CARIOLOGIE
Franck DECUP* Michèle MULLER-BOLLA** Monique CHOUVIN*** Céline CLÉMENT**** Pierre COLON***** Dominique DROZ****** Delphine MARET******* Dominique SEUX******** Jean-Louis SIXOU********* Sophie DOMEJEAN**********
*Département d’odontologie conservatrice
**MCU-PH, Université Paris Descartes, Paris
***Département d’odontologie pédiatrique
****PU-PH, Université Côte d’Azur, Nice
*****Département orthopédie dento-faciale
MCU-PH, Faculté d’odontologie, Montpellier 1
******Prévention-épidémiologie-économie
de la santé et odontologie légale
MCU-PH, Faculté d’odontologie, Nancy
*******Département d’odontologie conservatrice
********PU-PH, Université Paris Diderot
*********Département d’odontologie pédiatrique
**********MCU-PH, Faculté d’odontologie, Nancy
***********Département d’odontologie conservatrice
************MCU-PH, Université de Toulouse
*************Département d’odontologie conservatrice
**************PU-PH, Université Lyon 1
***************Département d’odontologie pédiatrique
****************PU-PH, Université de Rennes 1
*****************Département d’odontologie conservatrice
******************PU-PH, Université Clermont Auvergne
L’attente des patients aujourd’hui est autant tournée vers leur guérison que vers le contrôle de leur bonne santé. Dans le domaine bucco-dentaire, nous connaissons cette équation depuis longtemps avec la prévention. Elle se précise actuellement en intégrant des paramètres comme la prise en compte des facteurs de risque, le suivi statistique des traitements ou l’évolution des stratégies d’éducation thérapeutique. Mais, s’il y a bien une constante qui caractérise nos actions de prévention, cela reste le recours au fluor. Une mise à jour des recommandations sur son utilisation vise à rendre sa prescription toujours et encore plus pertinente. Notre groupe s’est livré à une revue de la littérature la plus récente pour venir en aide à notre pratique clinique.
D’une façon générale, l’atteinte carieuse des enfants et adolescents a nettement diminué dans les années 90 pour se stabiliser ensuite au regard des études régionales. En effet, les dernières données épidémiologiques françaises nationales enregistraient un indice carieux CAOD moyen des enfants de 12 ans de 1,23 en 2006 contre 2,4 en 1987 [1, 2]. En revanche, le nouvel indice ICDAS (International Caries Detection and Assessment System), qui ne se limite plus uniquement aux lésions cavitaires, semble montrer une situation toujours préoccupante chez les enfants en diminuant par deux le pourcentage d’enfants de 12 ans indemnes d’expérience carieuse par rapport au CAOD [3].
Chez l’adulte, les données épidémiologiques françaises sont malheureusement rares ; cependant, il peut être affirmé que l’indice carieux est toujours élevé [4]. Avec le vieillissement de la population, la maladie carieuse ne doit plus être considérée comme une maladie qui ne concerne que la petite enfance [4]. Chez l’adulte, des groupes à risque carieux élevé existent tels que, par exemple, les patients adultes polymédiqués et les patients âgés dépendants (fig. 1 et 2).
De plus, en France comme dans la plupart des pays, des disparités sociales et régionales persistent [4]. La maladie carieuse est donc toujours une préoccupation majeure de notre profession.
L’objectif de cet article, qui s’appuie sur une revue de littérature, est de rappeler l’importance du rôle des chirurgiens-dentistes dans la prévention individuelle contre la maladie carieuse et de rendre efficientes les prescriptions de produits fluorés qui accompagnent les conseils et les explications, sur la base d’évidences scientifiques les plus récentes.
Le fluor est une molécule dont l’intérêt majeur ne fait plus débat dans le domaine de la cariologie. Il prévient et limite les phénomènes de déminéralisation (prévention primaire) et permet la reminéralisation des lésions carieuses (prévention secondaire). Si d’autres molécules sont proposées sur le marché professionnel, les preuves scientifiques actuelles ne permettent pas de les indiquer en remplacement du fluor [5-7].
