Clinic n° 01 du 01/01/2019

 

Présentation de 4 cas cliniques

PATHOLOGIE

Christian MILIN*   Emmanuel TURBE**  


*Chirurgien-dentiste,
ancien assistant-PH
Exercice libéral
Châtellerault (86)
**Chirurgien-dentiste
Exercice libéral
Châtellerault (86)

Les cémentoblastomes sont des tumeurs odontogéniques rares radiocondensantes, représentant de 1 à 6 % des tumeurs des maxillaires. Leur spécificité est d’être exclusivement d’origine cémentaire, ces tumeurs étant volontiers découvertes au cours de processus algiques parfois sévères. La présentation de 4 cas cliniques de cémentoblastomes va permettre de faire le point sur les caractéristiques cliniques, radiographiques et anatomopathologiques ainsi que les possibilités de prise en charge thérapeutiques.

Présentation des cas cliniques et traitements proposés

La faible prévalence des cémentoblastomes génère des difficultés pour définir un traitement standardisé [1, 2] mais 3 attitudes thérapeutiques sont envisageables.

Abstention thérapeutique et surveillance clinique

Les formes asymptomatiques des cémentoblastomes nécessitent une simple surveillance radiographique et clinique. C’est le cas pour les 2 cas cliniques suivants.

Cas n° 1

M. R. Cédric, 29 ans, est adressé pour avis spécialisé suite à la réalisation d’une radiographie panoramique de routine (fig. 1). On ne retrouve aucune symptomatologie clinique, la radiographie montre une zone radio-dense localisée à l’apex des dents 43 et 44.

Il n’existe pas de discontinuité entre la lésion et les 2 ligaments alors qu’une zone de radio-clareté est observée en périphérie de la lésion. La vitalité pulpaire des dents 43 et 44 est normale. Un diagnostic clinique et radiographique de cémentoblastome est posé et une simple surveillance clinique est proposée.

Cas n° 2

Mme B, 52 ans, présente, au détour de la réalisation d’une radiographie panoramique de routine, une image radio-dense appendue à l’apex de la 43 ceinturée d’un halo périphérique radio-clair (fig. 2). La dent répond positivement aux tests de vitalité.

Un diagnostic de cémentoblastome est posé et aucune investigation clinique ni radiographique supplémentaire n’est proposée compte tenu du caractère asymptomatique de la lésion.

Exérèse chirurgicale associée à l’avulsion de la dent causale

Dans les cas où les traitements antibiotiques n’entraînent pas de diminution des douleurs [3] et où l’avulsion de la dent causale n’est pas suffisante pour stopper la croissance de la tumeur.

Le cémentoblastome étant considéré comme une véritable entité néoplasique, son exérèse par énucléation et avulsion de la dent incriminée est généralement le traitement le plus classique recommandé dans ces formes algiques. Il y a nécessité d’une surveillance radiographique compte tenu d’un risque de récidive peut-être sous-estimé [1, 4].

Cas n° 3

M. D, 15 ans, consulte pour d’importantes douleurs mandibulaires droites ne cédant ni aux AINS ni au paracétamol. On observe, à l’examen panoramique, une lésion carieuse sur la 47 alors que la 46 présente une ostéo-condensation inter-radiculaire ceinturée d’un halo radio-clair périphérique puis d’une zone d’ostéosclérose (fig. 3).

L’examen TDM réalisé met en évidence une lésion radio-dense sphérique intéressant les deux racines de 46 en continuité avec le ligament alvéolo-dentaire (fig. 4 et 5).

Le traitement a consisté en l’exérèse chirurgicale de la lésion et de la dent sous anesthésie générale, une première tentative sous anesthésie locorégionale s’étant avérée impossible du fait d’une anesthésie inopérante.

Traitement endodontique, exérèse de la lésion et apicectomie de la dent causale

Des traitements endodontiques de la dent causale associés à des apicectomies et à des exérèses chirurgicales de la tumeur constituent la seule alternative thérapeutique.

Cette option thérapeutique est rarement décrite dans la littérature. Elle a été présentée initialement en 1984. Cette technique chirurgicale permet la conservation de la dent causale et doit être précédée d’un traitement canalaire de la dent suivi d’une apicectomie et d’une énucléation de la lésion tumorale [2, 5].

