RESTAURATION
Romain CEINOS* Claire PARVEAUX** Marie-France BERTRAND***
*Docteur en chirurgie-dentaire
**MCU-PH, réhabilitation orale
Université Côte d’Azur
CHU Pôle d’odontologie,
Nice
***Étudiante en chirurgie-dentaire
****Docteur en chirurgie-dentaire
*****PU-PH, réhabilitation orale
Université Côte d’Azur
CHU Pôle d’odontologie, Nice
Laboratoire microbiologie orale, immunothérapie
et sante (MICORALIS)
Nice
La méthode d’érosion/infiltration est venue bousculer nos habitudes opératoires dans le traitement des lésions carieuses débutantes en apportant une solution alternative aux préparations cavitaires a minima (micro-dentisterie). Outre la difficulté inhérente aux préparations tissulaires a minima imposant une instrumentation spécifique (aides optiques, micro-instruments travaillants ultrasonores…), le coût tissulaire bien que minime restait jusqu’alors un impératif dans nombre de cas cliniques. Le système Icon® grâce au procédé d’infiltration va permettre de stabiliser le processus carieux en l’absence de préparation. Cette méthode couplée aux techniques conventionnelles de restauration de l’organe dentaire offre la possibilité au chirurgien-dentiste d’accéder à un nouveau seuil de respect de l’économie tissulaire.
L’érosion/infiltration est une technique ultra-conservatrice venant combler le gap entre les méthodes préventives et l’intervention restauratrice classique (qui, aussi minutieuse soit-elle, impose une perte tissulaire pour l’organe dentaire) [1]. L’objectif est de pouvoir atteindre puis infiltrer les lésions carieuses débutantes de l’émail (stades ICDAS 1-2) [2] à l’aide d’une résine hyperfluide afin de stopper la progression des acides cariogènes à un stade précoce. L’application du système Icon® (Dental Milestones Guaranteed, Hambourg, Allemagne ; commercialisé par la société Pred®) est actuellement le seul à permettre ce traitement. Il se déroule en deux temps [3] :
• premier temps (érosion) : les dents sont isolées à l’aide d’une digue dentaire puis la surface amélaire est traitée par application d’un acide chlorhydrique 15 %. Cette attaque acide vient « ouvrir » les porosités amélaires pour permettre la pénétration de l’infiltrant ;
• deuxième temps (infiltration) : l’acide est neutralisé par rinçage puis le cœur de la lésion est séché à l’aide d’un alcool éthanol 99 % pour une infiltration optimale par capillarité d’une résine ultra-fluide au sein de la lésion. Après élimination des excès, la résine est photopolymérisée puis polie.
Sous le prisme des études in vitro et in vivo [4], l’efficacité dans la stabilisation des lésions carieuses n’est pas contestable. L’infiltration de résine peut être considérée comme un traitement sûr et efficace pour réduire la progression de la carie initiale [5-8]. De plus, cette technique s’avère confortable et présente un fort taux de satisfaction vis-à-vis du patient.
Son pouvoir esthétique pour le masquage des taches blanches [10-13] a largement contribué à promouvoir son utilisation. L’Icon® a vu son cadre d’indications s’élargir aux traitements de pathologies telles que les MIH, les fluoroses, les hypominéralisations post-traumatiques [14-16] et les white-spots survenant à la suite des traitements orthodontiques multi-attaches fixes [17]. Il est à noter que le bon diagnostic initial de la lésion permet de mener le traitement d’érosion/infiltration selon une méthodologie adaptative (traitement superficiel ou en profondeur) [18, 19]. Même si l’interrogation concernant la tenue sur le long terme des résultats obtenus peut nous imposer une certaine réserve [20], un respect rigoureux du protocole clinique, la mise en place d’un polissage soigneux [21] (faisant suite à une photopolymérisation sous film de glycérine) et une modification des habitudes alimentaires (les tanins contenus dans le vin ou le café ont pour effet d’altérer la couleur) [22] montrent des résultats très encourageants à moyens termes [23, 24]. La méthode se révèle être facile, rapide et indolore et modifie l’apparence de la lésion de la tache blanche pour un résultat esthétiquement intéressant [25]. Cette approche conservatrice à l’extrême répond parfaitement à la philosophie du respect du gradient thérapeutique et vient ainsi compléter l’arsenal thérapeutique du praticien dans bon nombre de traitements esthétiques en l’absence de mutilation tissulaire [26].
