Clinic n° 06 du 01/06/2018

 

ENQUÊTE

Les professionnels de santé appartiennent sans nul doute aux plus gros pourvoyeurs de données. Il s’agit cependant de pouvoir tirer partie de ces données grâce à des systèmes capables de les agréger, de les croiser et de les analyser de manière automatisée.

Deux semaines à peine après l’annonce, en France, du plan national pour l’intelligence artificielle, la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine du médicament, autorisait la mise sur le marché d’un premier dispositif utilisant l’intelligence artificielle (IA) pour diagnostiquer, à partir de l’analyse d’imageries médicales, une rétinopathie diabétique. L’intelligence artificielle est, de fait, entrée de plain pied dans le monde de la santé. Il est vrai que ce secteur, identifié par le gouvernement français et la mission Villani comme prioritaire, est un grand pourvoyeur de données susceptibles d’enrichir la recherche et le développement de nouveaux traitements.

Des professionnels de santé « encodeurs »

En effet, en s’appuyant sur l’analyse de ces données et celles communiquées en temps réel par le patient lui-même (capteurs, objets connectés) et son environnement, croisées enfin avec une exploration systématique des publications scientifiques et des résultats de recherches fondamentales, l’intelligence artificielle devrait stimuler l’innovation en santé dans les domaines tant thérapeutique que diagnostique ou encore pharmacologique, prédit le rapport Villani. Comme il l’annonce, une intelligence artificielle au service de la santé doit permettre une prise en charge plus personnalisée et plus prédictive, « en renforçant la décision médicale et en améliorant la traçabilité ». Car la détection des symptômes devrait être plus précoce, le suivi plus prédictif. L’exploitation des données – issues, notamment, de l’imagerie médicale – devrait rendre possibles de nouvelles hypothèses dans le diagnostic et la formulation de propositions thérapeutiques plus personnalisées. In fine, l’accès aux soins devrait en être amélioré grâce à des dispositifs de pré diagnostic médical et des aides à l’orientation dans le parcours de soins.

Ces avancées, primordiales en termes de santé publique, dépendront cependant de la capacité et de la volonté du système de santé et plus particulièrement des professionnels de santé. Ils devront en effet, souligne le rapport Villani, être en mesure de se doter de moyens de captation, de structuration et d’annotation des données produites dans le suivi patient (données cliniques, données biomédicales, données sur le bien-être, données environnementales…). Ce n’est qu’à cette condition que l’intelligence artificielle pourra être nourrie en données cliniques pertinentes « encodées » par les professionnels de santé.

Une nouvelle interprofessionnalité

C’est dire le rôle fondamental que sont appelées à jouer les professions médicales. D’où l’importance soulignée par le gouvernement d’une formation intégrant désormais la donne « intelligence artificielle ». Sans attendre l’émergence de ces nouvelles générations, il y a lieu dès aujourd’hui de reconsidérer l’organisation des professions médicales à l’aune de l’intelligence artificielle. Une approche qui nécessitera davantage de coordination, de transversalité, notamment au travers de l’utilisation accrue de l’imagerie médicale. Il va sans dire que le professionnel de santé restera la clé de voûte du système de soins. Il lui sera cependant demandé d’autres compétences. Les capacités à orienter le patient, à coordonner sa prise en charge, à lui expliquer le traitement s’imposeront plus que jamais comme les valeurs ajoutées du professionnel de santé dans le dispositif de soins. Reste cependant à doubler l’usage de l’intelligence artificielle d’une réflexion éthique. Elle sera d’autant plus impérative dans ce domaine sensible des données personnelles de santé. D’ores et déjà, en amont du développement de l’intelligence artificielle dans notre système de santé, un débat sur les limites de l’utilisation des algorithmes s’impose.