Clinic n° 10 du 01/10/2018

 

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AVANT-PREMIÈRE - CONGRÈS DE L'ADF

Charles Toledano  

En plus de l’usure attritive, nous sommes de plus en plus confrontés aujourd’hui à une usure par érosion acide, qui augmente nettement la vitesse d’évolution du processus de destruction des tissus dentaires et amène des patients de plus en plus jeunes à être concernés par cette problématique. Cette rapidité d’évolution inquiète alors ces patients et ne permet pas toujours à la dentine de mettre en œuvre ses mécanismes de défense, entrainant l’apparition de...


En plus de l’usure attritive, nous sommes de plus en plus confrontés aujourd’hui à une usure par érosion acide, qui augmente nettement la vitesse d’évolution du processus de destruction des tissus dentaires et amène des patients de plus en plus jeunes à être concernés par cette problématique. Cette rapidité d’évolution inquiète alors ces patients et ne permet pas toujours à la dentine de mettre en œuvre ses mécanismes de défense, entrainant l’apparition de sensibilités dentinaires parfois insupportables (fig. 1).

Ces facteurs d’attrition et d’érosion peuvent d’ailleurs se cumuler.

Aujourd’hui, patients et praticiens acceptent de moins en moins cette situation évolutive :

• les premiers parce que la demande esthétique est beaucoup plus importante et que nous devons l’entendre et la prendre en charge ;

• les seconds parce que les progrès des matériaux et des protocoles de collage nous permettent de proposer des solutions fiables esthétiquement et fonctionnellement à moindre coût biologique. Sous l’impulsion de Francesca Vailati et Urs Belser il y a 10 ans [1], plusieurs protocoles ont été proposés pour prendre en charge et réhabiliter ces patients. Tous ces protocoles ont en commun d’envisager le traitement en plusieurs étapes :

1. Analyse esthétique et fonctionnelle

2. Évaluation de la DVO

3.Wax up et masque en résine

4. Préparation des secteurs antérieurs

5. Collage des restaurations en céramiques antérieures

6. Préparation des secteurs postérieurs

7. Collage des restaurations en céramiques postérieures Cette chronologie globale est assez consensuelle.

1. Analyse esthétique et fonctionnelle (séance clinique 1)

L’analyse esthétique consiste essentiellement à observer :

• les lignes principales du visage (ligne bipupillaire horizontale et ligne médiane verticale) ;

• les rapports des dents et des lèvres lors du sourire naturel ;

• la forme et l’axe des dents.

Cette analyse permet de déduire les modifications à apporter selon les critères esthétiques idéaux qui sont les suivants :

• la ligne des bords incisifs (le plan frontal esthétique) est convexe et suit la concavité de la lèvre inférieure ;

• les bords incisifs affleurent la lèvre inférieure ;

• l’axe vertical des deux incisives centrales est rectiligne et parallèle à l’axe vertical du visage ;

• les bords incisifs des centrales forment une ligne parallèle à la ligne bipupillaire ;

• l’incisive centrale a un rapport hauteur/largeur d’environ 80 % et domine les latérales ;

• le bord incisif des incisives latérales est en retrait de 0,5 mm à 1 mm par rapport aux bords des incisives centrales et aux pointes canines ;

• il y a une harmonie de couleur entre les dents.

Un bilan photographique précis doit donc être réalisé en premier lieu et adressé au prothésiste. Il est accompagné de l’analyse esthétique dont découlent les mesures du wax-up (fig. 2). La transmission des axes du visage complète ces données.

L’analyse fonctionnelle consiste à vérifier préalablement l’absence de symptômes articulaires ou musculaires et l’intégrité des rapports occlusaux.

Ces symptômes doivent être traités avant d’envisager une réhabilitation globale définitive.

Une prise d’arc facial complète cette analyse pour transmettre au laboratoire le maximum de précisions en vue de la reconstruction des arcades.

2. Évaluation de la DVO (séance clinique 1)

Même si l’usure s’accompagne fréquemment d’une égression compensatrice, il est souvent préférable d’augmenter la DVO pour créer un espace suffisant à une réhabilitation esthétique et fonctionnelle et permettre une préparation minimale des tissus dentaires résiduels. Il semble qu’une augmentation maximale de 5 mm au niveau du secteur antérieur soit possible sans conséquence néfaste sur les articulations temporo-mandibulaires. Cette augmentation peut être évaluée à l’aide d’un jig antérieur directement en bouche.

Ce jig, lorsqu’il est réalisé en composite, permet d’ailleurs de contrôler la longueur des deux incisives centrales par rapport à la lèvre inférieure, ainsi que le parallélisme des bords incisifs avec la ligne bipupillaire. Un silicone d’occlusion est ensuite injecté dans l’espace postérieur ainsi créé.

Les auteurs sont toutefois partagés entre reconstruire en relation centrée ou en OIM.

