RESTAURATION
*AHU Université Paris Descartes
Exercice libéral
Paris
**Exercice libéral
Paris
La temporisation immédiate, réalisée directement en bouche, reste une étape coronaire indirecte indispensable des traitements restaurateurs. Les matériaux en résine bis-acryl représentent de bons candidats, en particulier pour des traitements adhésifs largement développés aujourd’hui. Protection des tissus, maintien de l’équilibre fonctionnel, représentation du résultat esthétique, leur rôle est multiple. Pour le clinicien, leurs mises en œuvre doivent répondre aux objectifs de manière sûre et efficace.
Les prothèses transitoires jouent un rôle essentiel dans les thérapeutiques de réhabilitation. Elles accompagnent les étapes du traitement depuis les premières interventions jusqu’à la représentation du projet final des restaurations. La réalité clinique confère aux restaurations transitoires des fonctions essentielles dans le contrôle et la gestion des paramètres dentaires, parodontaux, fonctionnels et esthétiques.
Les matériaux et les techniques utilisés doivent alors répondre à ces impératifs et s’adapter à nos contraintes cliniques, voire les faciliter.
Il existe deux familles de résine qui correspondent à ce cahier des charges : les résines méthacrylate et les résines bis-acryl. Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’existe pas de matériau idéal. Ces deux produits ont donc des domaines d’utilité différents et complémentaires.
Les résines bis-acryl ont vu leurs indications se développer ces dernières années. En effet, les restaurations partielles indirectes, les traitements sur dents vitales, les procédures d’évaluation des paramètres du sourire, la gestion des pertes de volume par érosion chimique et, plus généralement, nombre de situations faisant appel aux procédures adhésives sont autant de cas où ce matériau est utile et pratique.
L’objectif de cet article est de rappeler les caractéristiques spécifiques des résines bis-acryl, d’expliquer leur mode d’utilisation et leurs indications majeures et de donner leurs avantages et leurs limites, notamment par rapport aux résines méthacrylate (PMMA).
Plusieurs cas cliniques sont présentés pour illustrer leur mode d’utilisation et donner quelques gestes cliniques pour faciliter la manipulation.
Chaque matériau présente des caractéristiques spécifiques dues aux éléments chimiques qui le composent. Ces résines ont été développées pour contourner les défauts majeurs des résines méthacrylates, c’est-à-dire la rétraction et l’exothermie de prise.
Elles sont un mélange de deux composants (monomère et matrice) à prise chimique ou duale. Les monomères de base possèdent au moins deux groupes méthacryliques (diméthacrylates) ou plus (méthacrylates polyfonctionnels), d’où leur nom bis-acryl.
La matrice contient souvent du bis-GMA et des charges radio-opaque inorganiques, ce qui donne un matériau de traitement intermédiaire, similaire aux matériaux de restauration composite.
Toutes les résines bis-acryl sont disponibles avec un système de distribution d’auto-mélange similaire à celui des matériaux d’impression en polyvinylsiloxane et le pistolet de distribution est en général identique. Cela les rend rapides et faciles à utiliser mais leur coût est plus élevé (fig. 1).
Ces matériaux utilisent une variété de monomères de résine acrylique multifonctionnels qui produisent des réticulations à haute densité pendant la polymérisation.
Elles ont entre 30 et 45 s de temps de travail pendant lequel le matériau est dans une phase visqueuse : le mélange présente une viscosité assez fluide, parfaitement adaptée au remplissage de coque, de gouttière ou de moule. Ensuite, pendant 1 à 2 minutes, le matériau se trouve dans sa phase plastique pendant laquelle l’élimination des principaux excès est facilement réalisable avec un instrument rigide (fig. 2).
Dans cet état intermédiaire, le matériau a acquis sa stabilité dimensionnelle mais pas encore ses caractéristiques mécaniques. Il peut être délicatement retiré ou travaillé par découpe manuelle (ciseaux, CK6, bistouri…).
Après 5 à 6 minutes, la prise est complète et le matériau est dur (fig. 3 et 4).
