RESTAURATION
Hervé PLARD* Éric PORIN** Jérémie PERRIN***
*Praticien attaché CHU de Rennes
**Ancien assistant hospitalo-universitaire
Pratique privée à Laval
***Prothésiste dentaire à Laval
****Ancien assistant hospitalo-universitaire
Pratique privée à Planguenoual
De nombreuses situations cliniques assez diverses peuvent entraîner un sourire dysharmonieux. Les progrès réalisés depuis plusieurs années dans les techniques et les biomatériaux ont permis de développer des reconstructions dentaires, réparatrices ou correctrices, très fiables et de haute qualité esthétique. Le défi majeur est de bien connaître et maîtriser l’ensemble de ces possibilités thérapeutiques afin de mettre en œuvre celles qui sont idéalement les moins mutilantes (notion de gradient thérapeutique [1]), les plus simples et les plus pérennes pour une situation clinique donnée tout en répondant aux exigences esthétiques du patient.
Un cas clinique de restaurations à visée esthétique illustre cette problématique de choix raisonné des techniques en fonction de la situation clinique, de son éventuelle évolution et des attentes du patient.
Un homme de 34 ans consulte pour améliorer son sourire. En effet, de nombreux soins réalisés à l’adolescence sont devenus non esthétiques au niveau des dents antérieures maxillaires (fig. 1 et 2). La 11 est fortement dyschromiée à cause d’un traitement endodontique effectué il y a plusieurs années. Il existe des lésions amélaires et plusieurs restaurations proximales ou cervicales en composite présentent des infiltrations secondaires et des dyschromies. Par ailleurs, la forme et la position des dents sont, dans l’ensemble, satisfaisantes [2]. Le parodonte est sain et les festons gingivaux sont globalement bien positionnés, symétriques et réguliers [3].
L’objectif du traitement pour ces dents antérieures est :
• de remplacer les restaurations existantes pour améliorer leur étanchéité et leur intégration anatomique et esthétique ;
• d’harmoniser la forme et la couleur des dents, notamment des deux incisives centrales.
Les caries secondaires se développent principalement chez les patients à haut risque carieux [4]. Il convient donc de s’assurer que les facteurs de risque (hygiène bucco-dentaire, alimentation) sont sous contrôle avant de commencer les thérapeutiques restauratrices.
En 2012, la commission européenne a interdit l’utilisation du perborate de sodium classé comme CMR (c’est-à-dire cancérogène, mutagène et/ou toxique pour la reproduction). La technique de référence utilisant ce produit pour éclaircir les dents dépulpées n’est donc plus indiquée. Deux méthodes sont aujourd’hui toujours possibles :
• l’éclaircissement ambulatoire à l’aide de peroxyde d’hydrogène à 30 ou 35 % placé dans la chambre pulpaire. Cette technique est simple et rapide à mettre en œuvre. Elle est cependant contre-indiquée sur les dents ayant été traumatisées à cause d’un risque trop important de résorptions cervicales externes [5] ;
• l’éclaircissement interne/externe ambulatoire à l’aide d’une gouttière chargée de peroxyde de carbamide à 10 % sur la dent à traiter et portée la nuit pendant 1 à 2 semaines selon le cas. Cette technique présente l’avantage de minimiser les risques de résorptions cervicales externes mais elle est plus longue à mettre en œuvre [6].
Ces deux méthodes sont fiables et présentent une efficacité similaire [6].
Dans un premier temps et en accord avec le patient, un éclaircissement interne de la 11 est réalisé à l’aide d’un gel de peroxyde d’hydrogène à 35 % (Opalescence Endo Ultradent®). Après désobturation et nettoyage de la chambre pulpaire, environ 1 mm de gutta percha intracanalaire sous la jonction émail-cément est retiré et le canal est scellé hermétiquement à l’aide d’un ciment verre ionomère. Cette étape est essentielle et permet de limiter les risques de résorptions externes cervicales [5]. Le produit est laissé en place pendant 1 semaine et renouvelé deux fois afin d’obtenir une couleur proche de celle des dents proximales (fig. 3).
Un mois environ après la fin de l’éclaircissement, le traitement se poursuit par la réalisation de composites antérieurs stratifiés. Le choix des couleurs des masses de composite dentine et émail est fait grâce à la « technique des boutons » [7]. De petits échantillons de composite de différentes couleurs et translucidités sont placés et photopolymérisés sur la dent à traiter. Un cliché photo est ensuite réalisé (fig. 4). Les masses dentines sont ici placées au 1/3 moyen, où il y a peu d’émail, et les masses émails près du bord libre, où il y a le plus d’émail. À l’aide de la visualisation de la photographie, le choix s’est porté sur le composite dentine A3 et émail Enamel Neutral du système Mosaic Ultradent®.