Cette technique était toutefois limitée à la prise en charge des dents mono-radiculées mais une publication a présenté la prise en charge d’une dent pluri-radiculée (ayant par ailleurs nécessité une reprise chirurgicale) [2].

Cas n° 4

M. B, 35 ans, consulte son chirurgien-dentiste pour des algies mandibulaires gauches modérées qui se révèlent majorées aux percussions sur la 33.

On retrouve une image d’ostéo-condensation en regard de l’apex de la 33, ceinturée d’un halo radio-clair périphérique, ce halo étant lui-même cerné d’une zone d’ostéo-condensation périphérique (fig. 6).

Un traitement canalaire de la 33 suivi d’une résection apicale et d’une exérèse chirurgicale de la tumeur est réalisé.

Taux de récidives selon le traitement

Le cémentoblastome était habituellement considéré comme une néoplasie dont l’exérèse associée à l’avulsion de la dent causale n’entraînait pas de récidive [2, 6].

C’est l’étude de Brannon, en 2004, qui attire l’attention sur un taux anormalement élevé de récidives après traitement (37,1 % de récidives) alors que Chrcanovic, sur 258 cas décrits dans la littérature, trouve un taux de récidive de 11,8 % [4].

Dans l’étude de Brannon, 40 % des traitements ont été réalisés avec la conservation de la dent causale avec ou sans apicectomie permettant de conclure qu’un traitement conservateur présente un risque de récidive élevé.

Historique

La première description historique d’un cémentoblastome est attribuée à Norberg, en 1930 [7].

À partir de 1966, l’OMS, dans sa révision de la classification des tumeurs odontogéniques, va subdiviser les cémentomes en 4 entités distinctes : le cémentoblastome bénin, le fibrome cémentifiant, la dysplasie cémentaire péri-apicale et le cémentome gigantiforme [8].

La définition du cémentoblastome est désormais : néoplasme caractérisé par la formation de plages de tissus cémentaire pouvant contenir un grand nombre de lignes non minéralisées à la périphérie de la masse tumorale.

Étiopathogénie

Le cémentoblastome constitue une tumeur bénigne issue d’une prolifération du tissu conjonctif du ligament parodontal et on peut aussi noter qu’aucun cas de dégénérescence maligne n’a été observé sur ces lésions.

Épidémiologie

Il s’agit traditionnellement d’une tumeur de l’adulte jeune, le jeune âge de découverte des patients étant spécifique des cémentoblastomes, avec des patients âgés de 8 à 30 ans et une distribution entre homme et femme très variable selon les études.

Ces lésions sont habituellement solitaires, localisées préférentiellement à la mandibule (80 % des cas) et plus particulièrement sur les racines des prémolaires et molaires.

Les secteurs dentés maxillaires peuvent présenter beaucoup plus rarement des tumeurs cémentaires et on peut observer exceptionnellement ces lésions sur les dents déciduales [9] (13 cas décrits) ou sur des incisives maxillaires ou mandibulaires [10].

Il existe par ailleurs un cas décrit de cémentoblastome intéressant plusieurs dents maxillaires [11] et un cas impliquant une dent de sagesse incluse.

Anatomopathologie

La spécificité histologique des cémentoblastomes est de ne présenter que des tissus d’origine exclusivement cémentaire. Il existe un certain degré de variations interindividuelles [12] et l’aspect peut évoquer des lésions fibro-osseuses (dysplasie cémento-osseuses, fibrome cémento-ossifiant, dysplasie fibreuse).

On retrouve un tissu conjonctif avec des infiltrations de cellules inflammatoires, le tissu osseux périphérique montrant des signes de résorption et d’apposition en alternance avec une inflammation non spécifique chronique. Les tissus lésionnels présentent des plages acellulaires de cément, un stroma fibro-vasculaire dans lequel on retrouve des cémentoblastes et des cellules évoquant les ostéoblastes.

Plusieurs agrégations de cellules géantes multi-nucléaires ressemblant à des ostéoclastes sont retrouvées.

Les structures trabéculaires périphériques sont constituée de bandes de collagène, non ou faiblement minéralisé (immature), et de cément immature associé à des cémentoblastes dans les parties intérieures. Une fine capsule conjonctive périphérique est retrouvée et on observe, dans la zone centrale, des globules ovoïdes de matériel similaire à du cément.

La lésion est fortement vascularisée, avec de nombreux vaisseaux sanguins, Les composants minéralisés sont formés d’hydroxy-apatite faiblement cristallisé.

