La recherche clinique en cabinet de ville embarque le praticien et son équipe dans une aventure inédite dont ils apprécient les dimensions tant scientifiques qu’intellectuelles. Sans compter les bénéfices qu’ils en retirent dans la relation au patient.
Mener un projet d’étude institutionnelle au sein d’un exercice professionnel libéral est avant tout une affaire de passion pour les praticiens qui se sont impliqués dans cette démarche, encore inédite dans la pratique de ville. Cette approche constitue le prolongement naturel de leur engagement, un complément précieux dans leur propre pratique mais aussi dans la gestion de leur cabinet, comme le démontrent les retours d’expérience. « Nous étions un petit noyau de praticiens passionnés par la CFAO et nous partagions nos expériences de manière informelle. Cependant, jusqu’alors, nous ne disposions pas beaucoup de recul clinique », rappelle Cyril Fonteneau, chirurgien-dentiste installé à Paris qui a participé à l’essai clinique CECOIA – mené par Hélène Fron-Chabouis. « J’avais une intuition et cela m’intéressait de la confirmer au niveau clinique. À ce niveau là, le protocole et la méthode comptaient autant que les matériaux eux-mêmes », décrit, de son côté, Stéphane Cazier, installé dans le douzième arrondissement de Paris, également enseignant à la faculté Paris-Descartes et conférencier sur la CFAO, pour expliquer cette « impulsion » qui l’a conduit intellectuellement et scientifiquement à « participer à l’aventure ».
Ces praticiens ne nient pas les contraintes liées à un tel investissement. Elles sont essentiellement de l’ordre du temps supplémentaire (estimé à 50 %) exigé par les protocoles, l’inclusion des patients, le recueil de leur consentement, leur convocation aux visites de contrôles… Caroline Prot, installée à Lyon au sein d’un cabinet groupé, a résolu cette problématique en confiant les tâches administratives concernant le suivi des patients à l’une de ses assistantes.
L’intégration des collaborateurs dans l’étude a pour autre avantage de susciter une motivation nouvelle. « À l’issue d’une réunion préalable au cours de laquelle je leur ai expliqué les process du projet, notamment le fonctionnement des cahiers, les assistantes y ont adhéré totalement. Cette nouvelle approche leur apportait un plus dans leur pratique professionnelle », constate Caroline Prot.
Installé depuis 1995, le Dr Cazier a pu compter sur le soutien de son assistante qui le seconde depuis 17 ans, tout comme sur l’enthousiasme de ses patients triés sur le volet. Car l’engagement du praticien est également très bien perçu par les patients qui tirent une certaine fierté d’être recrutés. « Les patients sont certes dédommagés (à hauteur de 100 euros) mais ce n’est pas la raison qui les pousse à accepter de participer à l’étude. Ils étaient heureux d’avoir été sélectionnés et, surtout, ils m’accordaient toute leur confiance », constate Stéphane Cazier. Il lui arrivait même, sous forme de boutade pour détendre une atmosphère un peu solennelle, de lancer à l’adresse de ses patients : « comme nous sommes hyper surveillés dans le cadre de cette étude clinique, nous allons essayer de bien travailler ! ». De plus, comme le remarque Cyril Fonteneau qui a inclus une quarantaine de patients, les retombées en termes d’image sur le cabinet sont également très positives : « s’agissant pour la plupart de clients fidèles au cabinet, ils se disent qu’ils ne se sont pas trompés en nous faisant confiance. Ce retour est, par conséquent, valorisant pour l’équipe ».
Le retour sur investissement se mesure également pour les praticiens dans leur pratique professionnelle. Ils sont prêts à accepter ce « surplus de travail » engendré par le projet, au regard des bénéfices qu’ils en tirent. Cette nouvelle approche leur permet de rompre la solitude qui marque souvent l’exercice au quotidien.
Si ce n’est pas tout à fait le cas du Dr Cazier qui côtoie de nombreux confrères lors de ses conférences, il en apprécie la satisfaction intellectuelle doublée d’un plaisir certain de rejoindre une équipe dans les réunions d’informations et de formation ainsi qu’ un réseau de praticiens dans une démarche « corporatiste » et « éthique ». Cette curiosité, bien davantage qu’un quelconque bénéfice financier, aiguillonne la motivation du chirurgien-dentiste. La participation à une étude clinique permet d’ouvrir de nouveaux champs d’investigation et de nouvelles perspectives dans l’exercice professionnel. « L’étude s’est tout à fait inscrite dans notre façon de travailler. Les résultats m’ont d’ailleurs confortée dans l’utilisation des matériaux que j’utilisais déjà. C’est un moyen d’aller plus loin dans la mesure où il est important d’avoir les données d’un cabinet en pratique privée, y compris les aléas liés aux contraintes d’un exercice privé. La participation à cette étude a permis de mieux structurer encore notre pratique. Mais, surtout, elle a nous a permis de valider nos process. C’est un feed back très gratifiant pour notre exercice », s’enthousiasme Caroline Prot.
Outre la fierté d’avoir servi, à l’échelle de leur cabinet, la science et la profession par leur engagement dans une étude clinique, les praticiens retiennent de cette expérience bien davantage que ses contraintes matérielles. Ils ont le sentiment que le projet leur a permis de se dépasser et les a incités, comme le note Cyril Fonteneau, à être « encore meilleurs ».
Pierre Colon
PU-PH, université Paris Diderot, UFR d’odontologie
LMI UMR CNRS 5615
AP-HP, hôpital Rothschild, service d’odontologie, Paris
Nancie Cougot
AHU, université Paris Diderot, UFR d’odontologie
LMI UMR CNRS 5615
AP-HP, hôpital Rothschild, service d’odontologie, Paris
Praticienne libérale, Meudon (92)
François Marie Dutour
Praticien libéral, Issoire (63)
Hélène Fron-Chabouis
MCU-PH, université Paris Descartes, faculté de chirurgie dentaire, URB2i EA 4462
Hôpital Charles Foix, servie d’odontologie, Ivry-sur-Seine
Christian Moussally
Praticien libéral, Paris
Thomas Trentesaux
MCU-PH, université de Lille, faculté de chirurgie dentaire, EPS EA 4569
CHRU de Lille, service d’odontologie
Praticien libéral, Grenay (62)