L’ensemble des restaurations en composite est ensuite déposé et les tissus carieux et dyschromiés sont complètement curetés. Une digue d’épaisseur moyenne (Nic Tone, MDC dental®) est mise en place sur l’ensemble du secteur antérieur maxillaire. La feuille est maintenue distalement par des crampons sur les premières prémolaires. Des ligatures réalisées en fil dentaire et attachées à la partie supérieure du cadre à digue permettent d’optimiser l’étanchéité et la position de la digue au niveau des dents à traiter [8-10] (fig. 5). De nouveaux soins sont réalisés en composite par stratification [11].
Après quelques jours afin d’avoir des dents réhydratées, le travail est évalué [12] (fig. 6). L’ensemble est déjà satisfaisant mais la 11 reste problématique au niveau du composite mésial particulièrement difficile à intégrer dans une zone où une dyschromie persiste [13]. À la demande du patient, la décision est prise dans un deuxième temps de restaurer la dent avec une facette en céramique afin de pouvoir masquer la zone de dyschromie et d’obtenir un résultat esthétique plus élevé et plus durable. Cette solution est cependant complexe, notamment les étapes de réalisation de la facette en céramique au laboratoire. Elle doit parfaitement s’intégrer en termes de forme et de couleur avec les dents antérieures naturelles.
À la séance suivante, une préparation des tissus est conduite sur la 11 à l’aide de fraises à butées d’enfoncement permettant une pénétration contrôlée. Les faces proximales sont préparées afin d’englober les volumineux composites proximaux et ainsi de limiter les interfaces de collage [14] (fig. 7). La réduction est d’environ 0,5 à 0,8 mm en face vestibulaire et 1,5 mm au niveau du bord libre. Les épaisseurs sont controlées à l’aide de clés de réduction en silicone réalisées avant préparation. Une empreinte de la situation est ensuite faite avec des silicones par addition et transmise au laboratoire de même qu’une empreinte antagoniste et des photos de choix de couleurs. Au laboratoire, une chape est sculptée et pressée en vitrocéramique IPS e.max Press (Ivoclar Vivadent®) [15].
Un lingotin B2 LT (basse translucidité) est choisi afin de masquer le support légèrement dyschromié et d’obtenir une luminosité et une saturation proches de celles des dents naturelles. La céramique cosmétique IPS e.max Ceram Selection (Ivoclar Vivadent®) est ensuite stratifiée jusqu’au stade « biscuit ». À l’essayage en bouche, de petites améliorations à réaliser sont relevées et transmises au prothésiste à l’aide d’une photo annotée (fig. 8).
Les modifications sont apportées au laboratoire et la céramique est glacée thermiquement puis mécaniquement. Après un ultime essayage et une validation, un champ opératoire est mis en place [8-10] (fig. 9).
L’intrados de la pièce est préparé par mordançage à l’acide fluorhydrique (Porcelain Etch Ultradent®) pendant 30 secondes, puis rincé abondamment et séché, et un silane (Silane Ultradent®) est appliqué pendant 1 minute. La facette est assemblée par collage avec un protocole utilisant un composite conventionnel de restauration chauffé [16] (fig. 10). La surface de la dent est tout d’abord sablée à l’oxyde d’alumine 25 µm. Un adhésif amélo-dentinaire de type M&R3 (mordançage et rinçage en 3 étapes) est mis en œuvre. Un composite de restauration de couleur A3 est placé dans une enceinte de chauffage spécifique. L’augmentation de la température va diminuer la viscosité du composite et, ainsi, permettre la mise en place complète de la facette sur son support [17]. Les avantages de cette technique sont nombreux : grande résistance mécanique, facilité d’élimination des excès, stabilité colorimétrique au niveau du joint de collage [14, 17].
Toutes les étapes de contrôle, de finition et de polissage sont ensuite conduites permettant d’obtenir une restauration bien intégrée sur les plans biologique, fonctionnel et esthétique [14] (fig. 11).