En 2011 on émettait déjà l’hypothèse que l’érosion/infiltration d’une carie avant l’application d’un adhésif conventionnel pourrait correspondre à « pré-traitement » bénéfique dans les restaurations incluant de l’émail déminéralisé [27]. Cette hypothèse a par la suite été éprouvée dans le temps [28] et la combinaison de restaurations aux résines composites sur des substrats dentaires infiltrés en résine s’est imposée comme une nouvelle alternative thérapeutique. Depuis, les études in vitro viennent renforcer la légitimité de cette technique. En effet, le pré-traitement de l’émail déminéralisé par infiltration de résine entraîne une augmentation significative de l’intégrité des marges de restaurations [29]. De plus, la micro-dureté de surface d’un émail hypominéralisé est peu ou prou renforcée par l’infiltration résineuse [30, 31] (elle serait cependant meilleure eu égard au traitement par sealant conventionnel) [32]. Ainsi, certains auteurs mettent en avant la faible qualité de surface des lésions naissantes infiltrées et recommandent de les recouvrir, dans un second temps, avec une résine de restauration afin d’en améliorer les propriétés mécaniques [33]. Les forces de liaison d’un émail traité par infiltration suivi d’un conditionnement tissulaire classique (attaque chimique par acide orthophosphorique suivie de l’application d’un système adhésif) ne semblent pas être améliorées mais elles ne sont pas pour autant diminuées [34, 35]. L’utilisation d’une résine de restauration suite à une infiltration Icon va donc pouvoir, d’une part, rétablir les pertes de substances superficielles de petit volume et, d’autre part, renforcer le pouvoir masquant des dyschromies, en particulier lors des traitements des hypominéralisations profondes.
Le cas clinique présenté ici a remporté la 3e place nationale dans le cadre du concours Ceram.X® 2017/2018 organisé par Densply-Sirona® (York, Pennsylvanie, États-Unis).
Le patient consulte suite à une chute ayant entraîné les fractures des bords libres incisifs sans exposition pulpaire : 11-31-41 vitales, 21 nécrosée et fortement dyschromiée consécutivement au trauma. L’examen clinique révèle notamment une hygiène orale perfectible avec une surface tachetée blanche et poreuse de prémolaire à prémolaire signant une attaque de la phase minérale amélaire par les acides bactériens présents au sein de la plaque (fig. 1). Au cours de l’interrogatoire, le patient confie être un gros consommateur de sodas. Eu égard aux lésions cervicales des canines maxillaires, des pertes de substances consécutives au trauma et aux diverses altérations de surfaces des caries débutantes, le plan de traitement s’est orienté vers une solution ultra-conservatrice mêlant technique d’érosion/infiltration et restaurations directes.
• Suppression des étiologies carieuses, conseils d’hygiène bucco-dentaire et alimentaires.
• Traitement endodontique de 21 couplé à une technique d’éclaircissement interne.
• Planification des restaurations via une étude colorimétrique et une cire de diagnostic (Technicien laboratoire : Mickael Griet) (fig. 2 à 5).
• Exérèses carieuses et restaurations directes de 13-23 (fig. 6 à 14).
• Érosion/infiltration des incisives latérales maxillaires suivie d’un rétablissement des bombés cervicaux par techniques directes (fig. 15 à 51).
• Stratifications anatomiques aux résines composites de 11-21 (fig. 52 à 70).
• Érosion/infiltration et corrections des micro-pertes de substances par méthodes directes sur l’ensemble des dents mandibulaires incriminées par les lésions débutantes (fig. 71 à 78).
L’érosion/infiltration est une méthode « jeune » qui, en moins d’une dizaine d’années, a prouvé son efficacité dans la stabilisation des lésions carieuses débutantes et dont le cadre d’indications s’est vu largement augmenté dans le traitement des dyschromies. Le système Icon® associé aux moyens restaurateurs conventionnels apporte des perspectives de traitements pour nos patients toujours plus performantes dans la préservation tissulaire. L’efficacité des traitements par érosion/infiltration combinés ou non aux résines composites reste cependant à prouver sur le long terme.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.