La résine a atteint ses propriétés mécaniques et les retouches nécessitent le recours à l’usinage.
Cliniquement, une des clés de la facilité de manipulation de cette résine est donc dépendante de la cinétique de prise. Les très faibles valeurs de rétraction de prise et d’exothermie permettent au praticien de laisser en place le matériau sans devoir réaliser des mouvements d’insertion et de désinsertion au cours de la prise.
L’oxygène inhibe la polymérisation des résines bis-acryl en surface, ce qui laisse une couche très grasse. Celle-ci peut être éliminée en plongeant la restauration provisoire dans l’alcool.
La polymérisation est le plus généralement à prise auto, mais il existe sur le marché certaines résines dont la prise est duale.
Le matériau obtenu après prise complète offre une dureté de surface et une résistance à l’usure satisfaisantes pour une restauration transitoire (tableau 1). Néanmoins, on observe des phénomènes de fracture et une diminution significative de l’étanchéité au-delà de 3 semaines de port.
La stabilité de la teinte est également jugée insuffisante. En effet, au-delà de 2 semaines d’utilisation, on note l’apparition d’un jaunissement de la surface et d’infiltrations colorées au niveau du joint résine/dent.
Les intérêts à manipuler ces résines en comparaison aux PMMA sont nombreux.
En effet, grâce à leur faible exothermie de prise et à leur absence de cytotoxicité pour les fibroblastes gingivaux et pour le complexe dentino-pulpaire, leur utilisation sur dents vivantes est sûre. De plus, le praticien peut s’affranchir des mouvements d’insertion/désinsertion que leur accorde leur faible variation de prise [5, 11, 12].
Les finitions et le polissage sont faciles à mettre en œuvre. Ils font appel aux séquences de finitions utilisées pour les composites (fraises bague rouges montées sur contre-angle rouge puis cupules silicone composite sur contre-angle bleu).
L’état de surface ainsi obtenu est de qualité. Il garantit une cicatrisation optimale des tissus parodontaux, le cas échéant, et offre un confort de contact pour le patient (fig. 5).
Ces résines sont radio-opaques et proposent un choix de teinte varié mais leur stabilité dans le temps est relative. Ces qualités optiques leur donnent un grand intérêt esthétique pour le traitement provisoire des dents du sourire.
La qualité d’adaptation marginale et de reproduction des contours est satisfaisante à condition d’avoir une mouillabilité régulière et sans bulle lors de l’injection du matériau sur les surfaces dentaires.
Il y a peu de compression lors de la mise en place et les risques de bulles et de non-enregistrement des limites de préparations s’en retrouvent augmentés. Il est alors impératif d’injecter le matériau en excès.
Le principal inconvénient est la difficulté de réparation, de rebasage et de modification [11]. Les fabricants assurent que le rebasage est possible avant l’élimination de la couche grasse mais les résultats restent très aléatoires.
Sa résistance à la fracture dépend du taux de charges de la résine : plus elle est élevée, plus elle sera résistante. Cependant, cette forte rigidité absorbe moins bien les contraintes et les restaurations plurales sont souvent moins résistantes dans la durée [9].
Elles sont enfin plus onéreuses que les résines de type PMMA [11].
Il existe aujourd’hui de nombreuses résines bis-acryl commercialisées qui présentent des caractéristiques similaires. Le choix du praticien se fera principalement par le temps de travail qui diffère selon les fabricants.
Le tableau 2 regroupe les différentes résines présentes sur le marché et leurs caractéristiques [3].
Ces résines sont utilisables pour les restaurations transitoires périphériques ou partielles, antérieures ou postérieures, unitaires ou éventuellement plurales. Du fait de leur facilité d’utilisation et de leurs propriétés esthétiques augmentées par rapport aux résines de type PMMA, elles occupent une place de choix lors de restaurations antérieures.
Ce sont également les matériaux de référence pour la réalisation de moke-up, qui précède les traitements par facettes et qui consiste à transposer cliniquement un projet de transformation anatomique et d’assurer la fonction et l’esthétique durant toute la phase de temporisation.
