À l’hôpital Bretonneau-AP-HP, l’équipe du professeur Catherine Chaussain a développé une compétence unique dans la connaissance et la prise en charge des anomalies dentaires des patients avec une pathologie rare de l’os et du calcium-phosphate.
« À l’époque, il n’existait pas de prise en charge dentaire pour ma pathologie… » Atteinte d’une dentinogenèse imparfaite, comme une grande partie de sa famille, Martine, 60 ans, est aujourd’hui suivie dans le service de médecine bucco-dentaire de l’hôpital Bretonneau-AP-HP. C’est sa diabétologue qui l’a adressée à l’équipe du centre des maladies rares avant de procéder à une gastrectomie, intervention pratiquée en chirurgie de l’obésité, en vue de réduire le volume de son estomac. « J’avais une batterie d’examens à faire et des soins odontologiques spécifiques, dont l’extraction de 7 dents. » Par sa maladie génétique, via une arrière-grand-mère grecque, elle a hérité de dents dépourvues d’émail, de couleur marron et de deux tailles, toutes petites et très sensibles. « À l’école, on m’appelait “dents pourries”. C’est surtout le regard des autres qui a été difficile à supporter. » Elle fait désormais partie des nombreuses patientes avec qui Catherine Chaussain, praticien hospitalier et référente odontologique du Centre national de référence des maladies rares du métabolisme du calcium et du phosphate (CMR), a tissé des liens. Au-delà du soin.
C’est au cœur du 18e arrondissement parisien, dans le quartier de Lamarck, que le pôle dentaire de l’hôpital Bretonneau-AP-HP, dirigé par Benjamin Salmon, s’organise sur trois niveaux à l’architecture claire, sobre, aérée. Un point d’honneur a été mis sur la préservation d’un maximum de lumière : tons gris, beige et rose, baies vitrées, plantes, toit végétal. Pôle d’excellence avec ses 42 fauteuils, c’est le seul pôle pûrement odontologique rattaché à l’Université Paris-Descartes. Quarante-cinq enseignants se partagent les vacations autour des étudiants de 4e, 5e et 6e année et les boxes bénéficient d’installations à la pointe : imagerie numérique pour tous les patients, microscopes. C’est au second étage que sont pris en charge les patients présentant des anomalies dentaires avec une pathologie rare de l’os et du calcium-phosphate. C’est là que David a été pris en charge en 2009. Il avait 5 ans. « Mon fils s’est mis à se plaindre des dents et de la mâchoire. On connaissait sa pathologie depuis la petite section et on nous avait avertis qu’il pourrait présenter des abcès dentaires “spontanés”. Notre chirurgien-dentiste lui a fait une radio, n’a rien vu, on ne s’est donc pas affolés. Quelques jours plus tard, sa joue s’est mise à gonfler mais les services d’urgences parisiens n’ont pas voulu le garder car les examens effectués, dont un scanner, ne révélaient rien. Jusqu’à ce qu’un chef de service à l’écoute contacte le professeur Chaussain et suive ses directives. David faisait une cellulite faciale et aurait pu avoir des séquelles au cerveau », raconte sa maman.
Depuis, le site constitutif de l’hôpital Bretonneau, également rattaché au réseau européen de référence (RER) BONe Diseases « BOND » pour la prise en charge de patients avec des maladies rares osseuses, a réalisé des livrets de recommandations précises que les enfants atteints de maladies rares, génétiques et héréditaires, portent toujours sur eux.
Adressés le plus souvent par leur médecin généraliste ou via le centre des maladies rares, les patients viennent des quatre coins de l’Hexagone. L’activité du service regroupe toutes les disciplines nécessaires à la prise en charge dentaire multidisciplinaire du patient (soins conservateurs, endodontie, parodontologie, chirurgie, prothèses, orthodontie, implantologie, imagerie 3D) ou à la prise en charge dentaire de patients spécifiques : pédiatrie, handicap, gériatrie. Ainsi, chaque patient, adulte ou enfant, bénéficie sur place d’une approche multidisciplinaire permettant de répondre à ses besoins en termes de diagnostic et de prise en charge odontologique. Catherine Chaussain, coordinatrice du centre, est entourée de Frédéric Courson et de Violaine Smail Faugeron qui assurent plus spécifiquement la prise en charge des enfants. Martin Biosse-Duplan, parodontologiste, coordonne la prise en charge des patients adultes tandis qu’Elvire Le Norcy, responsable de l’orthodontie, s’appuie, si nécessaire, sur les expertises de Benjamin Salmon pour l’imagerie oro-faciale et de Christian Vacher (hôpital Beaujon) pour les traitements nécessitant de la chirurgie maxillo-faciale. Olivier Hue intervient également dans le service pour les restaurations prothètiques des patients. « Ces patients souffrent de grands troubles dentaires souvent mal pris en compte. Ils sont heureusement très bien répertoriés et l’AP bénéficie d’un logiciel qui regroupe les maladies rares », insiste Catherine Chaussain. Avec une file active de 400 patients, le centre de référence s’intègre, à l’échelle nationale, dans la filière OSCAR (os, calcium et cartilage).