Quelques jours seulement après l’assemblage, le patient consulte en urgence à cause d’une chute de vélo ayant entraîné un traumatisme important de ses dents antérieures maxillaires. L’angle mésial de la facette de la 11 est ébréché et les dents 21 et 22 présentent des fractures coronaires amélo-dentinaires simples sans exposition pulpaire (fig. 12). Après contrôles clinique et radiologique permettant d’exclure des problèmes de type fracture radiculaire et/ou pathologie pulpaire associée, les trois dents sont restaurées en urgence à l’aide de composites stratifiés (fig. 13). Une clé en silicone réalisée sur un modèle de la situation avant trauma permet de guider la reconstruction de la forme des dents. Pour réparer la facette de 11, après mise en place de la digue, la céramique est mordancée à l’acide fluorhydrique pendant 1 minute puisque la fracture est située au niveau de la céramique cosmétique feldspathique. Le silane est ensuite appliqué pendant 1 minute avant la mise en place de l’adhésif et de la résine composite.
Six mois environ après le trauma, le patient est revu en contrôle. La situation s’est un peu dégradée : le composite collé sur la facette est absent, les composites sur 21 et 22 sont imparfaits en termes de forme, de couleur et d’état de surface. Après discussion avec le patient, la décision est prise de réaliser trois facettes en céramiques sur 11, 21 et 22. La dépose prudente de la facette de 11 est conduite en veillant à retirer le minimum de tissu sain sous-jacent. La persistance de zones amélaires est un impératif afin d’obtenir un collage fiable dans le temps [14]. Les préparations de 21 et 22 sont réalisées par la technique de pénétration contrôlée à l’aide de fraises à butée d’enfoncement. Étant donné les composites proximaux importants au niveau de 21, les faces proximales sont aussi préparées sur cette dent. Le délabrement moins important de la 22 autorise une préparation conventionnelle pour facette. Le composite mésial n’atteignant pas la limite de préparation, il est conservé et sera entièrement couvert par la future facette.
Après mise en place de cordonnets d’ouverture sulculaire (Ultrapack#0 Ultradent®) (fig. 14), une empreinte silicone de type polyvinylsiloxane en double mélange en un temps est conduite (fig. 15) et transmise au laboratoire. Les modèles conservés de la situation avant traumatisme ainsi que des photos de choix de couleurs vont permettre de guider le prothésiste dans son travail.
Au laboratoire, les trois infrastructures sont sculptées et pressées en vitrocéramique IPS e.max Press (Ivoclar Vivadent®). Le même lingotin B2 LT (basse translucidité) que pour la première facette est choisi. La stratification de la céramique feldspathique est ensuite réalisée jusqu’au stade biscuit afin de pouvoir réaliser un essayage et d’éventuelles corrections.
L’essayage clinique avec des pâtes glycérinées « Try-in » permet de simuler la couleur du futur composite de collage utilisé. Le travail est globalement validé, des photos sont réalisées et transmises au céramiste afin de finaliser le travail (fig. 16).
Un ultime essayage permet de valider avec le patient les restaurations. Les intrados des facettes sont préparés par mordançage à l’acide fluorhydrique pendant 30 secondes, rincés, séchés et un silane est appliqué pendant 1 minute. L’assemblage par collage est mené avec le même protocole utilisant un composite conventionnel chauffé (fig. 17 à 19).
Après collage des pièces une à une, les étapes de finitions, de corrections occlusales et de polissage sont réalisées. Une attention particulière est apportée à l’absence de résidus de colle, pouvant entraîner une inflammation du parodonte marginal, ainsi qu’au réglage de l’occlusion statique et dynamique. Le patient est revu en contrôle quelques jours après l’assemblage (fig. 20) : les restaurations réalisées sont globalement satisfaisantes et seront réévaluées annuellement.
Une bonne évaluation des problèmes esthétiques est indispensable afin de graduer la réponse thérapeutique à apporter en privilégiant l’économie tissulaire. Pour ce patient, la première étape simple d’éclaircissement interne et de restaurations directes en composite stratifié a permis d’améliorer considérablement la situation mais sans répondre totalement à sa demande. Dans un deuxième temps, la réalisation d’une facette sur la 11 a été choisie afin d’obtenir une restauration plus esthétique et pérenne de cette dent. Un traumatisme a bouleversé la situation. Dans l’urgence, une thérapeutique simple avec des composites stratifiés a rétabli la fonction et l’esthétique globale des dents antérieures maxillaires. Cependant, les restaurations directes de volumes importants sont problématiques en terme de pérennité. En accord avec le patient, des facettes en céramique sur les 11, 21 et 22 réhabilitent ces dents de manière durable. À chaque étape du traitement, la réflexion permet donc de choisir la ou les thérapeutiques les plus adaptées à la situation clinique et aux attentes du patient, tout en étant le moins mutilant possible. Il est parfois nécessaire de s’écarter du principe de préservation tissulaire strict afin de répondre au mieux à la situation clinique et aux attentes du patient.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.