Clinic n° 09 du 01/09/2018

 

ENDODONTIE

Loïc MOURLAN*   Rami HAMDAN**   Franck DIEMER***  


*AHU
Faculté de chirurgie dentaire Toulouse
Exercice libéral
Lazènes (31)
**AHU
Faculté de chirurgie dentaire Toulouse
***PU-PH
Faculté de chirurgie dentaire Toulouse

« L’erreur est humaine ». Cet adage peut s’appliquer à l’endodontie en raison de la multitude de difficultés cliniques auxquelles est confronté le praticien. Même lorsqu’il est expérimenté, ce dernier n’est pas à l’abri de réaliser un geste iatrogène au cours du traitement endodontique pouvant entraîner l’apparition d’une pathologie. Heureusement, il y a souvent des solutions ou des procédures de secours qui permettent de retrouver les objectifs initiaux.

Nous avons décrit dans un numéro précédent (Clinic 2017;38 (354):121-131) la prévention des accidents iatrogènes en endodontie qui passe par une réflexion minutieuse pré et peropératoire. Cependant, dans certains cas, le praticien sera confronté à la gestion d’un acte iatrogène et de ses conséquences. Le dialogue avec le patient sera primordial afin d’expliquer les conséquences du geste iatrogène, les possibilités de traitement, le pronostic de la dent après ce geste tout en essayant de garder la confiance que le patient a en son praticien.

La gestion technique de l’accident iatrogène consistera à transformer une situation endodontique complexe en une situation simplifiée, afin de pouvoir terminer le traitement endodontique dans de bonnes conditions d’asepsie et d’éliminer du système canalaire l’ensemble des bactéries et leurs toxines ainsi que la totalité des débris pulpaires susceptibles de servir de support et de nutriment à la prolifération bactérienne. L’obturation endodontique viendra ensuite combler le système canalaire de manière tridimensionnelle par une association de gutta percha et de ciment de scellement endocanalaire.

Cet article détaille comment gérer l’ensemble des complications pouvant survenir lors du traitement endodontique, afin que le praticien puisse appréhender ces difficultés du mieux possible.

Accidents de mise en forme

Butées et fausses routes

La cause de la butée est très souvent liée à une élimination insuffisante des contraintes coronaires lors de l’aménagement des voies d’accès. Les limes de cathétérisme manuelles peuvent venir buter à cause de leur rigidité ou en l’absence de pré-courbure de l’instrument (ce phénomène est accentué par les limes de mise en forme acier) [1].

La première étape consiste à éliminer les contraintes coronaires (souvent liées à la présence d’un triangle de dentine appelé « triangle de Schilder ») à l’aide d’un évaseur (OneFlare®, EndoFlare®, ProTaper SX Gold®), éventuellement des forets de Gates (n° 2 ou 3 maximum), et/ou d’inserts ultrasonores endodontiques (ETBD, ET18D, CAPI, CAPIl, CAPIII…) sous réserve de travailler avec des aides optiques (fig. 1 à 5).

Il est ensuite nécessaire de retrouver l’axe canalaire initial en empêchant un instrument de mise en forme de retourner dans la butée. La rotation continue ne peut pas être utilisée à ce stade puisque la propriété de mémoire de forme du Ni-Ti empêche la pré-courbure de l’instrument pour passer la butée (même avec les nouveaux instruments traités thermiquement comme WaveOne Gold, ProTaper Gold, Reciproc blue…). Un instrument manuel en acier est donc pré-courbé sur ses derniers millimètres afin d’explorer le canal sur la paroi opposée à la butée. Une fois que l’instrument a été poussé apicalement au défaut, des mouvements corono-apicaux de faible amplitude sont effectués afin de le lisser et de le supprimer. Ces mouvements doivent intéresser l’ensemble des parois du canal. La longueur de travail peut alors être déterminée et la mise en forme est effectuée manuellement jusqu’à disparition complète ou suffisante de la butée pour pouvoir insérer un instrument de mise en forme en Ni-Ti [1] (fig. 6 et 7).

Perforations

L’objectif du traitement est d’obturer de manière étanche et permanente la communication qui existe entre l’endodonte et le parodonte.