Les résines bis-acryl sont aussi beaucoup employées dans les protocoles des techniques de restaurations des lésions érosives (three-step technique [16]). En effet, ces procédés compilent plusieurs aspects : dents vitales, restaurations multiples, adhésion et dents antérieures.
La mise en œuvre de ces résines est relativement simple et s’assimile à celle des résines de type PMMA pour des restaurations postérieures périphériques unitaires ou plurales.
L’élaboration de la restauration transitoire est réalisée grâce à l’injection de la résine dans une clé au niveau de la ou des dents concernées et repositionnée en bouche. Il est recommandé d’injecter le matériau en excès.
Celle-ci est obtenue avant préparation si l’anatomie de la dent est satisfaisante ou d’après un wax-up (fig. 6).
Un échantillon de résine témoin est déposé sur le plateau. Dès lors que la consistance commence à être caoutchouteuse, la clé est désinsérée et les premiers excès sont éliminés.
Cela permet au praticien un gain de temps lors de l’adaptation aux limites de la restauration et l’élimination des excès est d’autant plus aisée grâce à la consistance encore peu rigide de la résine à ce stade. L’isomoulage est repositionné en bouche jusqu’à la prise complète du matériau.
Une fois la prise terminée, la restauration provisoire est retirée de la clé en silicone.
Par un fraisage à faible vitesse (< 15 000 Tr/min), sur contre-angle bague rouge avec des fraises de finition pour des composites (Kit Komet®) ou avec une pièce à main en utilisant le kit polissage fraises résines (Komet®), le praticien adapte la restauration aux limites cervicales préalablement dessinées au critérium (fig. 7 et 8).
L’adaptation marginale et occlusale ainsi que la qualité des points de contact sont vérifiées.
C’est à ce stade que le praticien juge d’éventuelles retouches nécessaires. La prothèse est polie à l’aide de fraises de cupules à polir et/ou de disques Sof-Lex pop-on (3M®) montées sur contre-angle bague bleue. Les restaurations transitoires sont assemblées par un ciment provisoire (Temp Bond NE®, Kerr).
Il est important de souligner que la consistance de la résine avant la prise ne permet pas l’élaboration d’une restauration transitoire sans clé ou isomoulage conçu au préalable.
Ces résines se révèlent particulièrement indispensables dans des cas d’augmentation de DVO en cas d’usure et d’érosion (three-step technique) [16] et dans les cas de réhabilitation esthétique du secteur antérieur maxillaire.
La mise en œuvre y est semblable à celle décrite précédemment avec cependant quelques subtilités. Dans ces cas, la résine va servir de guide pour préparer les dents a minima puis, dans un deuxième temps, servira comme restauration transitoire.
La clé est réalisée au cabinet à partir du wax-up avec un silicone lourd puis un silicone light. Elle doit être la plus enveloppante possible et s’appuyer sur les rebords alvéolaires et le palais afin de disposer d’une butée d’enfoncement lors de son insertion en bouche. Des évents sont créés en regard de toutes les dents à restaurer pour faciliter le clivage des excès au niveau cervical (fig. 9).
Pour l’élaboration des restaurations transitoires, la résine y est injectée en excès pour réduire au maximum le risque de manque de matériau. La prise terminée, la clé est retirée et les excès sont éliminés à l’aide d’une curette CK6 pour dégager les embrasures et d’un bistouri arciforme lame 12.
Lors de ces réhabilitations prothétiques en cas d’usure et d’érosion, les préparations et par conséquent les restaurations transitoires peuvent présenter des épaisseurs très réduites. Il est donc important de les solidariser entre elles.
Afin d’éviter la fracture de ces dernières lors du retrait pour la mise en place du scellement provisoire, il est préférable d’appliquer préalablement sur les préparations séchées de l’adhésif avec ou sans mordançage en fonction de la nature amélaire ou dentinaire des préparations [17]. Des adhésifs fortement chargés sont préconisés (Optibond FL®, Kerr) (fig. 10).