Parmi les vecteurs fluorés se distinguent les agents systémiques et topiques [8]. L’efficacité cario-préventive pré-éruptive des agents systémiques a été remise en question [9-12]. Leur utilisation n’est préconisée que dans les cas où les dentifrices et vernis ne sont pas ou que peu accessibles, pour une action post-éruptive.
Parmi les agents topiques fluorés, les gels et les bains de bouche n’ont pas été considérés dans ce travail du fait de leur moindre efficacité cario-préventive et de leur indication uniquement possible à partir de l’âge de 6 ans [13, 14]. Actuellement, l’utilisation d’un dentifrice fluoré reste le moyen le plus simple et le plus économique de tous les apports topiques ; il doit être recommandé à chacun de nos patients, quel que soit son âge, dès l’apparition des premières dents. Le vernis fluoré, produit d’utilisation professionnelle, est indiqué chez les patients à risque carieux individuel (RCI) élevé, quel que soit leur âge.
Le fluor protège les tissus dentaires minéralisés par précipitation de fluorures sous forme de CaF2 par combinaison avec le calcium de la salive ou celui libéré en cas d’attaque acide de l’émail (fig. 3). Son incorporation dans ces mêmes tissus rend plus difficile l’action des acides.
La reminéralisation des tissus durs dentaires est naturellement possible et provient des ions calcium et phosphate présents dans la salive. Une reminéralisation potentialisée peut être obtenue grâce au fluor qui agit comme un catalyseur de re-fixation des ions présents dans la salive. Le processus de reminéralisation se fait par la formation d’une fluoro-apatite plus résistante à la dissolution acide que l’hydroxy-apatite.
Une lésion amélaire non cavitaire peut ainsi être reminéralisée ad integrum avec, cependant, une possible altération chromatique (fig. 4).
Une lésion cavitaire avec exposition dentinaire peut être également reminéralisée sans comblement de la perte de substance mais au bénéfice de l’étanchéité du complexe dentino-pulpaire. C’est en particulier le cas des lésions radiculaires très accessibles aux applications topiques (fig. 5).
Le fluor a également une action antibactérienne sur les principales bactéries cariogènes (Streptococcus mutans et lactobacilles) qui a été démontrée in vitro si sa concentration est élevée.
Le fluor limite la déminéralisation des tissus dentaires durs et favorise leur reminéralisation.
Le fluor peut provoquer des effets indésirables (comme des réactions allergiques) mais ceux-ci sont très rares : moins de 1 patient sur 10 000 !
Le principal risque reconnu à l’utilisation du fluor en cario-prévention est celui de fluorose en cas de surdosage pendant la période de formation des dents permanentes. À partir de 8 ans, le risque de fluorose ne concernerait que les troisièmes molaires ; aussi, du fait de la variabilité individuelle, est-il préférable d’attendre 1 ou 2 ans de plus pour utiliser quotidiennement des dentifrices à haut dosage en fluor.
Le fluor en utilisation topique est compatible avec la grossesse et l’allaitement (l’effet recherché est la prévention chez la mère et non chez l’enfant).
Des réactions allergiques ont été décrites avec l’utilisation des topiques fluorés ; celles-ci ne sont pas liées au fluor lui-même mais à certains adjuvants comme les parabènes dans les dentifrices fluorés ou la colophane dans les vernis.
La prévention primaire désigne l’ensemble des actes et traitements destinés à diminuer l’incidence de la maladie carieuse.
En parallèle du contrôle des facteurs de risque et des explications sur les techniques de brossage, le praticien tient un rôle actif dans les conseils, la prescription et l’application topique des produits fluorés. En fonction de l’appartenance à des groupes types, pour lesquels le risque carieux est statistiquement mis en évidence, des recommandations cliniques appuyées sur les connaissances scientifiques actuelles peuvent être dispensées.
