme de multiples...
Prévenir l'apparition de lésions péri-apicales inflammatoires et/ou obtenir la guérison de lésions osseuses induites par la colonisation bactérienne du système canalaire sont les objectifs fondamentaux de l'endodontie. Ces objectifs sont cliniquement atteints lorsque toutes les procédures nécessaires à la conduite du traitement endodontique sont à la fois clairement identifiées et parfaitement maîtrisées. On a l'habitude de dire que, en endodontie, la somme de multiples éléments contribue à la qualité du résultat final.
Le premier élément à considérer est avant tout l'état physiopathologique de la dent causale. La littérature scientifique démontre que les taux de succès après traitement sont directement dépendants du niveau d'infection endodontique de la dent à traiter. En présence d'une dent vivante atteinte de pulpite irréversible, l'absence d'infection radiculaire sera un élément de pronostic positif alors qu'une dent nécrosée en phase infectieuse aiguë ou chronique nécessitera des moyens complémentaires de désinfection. En effet, en présence d'une symptomatologie aiguë associée à une pulpite irréversible (dent vivante), les pathogènes endodontiques restent généralement confinés à l'espace endodontique coronaire ; le praticien devra donc avant tout, lors de la prise en charge, prévenir l'extension apicale bactérienne (fig. 1). Une intervention très rapide, dans des conditions d'asepsie stricte et en une seule séance si possible, est souhaitable. En revanche, dans les canaux infectés (dent nécrosée), une séance de désinfection intermédiaire reste indiquée même si la littérature ne démontre pas la supériorité évidente de cette approche en deux, voire plusieurs étapes.
Cliniquement la présence d'une symptomatologie, l'impossibilité d'assécher les canaux radiculaires ou tout simplement le manque de temps imposent la mise en place d'une médication intra-canalaire. Son action désinfectante ne sera efficace que si l'agent médicamenteux est appliqué à l'ensemble du système canalaire et si l'obturation coronaire provisoire prévient toute percolation bactérienne depuis la cavité orale vers l'endodonte entre les deux séances de traitement.
Accéder à l'endodonte sous-entend une bonne connaissance de l'anatomie canalaire et radiculaire. Dès lors, une radiographie apicale préopératoire ou, mieux, deux radiographies sous différentes incidences pour les dents pluriradiculées sont souhaitables. En cas de complexité majeure, une documentation radiographique en 3D (CBCT) peut être réalisée, en gardant à l'esprit les risques biologiques liés à l'exposition aux rayons ionisants. La Société européenne et la Société américaine d'endodontie ont récemment publié des règles de précaution concernant l'utilisation d'un CBCT en endodontie : son utilisation devrait être limitée aux cas complexes et notamment en cas de diagnostic peu évident, d'anatomie particulièrement difficile et de résorptions radiculaires ou de retraitement endodontique [1, 2].
L'accès endodontique débute par la préparation d'une cavité d'accès. Si cette étape est souvent négligée par le praticien, il est cependant important de rappeler qu'une cavité d'accès bien réalisée permet l'élimination complète des micro-organismes présents au niveau des tissus coronaires, facilite l'accès direct des instruments d'exploration aux canaux radiculaires et, enfin, devrait préserver au maximum les structures coronaires garantes de l'intégrité mécanique de la dent à long terme.
Si certains auteurs tentent de démontrer la supériorité d'un accès endodontique a minima, argumentant d'une résistance mécanique améliorée (ninja access), il ne faudra pas oublier que la décontamination bactérienne reste le facteur prépondérant associé au succès endodontique. Un accès endodontique trop limité ne peut garantir l'élimination contrôlée des agents pathogènes et expose le praticien à des risques accrus de fractures instrumentales lorsque l'instrument interfère avec les tissus coronaires. Le bon sens clinique nous rappelle également que rares sont les dents indemnes de toute destruction coronaire nécessitant un traitement endodontique [3]. A contrario, le praticien sera souvent amené à devoir mettre en place une restauration pré-endodontique dans le but d'optimiser l'étanchéité du champ opératoire (digue) et de jouer le rôle de réservoir pour les solutions d'irrigation. La figure 2 nous rappelle les formes de contours idéales que devrait présenter toute cavité d'accès endodontique [4].