L’examen de la pulpe, lorsqu’il est réalisé, ne montre aucun signe d’inflammation [12].

Dans les zones cellulaires, on peut observer des petites formations cémentaires et des zones atypiques pouvant entraîner une erreur de diagnostic en évoquant un possible ostéosarcome, ostéoblastome [13] ou ostéome ostéoïde [6].

Diagnostic

Aspect clinique

La taille de la tumeur varie de 1 à 8 cm de diamètre, les symptômes cliniques étant dominés par des tuméfactions et des algies :

• tuméfaction : on observe des voussures corticales, la tumeur pouvant détruire les corticales palatine et vestibulaire. Des asymétries faciales, parfois une disparition du fond du vestibule [12] associée à des déplacements dentaires [14], des résorptions dentaires ou des processus infectieux [15] peuvent être mis en évidence. La palpation des tuméfactions est indolore [12] ;

- des algies [3] continues ou intermittentes sont retrouvées dans près de 70 % des cas. Ces douleurs peuvent apparaître plusieurs mois après l’apparition des tuméfactions [12, 14], sont d’installation progressive et peuvent parfois être particulièrement sévères (de type pulpite).

Des paresthésies sont occasionnellement décrites [6] et peu de lésions (12 %) apparaissent totalement asymptomatiques.

Les dents associées aux cémentoblastomes sont habituellement vitales. Cependant, certaines dents peuvent ne pas répondre aux tests pulpaires : ce résultat négatif peut être induit par l’expansion tumorale autour des apex radiculaires induisant une compression nerveuse et vasculaire [6].

Aspect radiographique

L’aspect radiographique varie en fonction de l’état de maturation de la tumeur [14]. Quelques rarissimes cas cliniques de lésions exclusivement radio-transparentes ont été décrits [1], constituant probablement des formes immatures de cémentoblastome [10].

Avec la maturation de la lésion, la radio-opacité augmente pour aboutir à la forme classique du cémentoblastome : une lésion solitaire d’aspect cémentaire arrondi, radio-dense, d’aspect cotonneux en connexion directe avec la racine dentaire (y compris déciduale) entraînant une disparition du ligament alvéolaire [6, 8].

La racine dentaire est parfois résorbée [8], le canal dentaire pouvant être déplacé par la tumeur.

La lésion radio-dense présente une fine bordure radio-claire périphérique [8].

Le cémentoblastome bénin va se différencier radiographiquement d’une ostéite condensante (ostéosclérose) par la présence d’une mince bordure radio-claire ceinturant la tumeur radio-dense.

Évolution

Le potentiel de croissance de ces lésions reste discuté.

Le cémentoblastome s’accroît lentement, pouvant atteindre la corticale osseuse ; son centre se calcifie progressivement ; la croissance de la tumeur apparaît en opposition avec les dysplasies péri-apicales, à croissance locale limitée. On remarque aussi que l’avulsion de la dent causale n’est pas suffisante pour stopper l’accroissement du cémentoblastome.

Le cémentoblastome a longtemps été considéré comme une tumeur bénigne, non récidivante, alors que, dès 1976, Langdon rapportait un cas de récidive locale après exérèse complète d’une cémentoblastome [3].

Des récidives sont aussi observées [4, 16] avec un taux variant de 6 % [17] à 12 % [4], un taux de récidive particulièrement élevé (37 %) étant retrouvé dans l’étude de Brannon sur 44 cas [6] (ce taux élevé peut être expliqué par des options thérapeutiques n’impliquant pas l’avulsion de la dent causale ou des énucléations partielles de la tumeur).

Les facteurs influençant le taux de récidive, en dehors des choix thérapeutiques (conservation de la dent, exérèse partielle de la tumeur), sont l’importance de l’expansion de la lésion et la perforation des corticales par le cémentoblastome [4].

Compte tenu de cette tendance à la récidive, une surveillance clinique à long terme devra donc être instaurée.

Diagnostics différentiels

Les diagnostics différentiels doivent évoquer les autres lésions cémentaires avec toutes les lésions fibro-osseuses des maxillaires, dont le fibrome cémento-ossifiant, les dysplasies fibreuses, les dysplasies cémento-osseuses mais aussi les odontomes, les kystes odontogènes calcifiés, les ostéoblastomes et ostéomes ostéoïdes, voire les ostéosarcomes.