Leur choix repose sur leur concentration en fluor. Les études scientifiques portant sur l’évaluation des dentifrices fluorés permettent les conclusions suivantes (fig. 6) :
• l’efficacité cario-préventive des dentifrices dosés à moins de 1 000 ppmF n’a pas été clairement démontrée à ce jour ;
• à l’inverse, l’efficacité cario-préventive des dentifrices dosés entre 1 000 et 1 450 ppmF (dosage standard) a été prouvée ;
• de même, il est montré que l’efficacité cario-préventive des dentifrices dosés entre 2 400 à 2 800 ppmF (haut dosage) est majorée par rapport à celle des dentifrices standard.
Les études épidémiologiques ont permis de mettre en évidence un ensemble de déterminants communs chez certains types de patients. Il est intéressant de reconnaître ces populations cibles pour adapter nos recommandations. Des périodes clés et des âges significatifs ont également été statistiquement soulignés, pour leur niveau de risque mais aussi pour leur spécificité de prescription.
Lors des prescriptions, ces données doivent être mises en parallèle en opposant le RCI et le risque de fluorose pendant une période de la vie au cours de laquelle l’enfant ne contrôle pas sa déglutition (fig. 7). Dans ce contexte, quelques mesures sont donc à respecter :
• la dose recommandée avant 6 ans est celle du petit pois ou du grain de riz ;
• chez l’enfant âgé de 2 à 6 ans et à RCI élevé, un dentifrice de concentration standard (1 000-1 450 ppm) peut être envisagé en remplacement d’un dentifrice de moins de 1000 ppm avec le consentement éclairé des parents. Il est important de bien insister sur la notion de quantité ;
• la réalisation puis la supervision du brossage par un adulte (dès que l’enfant a atteint une bonne autonomie) sont nécessaires à la fois pour contrôler sa qualité et prévenir la fluorose dentaire.
Après 6 ans, et quel que soit l’âge, un dentifrice standard est classiquement utilisé chez les personnes à RCI faible.
Dès que le risque de fluorose est écarté, un dentifrice à haut dosage (2 400-2 800 ppmF) doit être recommandé chez les sujets à RCI élevé (fig. 8) ; par exemple, il doit être prescrit aux adolescents porteurs de dispositifs orthodontiques car ceux-ci sont reconnus comme facteurs entravant le contrôle de plaque et donc aggravant le RCI (fig. 9). De même, il doit être recommandé suite à la dégradation du parodonte et aux premières récessions gingivales pour prévenir les lésions carieuses radiculaires.
L’utilisation biquotidienne d’un dentifrice à haut dosage en fluor (2 400-2 800 ppmF) mérite d’être systématisée en cas de modifications alimentaires et d’une hygiène bucco-dentaire souvent moins satisfaisante.
L’utilisation d’un dentifrice à haut dosage en fluor (2 400-2 800 ppmF) est recommandée avant, pendant et après radiothérapie. Elle peut être complétée par une application quotidienne de gel fluoré. Le nettoyage inter-dentaire doit être soigneusement réalisé.
Les études scientifiques qui abordent l’efficacité des vernis fluorés ont principalement été menées avec des vernis fluorés dont la concentration s’élève à 22 600 ppmF. Ces vernis semblent présenter une efficacité cario-préventive élevée lorsqu’ils sont comparés à un placebo ou à l’absence de traitement chez l’enfant et l’adolescent.
L’utilisation de vernis fluoré est un complément intéressant chez l’enfant et l’adolescent à RCI élevé tant en denture temporaire qu’en denture mixte et permanente. En effet, il n’augmente pas le risque de fluorose dentaire lié à l’ingestion (fig. 11).
Le nombre optimal annuel d’applications n’est pas définitivement établi [25]. Si l’efficacité a été démontrée pour deux applications annuelles, un rythme d’application augmenté à 4 fois par an est parfois recommandé par ceux qui distinguent un RCI élevé de modéré ; et ceci même si aucune efficacité majorée n’a été démontrée à ce jour en doublant le nombre d’applications. Par comparaison aux scellements de sillons à base de résine, leur efficacité est néanmoins moindre [37].