La pose du champ opératoire fait partie intégrante de l'acte endodontique. Au-delà de son rôle majeur dans le contrôle de la charge bactérienne, la digue offre un confort de travail important au praticien et prévient tout risque d'ingestion d'instrument ou de solution d'irrigation par le patient. La littérature récente démontre des taux de succès endodontique diminués lorsque la digue n'a pas été utilisée [5]. Enfin, il semble utile de rappeler ici que l'utilisation de loupes grossissantes, voire d'un microscope opératoire, permet une meilleure localisation et une meilleure identification des entrées canalaires. La classique étude de Stropko a mis en évidence la fréquence plus élevée de 4e canal d'une molaire supérieure (MV2) lorsque la recherche de ce dernier se fait avec microscope [6].
Quel que soit le type d'instrument utilisé, les objectifs poursuivis lors de la mise en forme canalaire restent immuables et sont résumés ci-dessous.
• Préparation conique continue du foramen apical jusqu'à l'orifice d'entrée canalaire.
• Respect de l'anatomie canalaire (flow concept).
• Maintien du foramen apical dans sa position anatomique originelle.
• Maintien du foramen apical aussi étroit que praticable.
Il est intéressant de noter que, si ces objectifs font principalement référence à des concepts mécaniques décrivant la façon adéquate d'éliminer une partie de la dentine canalaire (préparation conique, respect de l'anatomie canalaire et apicale, ouverture apicale), tous reposent sur un ancrage biologique axé sur l'élimination complète des agents pathogènes tout en limitant les interférences biologiques au niveau des tissus péri-apicaux. À titre d'exemple, il est illusoire de croire qu'une solution d'irrigation endodontique pourra être biologiquement active si le canal radiculaire n'a pas été préalablement élargi mécaniquement pour permettre sa bonne pénétration et son échange jusqu'au niveau apical [7].
La mise en forme canalaire débute par la phase d'exploration manuelle du canal radiculaire. Les limes manuelles acier K10, voire de diamètre 08, pré-courbées si nécessaire, sont des instruments incontournables pour vérifier la perméabilité apicale et déterminer la longueur de travail. Si une résistance à la progression apicale est observée, il est indiqué de procéder à l'élargissement du tiers coronaire avant de négocier la portion apicale. Si l'utilisation d'une instrumentation mécanisée est envisagée, il est impératif de sécuriser préalablement la trajectoire canalaire avec une lime K15 ou à l'aide d'un instrument de glide path dédié comme le ProGlider après utilisation d'une lime K10 totalement libre jusqu'au foramen apical. En effet, le volume du canal doit accepter le placement passif de la première lime mécanisée. Une fois la perméabilité canalaire assurée, la phase de mise en forme et de désinfection canalaire peut alors débuter. Pour ce faire, la plupart des praticiens ont opté pour l'utilisation d'une instrumentation mécanisée en nickel-titane. Les traitements thermiques de dernière génération ont permis d'améliorer considérablement la flexibilité, la résistance à la fatigue cyclique, donc la sécurité de ces nouveaux instruments. Si de nombreux systèmes sont actuellement disponibles, le design de l'instrument est important pour atteindre de manière simple, et avec un minimum d'instruments, les objectifs de préparation décrits plus haut. Un des paramètres importants concernant les instruments mécanisés en NiTi est celui de la conicité. Si une grande majorité d'instruments sont conçus en conicité fixe, un avantage réel est offert par les instruments à conicité variable qui présentent une conicité augmentée au niveau apical mais réduite au niveau coronaire. À titre d'exemple, les instruments en rotation continue ProTaper Gold (Dentsply Sirona Endodontics) offrent une conicité apicale de 9 % (F3) mais une conicité coronaire réduite à 5 % ; dans la gamme des instruments à rotation alternée telle que le WaveOne Gold, on retrouve, pour l'instrument Primary, une conicité apicale de 7 % accompagnée d'une diminution de conicité en direction coronaire. La figure 3 illustre le bénéfice d'une conicité apicale augmentée qui permet une meilleure circulation des solutions endodontiques et une meilleure limite apicale garante d'une bonne étanchéité post-obturation par rapport à la mise en forme à l'aide d'instruments de conicité fixe. À noter également que la mise en forme apicale ainsi obtenue est en parfaite adéquation avec les objectifs biologiques (désinfection, obturation) et mécaniques (préservation tissulaire au niveau coronaire).
L'irrigation des canaux radiculaires pendant et après la mise en forme est une étape cruciale du traitement endodontique. Celle-ci est réalisée à l'aide d'agents chimiques tels que l'hypochlorite de sodium (NaOCl) et l'acide éthylène diamine tétra-acétique (EDTA), chacun ayant un rôle bien identifié.