« Les chirurgiens-dentiste sont une petite pierre de l’édifice et font partie du panel médical. Il est important que l’hôpital prenne en charge ce type de patients et que les étudiants soient formés, familiarisés, sachent différencier et faire des recommandations inhabituelles à des patients inhabituels, tout en connaissant les limites du cabinet libéral. Nous formons les étudiants, les internes et les masters à la prise en charge spécifique d’un patient avec une maladie rare. Chez un enfant, une dent peut s’infecter du jour au lendemain. Notre mission est donc de continuer à faire un maillage au niveau national. Et que la recherche permette de mettre au point de nouveaux protocoles de soins. C’est la notion de qualité de vie qui prime dans la prise en charge de ces patients. » Passionnée, Catherine Chaussain connaît bien les familles dont elle s’occupe, avec leurs pathologies très précises. Elle est toujours disponible et joignable. L’activité de soins est croissante et les échanges avec la ville sont fréquents. L’équipe est consultée par mail ou par téléphone par les collègues libéraux en charge des patients. Elle est également fréquemment sollicitée pour aider les patients à la prise en charge des soins dentaires dans leur ALD avec généralement un bon taux de succès. Enfin, des ateliers d’éducation thérapeutique et d’information sur les répercussions des maladies rares sur les dents sont organisés 6 fois par an à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire : chirurgiens-dentistes, nutritionnistes, endocrinologues… Les traitements s’améliorent et les patients atteints de maladies rares peuvent enfin retrouver le sourire.
Le CMR du métabolisme du calcium et du phosphore allie des missions de soins, d’enseignement et de recherche. Il est appuyé par le laboratoire EA2496 Pathologies, Imagerie et Biothérapies oro-faciales dirigé par Catherine Chaussain, également professeure à la faculté de chirurgie dentaire de l’Université Paris-Descartes. Labellisé pour la première fois en 2007, le centre a été re-labellisé en 2017 par le ministère de la Santé afin de développer la filière de soin des nombreuses maladies rares du métabolisme du calcium et du phosphore. Il est coordonné par Agnès Linglart à l’hôpital Bicêtre pour la partie pédiatrique et par Karine Briot à l’hôpital Cochin pour la partie adulte. Composé de 4 sites cliniques (Paris, Lyon, Rouen et Toulouse), il compte un site unique constitutif d’expertise dentaire, à l’hôpital Bretonneau, et deux sites de diagnostic moléculaire et génétique (Bicêtre-Paris Sud et Caen).
Il existe également 22 centres de compétences qui assurent un maillage territorial sur toute la France. De fait, Catherine Chaussain travaille depuis de nombreuses années sur la caractérisation et le soin des anomalies dentaires de patients atteints de maladies génétiques affectant ce métabolisme. « Notre équipe, constituée de dentistes pédiatres, d’une orthodontiste, d’un parodontologiste, d’un enseignant de prothèse, mais aussi d’internes, d’étudiants externes et d’étudiants master maladies rares, a développé une compétence unique dans la connaissance et la prise en charge de ces pathologies : rachitismes génétiques, hypoparathyroïdies, pseudo-hypoparathyroïdies, hypophosphatasies, hyperphosphatasies, ostéogenèses imparfaites… », explique-t-elle.
Parallèlement à cette activité, le laboratoire de recherche travaille à la compréhension des mécanismes physiopathologiques accompagnant la formation et la régénération osseuse et dentaire dans le cadre de maladies chroniques (caries, maladies parodontales, péri-implantites…) et de maladies génétiques.