Ces données sont transmises au prothésiste grâce à :

• des empreintes de la situation initiale ;

• un bilan photographique ;

• un projet esthétique (les techniques de « smile design » peuvent être d’une aide précieuse, lorsqu’elles sont maîtrisées, pour transmettre des mesures précises au laboratoire mais présentent l’inconvénient d’être relativement chronophages) ;

• une prise d’arc facial ;

• la communication des axes du visage (Ditramax®, OneBite Bisico®…) ;

• le jig en composite ;

• la clé d’occlusion en silicone.

3. Wax-up et masque en résine (séance clinique 2)

L’ensemble de ces éléments permet la réalisation d’un wax-up précis qui sera transféré en bouche sous la forme d’un masque en résine.

Le wax-up ne doit pas recouvrir toutes les dents ni toutes les faces dentaires pour permettre de laisser des zones de repositionnement précises lors de l’enfoncement complet des clés en silicone qui seront réalisées ; il ne concerne en général ni les faces palatines ou linguales ni les molaires terminales. Le palais est aussi conservé dans la clé par exemple (fig. 3). Après avoir dupliqué les wax-up en plâtre, des clés en silicone, les plus rigides possible, sont réalisées.

Deux options existent :

• des clés sectorielles transparentes épaisses et rigides réalisées au laboratoire et qui seront remplies de composite photopolymérisable réchauffé. Cette option permet de reconstruire les dents avec un matériau résistant mécaniquement et donc plus durable.

Une approche simplifiée, testée avec succès depuis plus d’un an, consiste à remplacer le composite réchauffé par une résine de faible viscosité mais extrêmement chargée (GrandioSO® Heavy Flow®, Voco®). Cette résine nano-hybride contient entre 78 et 83 % de charges en poids, ce qui la situe dans les plus chargées, contrairement aux autres résines fluides qui, elles, contiennent environ 60 % de charges en moyenne. De plus, sa dureté initiale élevée (68 Vickers) reste extrêmement stable dans le temps (63 Vickers après deux ans d’immersion). Cette option est plus rapide et nécessite moins de matériel [2].

Les clés en silicone du laboratoire peuvent d’ailleurs être remplacées par des porte-empreintes en silicone transparent rigide, remplis de silicone transparent injectable (Mémosil 2®, Heraeus Kulzer®), permettant ainsi la photopolymérisation de la résine au travers (fig. 4).

• des clés en silicone de laboratoire rigide et non transparent, qui seront remplies de résine provisoire bis-acrylique. Cette option, plus conventionnelle, permet de reconstruire l’arcade en une étape avec un matériau moins résistant à long terme mais plus rapide à mettre en place et plus facile à fraiser ensuite (technique du full mock-up) [3].

Ce masque en résine est collé par des spots de mordançage et d’adhésif universel à même les dents saines et les restaurations (céramique, composite, amalgame) qui, à ce stade, ne sont pas déposées. Il permet de tester l’esthétique, la phonation, la mastication et l’occlusion.

Le choix de la technique se fera donc généralement en fonction :

• de la présence d’une symptomatologie nécessitant une période de test plus longue, jusqu’à disparition des douleurs ;

• de l’étiologie de l’usure : l’usure attritive nécessite l’utilisation d’une résine plus résistante que l’usure par érosion acide, qui entraîne moins de contraintes mécaniques occlusales ;

• du patient (étalement du traitement pour des raisons financières, disponibilité professionnelle ou privée, corpulence, angoisse…).

À ce stade, le masque est laissé pendant une période plus ou moins longue selon le contexte clinique (si certains auteurs taillent immédiatement dans le masque en l’absence de symptomatologie, un délai d’environ deux mois avant de passer à la réalisation des restaurations définitives nous semble plus prudent). Quelques séances de retouches fonctionnelles et esthétiques peuvent être nécessaires durant cette phase de test.

4. Préparation des secteurs antérieurs (séance clinique 3)

L’esthétique guide la fonction.

L’augmentation de la DVO crée une béance palatine antérieure qui va permettre une reconstruction du secteur incisivo-canin à faible coût tissulaire.

Secteur antérieur mandibulaire

Si le degré d’usure le permet, les bords incisifs du secteur incisivo-canin inférieur peuvent souvent être reconstitués, au moins dans un premier temps, par des composites stratifiés. Si l’usure est trop importante et affecte aussi les faces vestibulaires, ou si l’exigence esthétique le justifie, des facettes vestibulaires en céramique seront préparées.

Secteur antérieur maxillaire

Au maxillaire, plusieurs options peuvent être envisagées :

• Facettes palatines en composite : cette solution est en général indiquée lorsque les faces vestibulaires sont peu usées en longueur et en épaisseur et que le patient n’a pas de demande esthétique forte.

• Facettes bilaminaires : cela consiste à réaliser une facette palatine en composite et une facette vestibulaire en céramique.