Fibrome cémento-ossifiant

Processus néoplasique rare naissant à partir des cellules du ligament parodontal. Il s’agit de lésions histologiquement proches des dysplasies cémento-osseuses, se présentant radiographiquement comme des lésions radio-claires avec ou sans liseré dense périphérique, un aspect mixte radio-claire et radio-dense étant retrouvé dans 40 % des cas.

Dysplasie fibreuse

Le tissu osseux est remplacé par un tissu fibreux anormal, évoluant le plus souvent favorablement après la puberté. Ces lésions peuvent être mono-ostotiques (limitées à un seul os dans 70 % des cas), poly-ostotiques (plusieurs os touchés), voire intégrées dans le syndrome de Mac Cune Albrigth (dysplasie fibreuse, hyperthyroïdie, mélanose cutanée et puberté précoce).

Dysplasie cémento-osseuse

Il s’agit de lésions non tumorales, se divisant en dysplasie cémento-osseuse focale (péri-apicale), dysplasie cémento-osseuse floride et cémentome gigantiforme [17].

La dysplasie osseuse péri-apicale est la plus fréquente des dysplasies osseuses, majoritairement féminine à forte prédominance asiatique et africaine et se caractérisant par des images mixtes radio-claires/radio-denses au niveau des apex des incisives inférieures.

La dysplasie cémento-osseuse floride (dysplasie osseuse floride) touche majoritairement les femmes mélanodermes, intéresse les 4 secteurs prémolo-molaires et évoque radiographiquement les dysplasies péri-apicales mais avec un processus beaucoup plus exubérant.

Le cémentome gigantiforme est une entité clinique de définition plus récente caractérisée par son caractère génétique autosomique dominant avec des lésions bilatérales.

Odontomes

Un odontome à l’apex d’une dent peut donner une image évocatrice d’un cémentoblastome mais l’odontome se présente sous la forme d’une radio-opacité hétérogène évoquant des tissus dentaires.

Kyste odontogénique calcifié (kyste de Gorlin) Il représente 2 à 5 % des tumeurs odontogéniques et se présente sous la forme de lésion radio-claire dans laquelle se retrouvent des cellules calcifiées.

Ostéomyélite sclérosante diffuse

Il s’agit d’un processus inflammatoire chronique non infectieux, associé ou non à un syndrome SAPHO [3].

Ostéoblastome

Le cémentoblastome présente des traits histologiques similaires à ceux de l’ostéoblastome [12, 19]. Il faut noter que le cémentoblastome est toujours associé à une racine dentaire alors que l’ostéoblastome apparaît dans les zones osseuses médullaires sans rapport avec une racine dentaire.

Cette tumeur représente 3 % des tumeurs osseuses.

Ostéome ostéoïde

C’est une petite lésion, à nidus central hypovasculaire, à croissance lente mais douloureuse (principalement nocturne), répondant correctement aux salicylés et représentant 12 % des tumeurs osseuses.

Ostéosarcome

Il s’agit d’une tumeur osseuse maligne touchant rarement le massif facial, formée par une tuméfaction volontiers indolore, parfois algique, caractérisée par une masse souvent calcifiée à limite irrégulière et envahissant les structures de voisinage.

Des atypies cellulaires observées lors de l’examen anatomopathologique peuvent poser des difficultés diagnostiques avec le cémentoblastome [13, 20].

Conclusion

Malgré leur rareté, les diagnostics de cémentoblastome se doivent d’être évoqués devant la découverte de lésions radiographiques des maxillaires mixtes radio-claires/radio-denses associées à des dents permanentes ou lactéales.

Une possible confusion avec des lésions de type ostéosarcome ainsi que des possibilités de récidive après exérèse doivent interpeller les praticiens et permettre un suivi plus rigoureux de ces lésions.

La variabilité des taux de récidive selon les études fait qu’il est difficile de définir le traitement idéal de ces lésions tumorales : des taux de récidive anormalement élevés peuvent être liés à des énucléations partielles ou à des curetages sans extraction de la dent causale [1] mais les probabilités de récidive apparaissent plus liées à la taille de la lésion et à la perforation des corticales osseuses [4].

Dans l’attente d’autres études sur la prise en charge de ces cémentoblastomes, le traitement par avulsion de la dent causale et exérèse chirurgicale complète de la lésion tumorale reste le traitement de première intention.

Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.

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