Les ciments minéraux sont particulièrement indiqués. Ce sont des ciments qui ont des capacités d’adhésion aux structures dentaires assez intéressantes, une bioactivité ainsi qu’une excellente biocompatibilité vis-à-vis des tissus parodontaux. Cette grande famille de matériaux comporte 3 principales catégories qui sont utilisées pour obturer les perforations ou les préparations a retro lors de chirurgies apicales :

• le MTA (silicate di et tricalcique, aluminate tricalcique, radio-opacifiant, gypse). Sa biocompatilité, sa légère expansion de prise ainsi que sa capacité à réaliser un scellement étanche en milieu humide en font un matériau de choix pour le traitement à long terme des perforations [2]. L’inconvénient du MTA de première génération est son temps de prise assez long (3 à 4 heures) qui empêche de réaliser la reconstitution coronaire dans la même séance. Ceux qui utilisent de l’oxyde de bismuth comme radio-opacifiant génèrent l’apparition de colorations brunes à noires avec le temps. Sa manipulation nécessite l’utilisation d’un MTA Gun® (Maillefer) ou du MAP System® (Produits Dentaires SA distribué en France par PRED). Les MTA en capsules (MMTA®, MTA Caps®) ont une prise plus rapide (20 minutes) et sont plus faciles à manipuler [3] ;

• la Biodentine® (Septodont). Ce substitut dentinaire présente des propriétés biologiques proches de celles du MTA mais avec un temps de prise beaucoup plus court (12 minutes). Ses difficultés de manipulation et sa faible radio-opacité restreignent son utilisation aux réparations des perforations hautes. Il faut toutefois noter que ce biomatériau présenterait une force d’adhésion plus importante que celle du MTA après exposition aux solutions d’irrigation endodontique [4] ;

• le Total Fill® (FKG) (silicate de calcium, phosphate de calcium monobasique, oxyde de zirconium, oxyde de tantale, hydroxyde de calcium). L’oxyde de tantale et l’oxyde de zirconium confèrent la radio-opacité au matériau mais ; contrairement à l’oxyde de bismuth ; n’entraînent pas de coloration à long terme. Sa manipulation est très aisée grâce à son conditionnement en seringue (Total Fill BC RMM Paste®), injectable directement au contact de la perforation ou en pot de consistance mastic (Total Fill BC RMM Putty®). L’utilisation des deux fluidités est aussi possible pour gérer des perforations à géométrie complexe.

Le protocole de traitement d’une perforation va dépendre de sa localisation. Le praticien devra cependant s’assurer que l’attache épithéliale n’est pas lésée ; si elle est lésée, une thérapeutique parodontale devra être envisagée afin de rechercher sa cicatrisation (fig. 8 à 14).

• Perforation du plancher pulpaire ou des parois camérales : après remplissage temporaire de la perforation avec une compresse hémostatique (redimensionnée au volume de la perforation), la mise en forme et l’obturation du réseau canalaire sont réalisées selon les données acquises de la science. En fin de traitement, les excès de gutta percha et de ciment sont retirés de la chambre pulpaire, de même que l’éponge hémostatique. La perforation est obturée par apports successifs de MTA, de Biodentine® ou de biocéramique (TotalFill®) légèrement condensés grâce à un fouloir à amalgame ou un fouloir de condensation verticale. Un coton humide est placé au contact du MTA afin de faciliter sa prise et la cavité d’accès est obturée provisoirement grâce à un ciment verre ionomère. L’obturation définitive sera effectuée lors d’une séance ultérieure, après vérification à l’aide d’une sonde de la prise du MTA. En cas d’utilisation de la Biodentine, le praticien pourra réaliser l’obturation définitive dans la même séance après avoir contrôlé la prise complète du matériau (12 minutes).

• Perforations du tiers moyen : il est très difficile de traiter ces lésions sans aides optiques. Comme précédemment, le praticien devra chercher à réaliser le traitement endodontique sans que le matériau d’obturation canalaire contamine les parois de la perforation. Celle-ci sera obturée provisoirement par une compresse hémostatique et le traitement de la partie apicale sera effectué, sans que l’obturation endodontique dépasse coronairement la perforation. L’éponge hémostatique est alors retirée et la portion coronaire en regard de la perforation est obturée au MTA, comme indiqué précédemment.

• Perforations du tiers apical : même avec des aides optiques, ces perforations sont complexes à traiter. L’objectif va être de mettre en forme le canal principal et de considérer le « faux canal » créé par la fausse route comme un canal accessoire. L’obturation par condensation verticale à chaud ou par une autre technique de condensation de la gutta percha permettra un remplissage tridimensionnel. Une chirurgie apicale peut être souvent nécessaire en complément lorsque la symptomatologie persiste ou lorsque la cicatrisation à moyen terme n’apparaît pas (si la portion à réséquer n’est pas trop importante).

Fracture instrumentale

La possibilité de supprimer un instrument fracturé dépend de nombreux facteurs qui devraient être considérés lors du bilan diagnostique : l’emplacement de l’instrument qui est d’une importance cruciale (partie coronaire droite du canal ou au-delà d’une courbure), l’anatomie radiculaire et le matériau avec lequel l’instrument fracturé a été fabriqué (nickel titane ou acier inoxydable) [5].