La fréquence d’application varie selon les auteurs d’une application mensuelle à une tous les 3 mois. Cliniquement, la deuxième solution paraît la plus réaliste.
La prévention secondaire désigne l’ensemble des mesures destinées à interrompre le processus carieux en cours pour limiter les complications et séquelles. Elle concerne tous les patients, quels que soient leur âge et leur condition médicale, lorsqu’ils présentent au moins une lésion carieuse active et donc un RCI élevé.
Il est intéressant de noter que, parmi les différents topiques fluorés, seule l’efficacité des dentifrices et des vernis fluorés dans la reminéralisation des lésions carieuses a été évaluée (celle des gels et des bains de bouche n’a pas été étudiée).
Les recommandations sont à adapter en fonction de l’âge du sujet et du tissu dentaire concerné par le processus carieux.
Sous réserve de la correction du RCI, les dentifrices hautement fluorés (2 400-2 800 ppmF) sont plus efficaces dans la reminéralisation des lésions carieuses non cavitaires amélaires que ceux dosés à 1 450 ppmF. En revanche, ceux à haut dosage tout comme ceux à 1 450 ppm de fluor associé à de l’arginine sont efficaces dans la reminéralisation des lésions carieuses radiculaires (dans un même contexte où le RCI est corrigé) ; cependant, de meilleurs résultats seraient obtenus avec des dentifrices hautement dosés [50, 51]. En denture temporaire, seuls les dentifrices « standard » peuvent être utilisés avec le consentement éclairé des parents, d’autant que l’efficacité du vernis fluoré comme celle des scellements des puits et fissures de l’émail à l’aide de résine n’ont pas été évaluées en prévention secondaire [52].
L’application hebdomadaire de vernis fluoré (≥ 22 600 ppmF) jusqu’à reminéralisation des lésions non cavitaires amélaires des dents permanentes a fait la preuve de son efficacité. Elle requiert en conséquence une grande motivation du patient. Le nombre d’applications d’au minimum 3 fois est à envisager au cas par cas [25]. En ce qui concerne les lésions occlusales, le scellement des puits et fissures de l’émail à l’aide de résine semble plus efficace [37].
Les maladies carieuse et parodontale sont toutes deux liées à des comportements individuels ainsi qu’à l’environnement social et culturel. Même si les bactéries en cause sont différentes, toutes deux ont des facteurs de risque communs avec, en premier lieu, une mauvaise hygiène orale.
De plus, elles peuvent s’influencer l’une l’autre : un patient présentant de multiples lésions carieuses ouvertes sera plus enclin à diminuer le brossage de ses dents en raison des sensibilités qu’il engendre ; il sera donc plus à risque de développer des problèmes parodontaux localisés ou généralisés en raison du mauvais contrôle de plaque. À l’inverse, un patient, notamment âgé, présentant des récessions gingivales qui constituent de véritables pièges à plaque et une entrave à une bonne hygiène orale sera plus à risque de développer des lésions carieuses radiculaires (fig. 12).
Les recommandations concernant la prescription et l’utilisation des dentifrices et des vernis fluorés sont bien définies et soutenues par une documentation scientifique très riche.
Il apparaît que le recours aux dentifrices et aux vernis fluorés (action topique) est hautement recommandé tant en prévention primaire que secondaire.
Le praticien doit adapter ses conseils et ses actes en fonction du type de patient concerné et de son RCI.
Lorsque l’âge du patient s’y prête (> 6 ans), l’action des dentifrices fluorés peut être majorée grâce aux formulations à haut dosage.
Les vernis fluorés ont également prouvé leur efficacité en prévention primaire et secondaire.
Les auteurs tiennent à remercier Procter & Gamble pour avoir soutenu ce groupe de travail à propos des recommandations des dentifrices et vernis fluorés en août 2017.