Clinic n° 05 du 01/05/2018

 

DERMATOLOGIE BUCCALE

Mathilde SEIGNEUR*   Grégoire HUGUET**   Léonie QUENEL***   Élisabeth CASSAGNAU****   Philippe LESCLOUS*****   Saïd KIMAKHE******  

Un patient de 58 ans consulte en raison d’une gêne indolore occasionnée par la présence d’une lésion exophytique de petite taille évoluant au niveau du voile du palais gauche depuis quelques années (fig. 1).

Antécédents

On retrouve à l’interrogatoire un antécédent de lymphome non hodgkinien en 2008, traité par chimiothérapie et actuellement en rémission complète. Le patient rapporte également un double pontage coronarien en 2015 associé à la pose d’un stent cardiaque pour traiter une cardiopathie ischémique pour laquelle il prend également de l’acide acétylsalicylique (antiagrégant plaquettaire), de l’amlodipine (inhibiteur calcique) et du bisoprolol fumarate (bêtabloquant) dans le cadre d’une hypertension artérielle équilibrée. Il est également asthmatique et traité par fluticasone propionate (corticostéroïde inhalé). Ce patient ne fume pas et n’a aucune allergie connue.

Examen clinique

L’examen exo-buccal est sans particularité. Les aires ganglionnaires sont libres.

L’examen endo-buccal met en évidence des édentements partiels maxillaire et mandibulaire (édentements encastrés au niveau des secteurs 1 et 2 et terminal au niveau du secteur 4). On note par ailleurs la présence d’une lésion blanche verruqueuse isolée au niveau du voile du palais gauche. Cette lésion bien circonscrite, légèrement surélevée, de faible étendue (environ 7-8 mm de grand axe) est papillomateuse, en forme de « chou-fleur ». La muqueuse avoisinante est d’allure saine. Elle saille sur le voile du palais et gêne le patient qui dit la sentir au passage de sa langue, notamment lors de la déglutition.

Attitude diagnostique

Les caractéristiques cliniques de cette lésion palatine permettent de s’orienter rapidement vers une nature bénigne et papillomateuse. Les diagnostics différentiels à évoquer en priorité sont les verrues orales vulgaires, les condylomes acuminés et l’hyperplasie épithéliale focale. Il ne faut par ailleurs jamais oublier d’évoquer une étiologie maligne, notamment une tumeur carcinomateuse (de type verruqueux en l’occurence).

Notons que les verrues vulgaires orales sont le plus souvent le résultat d’une auto-contamination chez un sujet porteur de verrues cutanées (qui, elles, sont très fréquentes) dont la localisation est préférentiellement au niveau des mains.

Les condylomes acuminés sont, comme le papillome oral et les verrues vulgaires, des lésions dues à des virus type Human Papilloma Virus (HPV) mais dont la contamination se fait par voie sexuelle lors de rapports oro-génitaux ou par auto-inoculation. Il convient alors de rechercher des pratiques à risque, de réaliser un bilan d’infections sexuellement transmissibles et d’examiner dès que possible le (ou la) partenaire sexuel(le) si le contexte coïncide.

L’hyperplasie épithéliale focale ou maladie de Heck correspond à de multiples nodules totalement asymptomatiques et d’allure parfois similaire au papillome, retrouvés sur les lèvres, la langue ou le reste de la muqueuse orale.

Précisons, par ailleurs, que l’examen radiographique réalisé dans le cadre d’un bilan carieux ne retrouve aucune lésion dentaire ou osseuse sous-jacente.

Compte tenu de tous ces éléments cliniques et radiologiques et des données de l’entretien avec le patient ne retrouvant aucun comportement sexuel à risque, l’orientation diagnostique privilégiée est en faveur d’un papillome du voile du palais.

Devant tout papillome, il convient de rechercher une immunodépression pour laquelle la prescription d’un examen sanguin (comprenant NFS, glycémie à jeun, électrophorèse des protéines sériques et sérologies VIH 1 et 2) semble justifiée.

Conduite thérapeutique

Devant un papillome oral, une exérèse n’est pas systématiquement réalisée d’emblée. En effet, lorsqu’il n’y a aucune suspicion de malignité, que la lésion évolue de manière stable depuis des années et qu’il n’y a pas de gêne rapportée par le patient, une simple surveillance peut être entreprise.

Dans ce cas, l’exérèse de la lésion papillomateuse s’avérait nécessaire car elle engendrait une certaine gêne pour le patient. Le geste a été réalisé sous anesthésie locale et la pièce envoyée au laboratoire d’anatomie et cytologie pathologiques pour en préciser la nature histologique (fig. 2 à 4).

Examen histologique

L’analyse microscopique retrouve un revêtement malpighien hyperplasique, papillomateux et hyperkératosique, sans caractère dysplasique associé (fig. 5). Ponctuellement, au niveau des couches superficielles, quelques cellules prennent un aspect koïlocytaire avec un noyau irrégulier et un halo clair péri-nucléaire, associées à d’exceptionnelles cellules dyskératosiques, sans binucléation cependant. Sans être formel, ce revêtement présente donc de discrets signes d’infection virale à HPV, s’accordant avec le diagnostic clinique présumé de papillome.

Mais tout signe de suspicion de malignité peut être écarté.

Suivi postopératoire

La consultation postopératoire à 1 mois retrouvait une cicatrisation complète sans élément clinique de récidive précoce du papillome (fig. 6). Le patient ne rapportait par ailleurs plus aucune gêne.

Enfin, les résultats des analyses biologiques étaient sans particularité et ne retrouvaient donc pas de signe d’immunodépression. Une recherche de virologie HPV par PCR a été mise en place.

La nécessité d’une autosurveillance a été expliquée au patient afin de dépister toute récidive.

Commentaires

Le papillome buccal est une tumeur épithéliale bénigne exophytique de la muqueuse buccale liée à une infection virale à un HPV non oncogène. Elle est peu fréquente (la prévalence des infections asymptomatiques à HPV est estimée entre 5 et 11 % chez les adultes au niveau de la cavité buccale), touche autant les hommes que les femmes et survient à tout âge, même si l’on observe un pic d’incidence dans les 3 premières décennies de vie. Ses localisations préférentielles sont la langue et le palais. Pouvant s’étendre de quelques millimètres à un centimètre de longueur, elle est cependant bien limitée et ne provoque en général aucune douleur.

Les lésions associées sont souvent uniques mais peuvent être multiples, pédiculées mais rarement sessiles, en forme de « chou-fleur » ou de petites excroissances en surface, plus ou moins kératinisées et donc de consistance plus ou moins dure.

Comme discuté précédemment, ce genre de lésion survient plus volontiers chez le patient dont l’immunité est défaillante, c’est pourquoi il faut absolument s’attacher à rechercher une immunodépression en réalisant au moins un bilan biologique.

L’origine virale due à des HPV non oncogènes écarte tout risque de transformation maligne. Le suivi après exérèse a surtout pour but de dépister une récidive précoce et de surveiller l’apparition de nouvelles lésions, notamment chez le sujet immunodéprimé.

À lire

  • Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Courrier B, Samson J. La muqueuse buccale : de la clinique au traitement. Paris : Med’Com, 2009.