Une fois en place, les transitoires ne sont plus désinsérées. Le praticien peut alors procéder, directement en bouche, aux finitions des limites à l’aide d’une fraise flamme de faible granulométrie sur contre-angle bague rouge. Le polissage est quant à lui assuré par des cupules et/ou des disques à polir les composites (fig. 11).
Une des principales problématiques des résines bis-acryl réside dans leur capacité de réparation et de rebasage.
Les fabricants assurent que le rebasage est possible avant l’élimination de la couche grasse en repositionnant la ou les dents dans la clé en silicone et en injectant de nouveau du matériau avant le repositionnement en bouche. Mais la réalité clinique est quelque peu différente et le rebasage se solde souvent par un échec (absence ou mauvaise coaptation du matériau ajouté).
Lorsque l’adjonction est volumineuse, il est donc recommandé de recommencer. En effet, les études notent une diminution de la résistance mécanique supérieure à 50 % après réparation [14, 15].
Néanmoins, si le manque de matériau est de faible volume, le rebasage peut être envisagé. Diverses méthodes sont décrites :
• avant l’élimination de la couche grasse, l’utilisation d’un composite de restauration nanohybride fluide ou compact sans adhésif permet des résultats convenables [2]. Dans ce cas, la résistance mécanique de la restauration transitoire en résine bis-acryl apparaît similaire à celle d’une restauration en PMMA [10] ;
• quand il est nécessaire de réparer plus tard, et par conséquent que la couche non polymérisée n’est plus présente, la réparation peut se faire grâce à un traitement de surface de la pièce prothétique par un sablage (alumine 50 µm) et l’application d’un adhésif photopolymérisé. Le composite est apposé par la suite ;
• il est aussi possible d’envisager une réparation à l’aide de résine PMMA. En effet, après réactivation des bords de la surface à réparer par du monomère, l’adjonction d’une résine à consistance relativement fluide se fait à l’aide d’un pinceau. Les résultats sont plutôt convaincants et le coût de la réparation est alors diminué par rapport à une réparation par du composite.
Même si la résistance mécanique semble moins importante après réparation, peu d’études existent à ce jour et seuls les résultats cliniques nous permettent de juger de la fiabilité des procédés de réparation de ces résines.
Les résines bis-acryl sont des matériaux qui présentent des propriétés intéressantes permettant de s’affranchir des principaux défauts des résines méthacrylates pour la réalisation des prothèses transitoires. Disponibles chez de nombreux fabricants principalement sous forme de systèmes de distributions d’auto-mélanges prêts à l’emploi et existantes dans un large choix de teintes, elles se révèlent être de manipulation aisée. Néanmoins, elles nécessitent un apprentissage de leur mise en œuvre, en particulier concernant leur cinétique de prise différente de celle des résines méthacrylates. Particulièrement utiles dans des situations de restaurations transitoires multiples, elles s’avèrent indispensables dans des cas d’augmentation de DVO en présence d’usures et d’érosions et dans des problématiques de réhabilitation esthétique du secteur antérieur. Leur stabilité dimensionnelle, leur absence d’exothermie de prise ainsi que leur dureté de surface et leur résistance à l’usure satisfaisantes en font un matériau de choix. Cependant, malgré leurs nombreuses qualités, les fractures des restaurations transitoires sont relativement courantes après quelques semaines d’utilisation. De plus, la possibilité de rebasage reste controversée et le coût élevé.
Enfin, les nombreuses possibilités offertes par ces résines, leur confort d’utilisation, la rapidité et la simplicité de mise en œuvre, les propriétés physiques satisfaisantes ainsi que les résultats esthétiques obtenus sont autant de facteurs qui nous poussent à devoir aujourd’hui considérer ces résines comme des matériaux indispensables dans le cadre de notre pratique clinique quotidienne au cabinet dentaire.
Remerciements : les photos des cas cliniques proviennent de Franck Decup