L'hypochlorite de sodium est incontournable en raison de ses excellentes propriétés antibactériennes et dénaturantes des protéines. Une concentration de 3 % de chlore actif est préconisée pour produire un effet détergent sur les tissus pulpaires à éliminer, mais également un effet antibactérien puissant sur les biofilms endodontiques. Le praticien devra garder à l'esprit qu'une concentration plus élevée (5 %, voire plus) augmente non pas l'effet désinfection mais seulement la vitesse de digestion des tissus pulpaires et expose les patients à des effets secondaires plus douloureux en cas d'extrusion apicale. Des études ont mis en évidence que la qualité réelle de l'hypochlorite de sodium utilisé en endodontie était très inférieure à celle que pensent utiliser les praticiens. D'un point de vue pratique, il est conseillé de conserver l'hypochlorite de sodium au froid (4 oC), à l'abri de la lumière, et de s'assurer de sa qualité de production.
L'acide éthylène diamine tétra-acétique est utilisé pour ses propriétés de chélation sur le calcium ; cet acide faible capte le calcium contenu dans la dentine canalaire. Certains auteurs proposent d'utiliser des gels d'EDTA pendant la mise en forme canalaire dans le but principal de lubrifier l'instrument manuel ou mécanisé. Il est également utilisé sous forme liquide, à une concentration de 17 %, à la fin de la mise en forme et dans le but d'éliminer les débris tissulaires (smear layer) accumulés sur les parois canalaires et à l'entrée des canaux accessoires. L'EDTA doit être appliqué pendant 1 minute dans le canal puis neutralisé avec de l'hypochlorite de sodium.
Au-delà de la nature des agents chimiques utilisés, le praticien doit garder à l'esprit que seule une mise en place correcte de la solution permettra d'obtenir l'effet escompté. Pour cela, des aiguilles de petit diamètre (0,3 mm ou 30 G) et un élargissement canalaire suffisant autorisant l'insertion de l'aiguille au niveau apical sont indispensables. Dans ce contexte, la conicité augmentée de la préparation apicale (8 %, voire 9 %) influence significativement le renouvellement de la solution et l'effet désinfectant [8].
Si ces conditions permettent de délivrer l'agent chimique au plus profond du système canalaire, il faut également souligner que la quantité, la durée et la vitesse d'éjection du liquide influencent l'efficacité de ces agents sur les biofilms bactériens. À cet effet, des accessoires d'activation ont été développés ; parmi ceux-ci on distingue des systèmes d'activation manuelle (effet piston d'une pointe de gutta-percha de dimension correspondant à la préparation canalaire) ou mécanisée (sonores, ultrasonores, lasers). Si les avantages réels de ces systèmes d'activation assistés par des machines semblent encore discutés dans la littérature, il est clairement admis que le renouvellement de la solution d'irrigation reste avant tout prépondérant. Dans ce contexte, il est important de rappeler qu'un système de mise en forme canalaire à un seul instrument limite considérablement les options de renouveler la solution comparativement aux systèmes de préparation canalaire reposant sur une série d'instruments.
Assurer l'étanchéité du système canalaire après la mise en forme et la désinfection est le dernier objectif du traitement endodontique. De nos jours, l'association gutta-percha/ciment endodontique reste la combinaison de choix pour fermer l'accès de l'endodonte aux agents pathogènes contenus dans la cavité orale. Parmi les techniques de placement de la gutta-percha, le compactage vertical à chaud reste la technique la plus efficace, notamment lorsque le volume de ciment endodontique est minimal. Le bien-fondé des ciments d'obturation canalaire de type Hydraulic Silicate Cements, connus depuis de nombreuses années mais ré-actualisés sous le nom de bio-céramiques, reste à démontrer, notamment en raison des difficultés qu'ils pourraient engendrer lors d'une reprise de traitement et de leur prix d'achat. Finalement, le praticien doit garder à l'esprit que l'obturation coronaire devra immédiatement faire suite à l'obturation radiculaire ; les obturations coronaires adhésives (obturations directes, onlays, endocrowns) remplissent parfaitement ce cahier des charges en empêchant toute infiltration bactérienne. Les figures 4 et 5 illustrent le résultat clinique obtenu en suivant les recommandations fournies dans ce document ; lorsque celles-ci sont assimilées et correctement exécutées, les taux de survie à long terme des dents traitées endodontiquement excèdent les 95 %.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.