• Facettes à 360° : la différence avec une couronne périphérique réside essentiellement dans l’épaisseur plus fine de la pièce en céramique (environ 0,5 mm), qui permet une préservation amélaire maximale [4].

• Facettes cavalier : il s’agit d’une facette à 360° mais qui respecte les faces proximales et donc les points de contact.

5. Collage des restaurations en céramiques antérieures (séance clinique 4)

Les facettes sont réalisées en disilicate de lithium qui sera mordancé à l’acide fluorhydrique puis silanisé. Le collage se fera de préférence à l’aide d’une colle sans potentiel adhésif, après mordançage de l’émail et application d’un adhésif fin. Le champ opératoire peut être positionné selon la préférence de chacun, en cadran ou unitairement sur chaque dent. En cas de facettes bilaminaires, les facettes palatines seront réalisées et collées avant les facettes vestibulaires.

6. Préparation des secteurs postérieurs (séances cliniques 5 et 7)

Après taille dans les masques selon le même protocole que celui utilisé dans les secteurs antérieurs, les anciennes restaurations éventuelles sont retirées à cette étape et une hybridation dentinaire immédiate, avec un adhésif MR3 recouvert de composite fluide, permet de créer un design cavitaire optimal lorsque cela s’avère nécessaire (fig. 5).

Si certains auteurs préconisent une épaisseur minimale de céramique de 0,5 mm en occlusal (table top), il semble qu’une épaisseur de 1,5 mm soit prudente pour réduire les risques de fractures ou de chipping, en particulier dans les cas de bruxisme. Il est souvent préférable de reconstituer les prémolaires par des veneerlays pour des raisons esthétiques, et les molaires par des overlays pour des raisons biologiques.

7. Collage des restaurations en céramiques postérieures (séances cliniques 6 et 8)

Les protocoles sont les mêmes que ceux réalisés en antérieur.

Les publications de Vailati et Belser sur la restauration des arcades usées ont été révolutionnaires, car elles ont permis d’apporter une réponse thérapeutique à ces situations d’usure qui n’étaient que rarement prises en charge.

Elles n’en ont pas moins été sujettes à de nombreuses discussions sur sa complexité et son coût, et chacun a essayé de trouver des moyens d’apporter des simplifications à cette « three step technique ».

S’il est permis de modifier certains détails cliniques, un consensus semble établi sur la chronologie des grandes phases du traitement.

La recherche de l’étiologie et l’implication du patient dans la prévention sont indispensables, et la réhabilitation ne nous exempte pas de réaliser en fin de traitement une gouttière de protection en cas de bruxisme. La philosophie de préservation tissulaire doit rester le maître-mot pour guider le praticien dans ses choix thérapeutiques.

Conclusion

Cette séance de travaux pratiques de 3h se propose de faire le point sur ces procédures et de vous proposer un protocole clair pour vous permettre de traiter ces cas complets et complexes.

Vous serez accompagnés pas à pas par des encadrants expérimenté pour réaliser vous même :

• un jig antérieur en résine pour augmenter la dimension verticale d’occlusion et la transmettre au laboratoire

• des clés de transfert en silicone transparent du wax up

• un masque en résine composite collé sur les secteurs postérieurs

• la préparation d’overlays sur les molaires et de veneerlays sur les prémolaires.

Prothèses et occlusodontie

Atelier de travaux pratiques B31

Usure : masques et préparation d’overlays/veneerlays

Mercredi 28 novembre 2018, 14 heures/17 heures

Responsable scientifique : Charles Toledano

Objectifs

• Apprendre à augmenter une dimension verticale dans une situation d’usure sévère.

• Apprendre à valider un projet esthétique et fonctionnel en bouche par l’intermédiaire de masques en résine

• Apprendre à préparer des overlays et des veneerlays en céramique dans les secteurs postérieurs.

Intervenants : Mathieu Contrepois, Olivier Leroux, Chloé Plassart-Geneste, François Reitzer, Ruben Abou, Delphine Uzan, Grégoire Flaus

Bibliographie

  • [1] Vailati F, Belser UC. Full-mouth adhesive rehabilitation of a severely eroded dentition : the threestep technique. Part 1. Eur J Esthet Dent 2008;3 (1):30-44.
  • [2] Étienne O, Watzki D. La reconstruction des surfaces occlusales par overlays en céramique collée. Rev Odont Stomat 2017;46:264-278.
  • [3] Koubi. S., Galip G., Massihi R., Margossian P., Tassery H. Traitement de l’usure : rôle fondamental du projet esthétique et fonctionnel. L’information Dentaire 2014;31-17.
  • [4] Étienne O, Weber I, Watzki D. Restaurations esthétiques en céramique collée (RECC) et traitement de l’usure : chronologie clinique. Real Clin 2018;29 (2):127-137.
  • [5] Traitement de l’usure : rôle fondamental du projet esthétique et fonctionnel.

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