Il existe essentiellement trois approches :

• contourner l’instrument (by-pass) ;

• retirer l’instrument ;

• mettre en forme jusqu’au fragment, obturer, puis réséquer l’apex avec l’instrument (± obturation a retro si nécessaire).

La première étape du traitement consiste en la création d’un accès linéaire jusqu’au bris par l’élimination des contraintes coronaires dues à l’instrument fracturé. En effet, la fracture est souvent provoquée par une contrainte excessive appliquée sur l’instrument, soit par l’opérateur, soit par l’anatomie canalaire (contraintes mécaniques sur l’instrument dès l’entrée dans le canal : triangle de Schilder ± diamètre du canal très faible).

L’évasement du canal jusqu’au fragment permettra de supprimer ces contraintes pour la future mise en forme et de visualiser le fragment afin de tenter de le retirer. Le praticien utilisera un évaseur (OneFlare®, EndoFlare®, ProTaper SX Gold®), des forets de Gates et/ou des inserts ultrasonores endodontiques (ETBD, ET18D, CAPI, CAPIl, CAPIII…). L’accès linéaire jusqu’au fragment sera réalisé en utilisant des forets de Gates Glidden modifiés (pointe rasée) ou des inserts ultrasonores endodontiques dédiés (ET20, ET25) permettant d’obtenir une plate-forme au contact de l’instrument fracturé.

En fonction de la nature du fragment, la gestion sera différente :

• pour un instrument en nickel-titane ou une lime manuelle en acier inoxydable, un insert ultrasonore est placé sur la plate-forme de transition entre l’extrémité exposée de l’instrument et la paroi canalaire et animé dans le sens anti-horaire. L’énergie appliquée peut être suffisante pour dévisser l’instrument ; ceci est d’autant plus facile lorsque l’instrument peut être contourné. Il faut faire attention à ne pas aggraver la situation avec une fracture des inserts ultrasonores ou une perforation de la racine. Cette manœuvre peut aboutir, à elle seule, à l’évacuation du bris d’instrument. En cas d’échec, elle améliore le pronostic du retrait de celui-ci grâce à différents systèmes de préhension (Masseran®, Endo Rescue®) (fig. 15 à 18) ;

• pour un lentulo ou un cône d’argent, les ultrasons ne doivent pas entrer en contact avec le fragment sous peine de le fragiliser et d’entraîner sa rupture. Le but est d’utiliser des solvants afin de désagréger le ciment (fig. 19 à 21).

En cas d’impossibilité de retrait de bris et si la perméabilité apicale est assurée, la préparation canalaire peut être terminée et le canal obturé tout en enrobant le fragment fracturé dans la gutta.

Si l’instrument ne peut pas être contourné, la préparation et l’obturation doivent être effectuées au niveau coronaire du fragment et, il faut prévoir éventuellement une chirurgie endodontique, une amputation radiculaire ou l’avulsion de la dent.

La présence d’un bris dans le canal en lui-même ne prédispose pas la dent à l’échec. Au contraire, c’est la présence de tout tissu pulpaire nécrotique ou infecté restant dans l’espace canalaire apical qui conditionnera le pronostic. Celui-ci sera fonction du stade de nettoyage du canal au moment de la fracture, de l’état préopératoire de la pulpe et du péri-apex ainsi que de la possibilité de retirer le bris ou de le contourner.

Sur-instrumentation de la constriction apicale

La constriction apicale étant détruite par une sur-instrumentation, il est important de la recréer afin d’empêcher le dépassement de matériau d’obturation dans le péri-apex et d’obtenir un scellement apical étanche. Un saignement apical est généralement présent après une sur-instrumentation. Il est donc nécessaire de temporiser par la mise en place d’une médication intracanalaire temporaire (hydroxyde de calcium, dont les propriétés anti-exsudatives et hémostatiques vont stopper le saignement). À la séance suivante, des instruments de mise en forme de plus gros diamètre seront utilisés après mesure d’une longueur de travail correcte (inférieure à la précédente), afin de créer une boîte d’arrêt dans la partie apicale (fig. 22 à 25).

Dépassement de matériau d’obturation canalaire

La conduite à tenir va varier selon la sévérité du dépassement et la zone anatomique concernée.

Une petite quantité de matériau d’obturation au-delà de la constriction apicale n’est pas forcément alarmante. Les tissus péri-apicaux pourront cicatriser et le traitement demeurera asymptomatique dans la plupart des cas [6]. Si ce n’est pas le cas, le retrait du dépassement par voie orthograde est parfois envisageable en fonction de la technique d’obturation utilisée (gutta sur tuteur et condensation latérale à froid). Si des symptômes persistent, une chirurgie apicale doit être envisagée afin d’éliminer le dépassement dans la région péri-apicale.

