Clinic n° 06 du 01/06/2018

 

ENQUÊTE

Les objets connectés ont investi le monde de la santé. Restait à leur permettre de collecter les données pour les rendre encore plus performants. Quelques acteurs français ont déjà franchi ce pas dans le domaine bucco-dentaire.

L’entrée de l’intelligence artificielle dans la prévention bucco-dentaire s’accélère. En janvier dernier, l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) démocratisait l’utilisation des nouvelles technologies dans la prise en charge des soins bucco-dentaires en mettant au service des personnes résidant en Ehpad ou en établissements médico-sociaux, un dispositif de télé-expertise, Oralien. Formés au cours d’une session de 7 heures par des chirurgiens-dentistes à l’utilisation de l’application mobile « Dental monitoring », les soignants ou les éducateurs de ces établissements sont en mesure de scanner la sphère orale du patient. Cette procédure permet à une équipe de chirurgiens-dentistes de détecter l’une des 190 situations cliniques à partir de l’analyse des images et de dispenser leurs recommandations. Une démarche simple, peu coûteuse mais qui, selon l’UFSBD, devrait étendre, voire systématiser, le suivi bucco-dentaire alors que 81 % des résidents en Ehpad n’ont pas eu de consultation bucco-dentaire depuis cinq ans et 75 % présentent un état bucco-dentaire délabré.

Quelques semaines après le lancement d’Oralien, en amont de la présentation du plan national pour l’intelligence artificielle, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, accompagnée de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du numérique, rendait visite à la start-up parisienne Kolibree hébergée par Baracoda, incubateur et groupe industriel français qui conçoit des objets connectés et des services destinés à la prévention. Un symbole car comme le rappelait Agnès Buzyn, cette entreprise est « en plein dans la stratégie du gouvernement ». À double titre même puisque la ministre venait, quelques jours auparavant, de lancer le volet prévention de sa stratégie nationale de santé. En se faisant présenter les innovations de Kolibree, Agnès Buzyn voulait démontrer tout l’intérêt du gouvernement pour les solutions numériques adaptées à la prévention. Et ce « de façon intelligente, design et scientifique ».

En ville comme à l’hôpital

Conçue avec le soutien de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD), la brosse à dents connectée Ara by Kolibree met en effet l’intelligence artificielle au service des exigences en matière de prévention bucco-dentaire : la durée du brossage, sa fréquence et son efficacité. Des capteurs 3D sont ainsi en mesure de détecter les zones brossées et de rendre compte à l’utilisateur en réalité augmentée et en temps réel du brossage effectif. « Sans l’intervention des chirurgiens-dentistes, notre produit n’aurait pas connu le succès qu’il a rencontré au CES de Las Vegas. Ce sont eux qui ont attiré notre attention sur certaines lacunes du prototype qui négligeait encore certains gestes essentiels du brossage », expose Thomas Serval. La preuve de l’efficacité en vie réelle de la brosse Kolibree a également été amenée grâce à la coopération de l’UFSBD. « Depuis novembre 2017, 331 chirurgiens-dentistes ont accepté de transmettre la brosse à dents Ara by Kolibree à 5 641 patients. Cela a permis d’évaluer près de 200 000 brossages. Et de constater que 32 % des participants enregistraient une durée de brossage stabilisée à deux minutes ou plus contre 43 secondes sans brosse connectée. Sans parler d’une amélioration très nette de la zone de couverture par le brossage connecté », décrit Sophie Dartevelle, présidente de l’UFSBD. Elle se félicite du reste que, pour la première fois, une étude en vie réelle puisse produire de telles statistiques alors que jusqu’à présent l’Observatoire d’hygiène bucco-dentaire ne pouvait s’appuyer que « sur du déclaratif ».

De fait, la brosse à dents Kolibree a été testée en ville par Anne-Emmanuelle Guillot, chirurgien-dentiste à Paris, spécialisée en parodontologie. « Cet outil répond à ce que j’essaie de transmettre à mes patients. La communication avec le patient passe sur un autre plan, c’est un vecteur très efficace. Par ailleurs, il permet au patient de prendre connaissance de la géographie de sa bouche », explique-t-elle. En alliant intelligence artificielle et prévention, Kolibree a également fait ses preuves en milieu hospitalier. Un partenariat avec l’hôpital Necker de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a permis d’évaluer l’état bucco-dentaire en période préopératoire d’une gingivoplastie dans le traitement primaire des fentes labiopalatines. « Un groupe d’enfants utilise la brosse à dents avant l’opération, l’autre non. Nous sommes à mi-chemin de l’inclusion. Les résultats sont encourageants et vont au-delà même de la réduction de tartre chez ces enfants par rapport au groupe témoin », explique le Dr Roman Khonsari, chirurgien maxillo-facial à Necker et coresponsable de l’étude. Cette avancée n’est pas anodine quand on sait que, comme le rappelait Agnès Buzyn, peu d’études cliniques sont réalisées en prévention.