Des anti-inflammatoires stéroïdiens sont prescrits pendant 3 jours afin de diminuer les symptômes liés à la réponse inflammatoire des tissus péri-apicaux. En fonction de la zone anatomique touchée par le dépassement, l’abord chirurgical sera différent :

• dans le sinus maxillaire, l’abord se fera par voie nasale si le sinus est perméable ou par voie endobuccale avec une approche de Caldwell-Luc [7-9] ;

• dans le canal mandibulaire :

- en cas d’irritation chimique (dépassement de ciment), l’abord chirurgical ne sera pas forcément réalisé en première intention si le traitement symptomatique supprime les douleurs. Dans ce cas, des tests neurologiques et des clichés radiographiques réguliers vont permettre de contrôler la régression de la paresthésie et la résorption du dépassement ;

- dans le cas d’une compression mécanique (dépassement de gutta-percha) ou de symptômes persistants dans le cas d’une irritation chimique, la voie chirurgicale est préférée généralement sous anesthésie générale. L’abord est vestibulaire grâce à un volet osseux aux dépens de la corticale externe. Après isolation du nerf alvéolaire inférieur, le canal mandibulaire est cureté et irrigué afin de retirer le dépassement de matériau (une résection apicale de la dent causale peut être pratiquée en même temps). Le nerf est ensuite repositionné de même que la fenêtre corticale qui est stabilisée grâce à des vis d’ostéosynthèse [10] (fig. 26 et 27).

Certains auteurs préconisent de prescrire un cocktail vitaminique associant vitamine B1, B6 et B12 afin de promouvoir le rétablissement nerveux [11].

Conclusion

Par sa complexité, l’endodontie va être pour le praticien l’un des actes les plus stressants de sa pratique quotidienne. La prévention des accidents iatrogènes sera facilitée par la connaissance rigoureuse des protocoles de traitement, l’analyse du cliché radiographique préopératoire et, éventuellement, par l’orientation du patient vers un endodontiste si le praticien se sent limité par son plateau technique ou ses compétences.

Même si « l’erreur est humaine », il devra savoir identifier l’ensemble des signes/symptômes pouvant évoquer un accident iatrogène et, surtout, devra accompagner son patient dans la gestion de celui-ci : traitement ou orientation vers un spécialiste (avec, dans certains cas, une approche multi-disciplinaire).

Liens d’intérêts :

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.

Bibliographie

  • [1] Simon S, Machtou P, Pertot W. Endodontie. Malakoff : CDP, 2012.
  • [2] Krupp C, Bargholz C, Brüsehaber M, Hülsmann M. Treatment outcome after repair of root perforations with mineral trioxide aggregate: a retrospective evaluation of 90 teeth. J Endod 2013;39:1364-1368.
  • [3] Mente J, Leo M, Panagidis D, Saure D, Pfefferle T. Treatment outcome of mineral trioxide aggregate: repair of root perforations-long-term results. J Endod 2014;40:790-796.
  • [4] Guneser MB, Akbulut MB, Eldeniz AU. Effect of various endodontic irrigants on the push-out bond strength of biodentine and conventional root perforation repair materials. J Endod 2013;39: 380-384.
  • [5] McGuigan MB, Louca C, Duncan HF. Endodontic instrument fracture: causes and prevention. Br Dent J 2013;214:341-348.
  • [6] European Society of Endodontology. Quality guidelines for endodontic treatment: consensus report of the European Society of Endodontology. Int Endod J 2006;39:921-930.
  • [7] Delbet IBC. Mycoses aspergillaires des sinus maxillaires. EMC - Médecine Buccale 2011;275-I-10.
  • [8] Mensi M, Piccioni M, Marsili F, Nicolai P, Sapelli PL, Latronico N. Risk of maxillary fungus ball in patients with endodontic treatment on maxillary teeth: a case-control study. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2007;103: 433-436.
  • [9] Mensi M, Salgarello S, Pinsi G, Piccioni M. Mycetoma of the maxillary sinus: endodontic and microbiological correlations. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2004;98:119-123.
  • [10] Escoda-Francoli J, Canalda-Sahli C, Soler A, Figueiredo R, Gay-Escoda C. Inferior alveolar nerve damage because of overextended endodontic material: a problem of sealer cement biocompatibility? J Endod 2007;33: 1484-1489.
  • [11] Froes FGB, Miranda AMMA, Abad E da C, Riche FN, Pires FR. Non-surgical management of paraesthesia and pain associated with endodontic sealer extrusion into the mandibular canal. Aust Endod J 2009;35:183-186.