WHAT’S UP EN ENDO ?
Ancienne AHU en odontologie
conservatrice et endodontie
Directrice d’EndoSophie, concept de
transmission du savoir en endodontie
Paris
Le jeu du What’s up d’EndoSophie est de mettre en lumière la réflexion clinique du praticien pendant tout le déroulé d’un cas clinique. Le but est d’apprendre à jouer avec les données historiques, cliniques et radiographiques que présente le patient.
Un cas, un diagnostic, une décision thérapeutique adaptée.
La lésion de résorption est peut-être une des pathologies dentaires les plus difficiles à maîtriser.
Comme souvent, lorsqu’on ne comprend pas bien un mécanisme physiopathologique et qu’on ne connaît pas clairement les causes d’apparition, il est difficile de traiter et encore plus difficile d’anticiper le pronostic.
Même une fois envisagée dans ses dimensions, elle peut laisser le praticien totalement perplexe quant à la prise en charge.
Est-il possible d’atteindre la zone chirurgicalement ? Peut-on, doit-on la traiter ? Quelles sont les chances de survie de la dent ? Quel succès thérapeutique ?
Ce que rapporte le patient. Le patient se présente à la consultation pour un contrôle classique. Il a 20 ans et ne présente aucun symptôme particulier. La première observation clinique n’attire pas particulièrement l’attention.
→ Ce que déduit le praticien. Même en ayant l’œil averti, cliniquement, il n’y a pratiquement aucun symptôme d’appel. Et c’est là toute la difficulté. Aucun symptôme dentino-pulpaire, pas toujours de discoloration visible.
L’étiologie de la lésion est extrêmement variable et prête à confusion. Les études ne rapportent aucun lien entre un facteur prédictif d’apparition d’une résorption cervicale externe RCE) et la prévalence de celle-ci [1,2].
Les cas rapportés vont du traitement orthodontique, au trauma, au blanchiment interne, pour aller, dans les études épidémiologiques plus récentes, vers des cas de malocclusion, ou de maladie parodontale, d’auto transplantation, de traitement aux biphosphonates… [3].
Heureusement le Bite Wing, examen incontournable de la consultation de contrôle classique en omnipratique, a révélé la lésion. C’est cliniquement que le praticien fait le diagnostic différentiel entre la lésion carieuse et la RCE. La couronne paraît intacte, il n’y a pratiquement pas de discoloration sur la zone cervicale. Le sondage parodontal en distal de la 16 fait abondamment saigner à partir du point d’élection de la lésion [4], sans être particulièrement profond, et sur un terrain parodontal global non inflammatoire.
Depuis l’apparition du cone beam, la détection des lésions et l’évaluation de leurs volumes deviennent précises.
La lésion de RCE progresse à partir d’un point juste sous la zone d’attache parodontale et peut aller dans différentes directions.
Elle peut s’étendre de façon circonférentielle à la pulpe, mais aussi corono-apicalement.
Le volume est irrégulier et non symétrique par rapport au volume pulpaire et aux contours de la dent.
Il parait évident que, pour en apprécier précisément le volume, la prescription d’un cone beam est une nécessité. Le cone beam améliore considérablement la prise en charge et permet d’anticiper sur le pronostic de traitement [5,6].
Il faut prescrire un cone beam de petit champ (5 × 5) et de haute résolution (environ 80 micromètres) et indiquer au radiologue ce que l’on cherche à voir afin de détecter précisément le volume d’occupation de la lésion et ses rapports avec le volume pulpaire.
À la lecture des radiographies rétro-coronaire et rétro-alvéolaire qui révèlent la présence d’une lésion de résorption cervicale externe (RCE) (fig. 1 et 2). On perçoit très bien le point d’élection de la lésion. Il est situé exactement à la jonction amélo-cémentaire (cliniquement sous le niveau d’attache parodontal).
La lésion occupe la partie distale de la couronne, elle modifie légèrement le volume pulpaire mais ne semble pas pénétrer la chambre.
L’absence de symptôme clinique et la réponse « normale » aux tests pulpaires, corrélés à l’image radiographique, semblent indiquer que la pulpe n’est pas atteinte.
Sur le plan histologique, la zone canalaire est comme enrobée d’une couche « résorption résistante » faite de prédentine et de dentine [7].
La zone de résorption peut inclure dans sa masse des zones calcifiées, visibles radiographiquement, qui attestent d’un processus de réparation au sein du processus de destruction.
Mais on peut constater aussi, au sein de la zone saine de dentine, un processus d’extension de la zone de résorption par de petits tunnels qui partent dans la zone saine.
On comprend à quel point le phénomène de résorption est actif, dynamique et complexe. Et à quel point le traitement est peu prédictif d’une guérison [8].
La lecture est bien plus précise (petit champ, haute résolution) (fig. 3).
La zone de résorption est plus étendue du côté vestibulaire que du côté palatin. Elle occupe entre 90 et 180 degrés en terme de circonférence, elle est classée en niveau B.
En hauteur, elle occupe l’équivalent de toute la hauteur de la chambre pulpaire. Elle va de la jonction amelo-cémentaire en coronaire, jusqu’au niveau crestal.
Elle est dit « supra crestale », classée en niveau 1.
Elle ne franchit pas la barrière pulpaire mais en modifie légèrement les contours, elle est dite confinée à la dentine donc en niveau « d ».
La hauteur, la profondeur et la diffusion circonférentielle de la lésion ont un impact sur le taux de survie de la dent et sur les chances de succès du traitement.
Ici, techniquement, la lésion est accessible et il est permis d’envisager de bonnes chances de succès [9].
Le traitement d’une lésion de RCE a pour objectif d’inactiver le processus de résorption.
Il faut bien entendre et bien lire que le traitement doit viser à ce que le processus de résorption enclenché cesse, c’est-à-dire qu’il faut supprimer le tissu contenant les odontoclastes à l’origine de sa destruction.
Il faut donc débrider la zone le mieux possible et sceller la surface dentaire de façon à prévenir le re-déclenchement clastique [10]. Pour cela il faut un accès visuel complet à la lésion [11].
Ici, la zone est cernable chirurgicalement.
En revanche, pour accéder complètement à la lésion et être certain de bien éradiquer tout le tissu, il faudra dépulper.
La priorité est à l’accès à la lésion de résorption. Il faut parfaitement la cerner dans tous ses contours. La conservation d’une pulpe vivante passe en second plan, d’autant qu’elle pourrait être considérablement affectée par le traitement de la résorption.
Pour choisir la séquence des actes, nous nous sommes aidés d’un logiciel 3D de prévisualisation et d’anticipation de la difficulté.
Dans le cas précis, il a aidé à anticiper deux choses (fig. 4 et 5) :
– le volume de la lésion reconstitué en 3D (anticipation visuelle) ;
– l’anatomie canalaire et la difficulté technique du traitement endodontique à venir (anticipation technique) (fig. 6 à 8).
Après analyse, il a été choisi de faire l’éviction du tissu en y accédant par voie occlusale (tunnel d’accès) dont on sait qu’il va être élargi en direction vestibulaire (fig. 9 et 10).
Ceci permettra de traiter l’ensemble de la lésion par voie occlusale et de préserver au maximum les parois distale, vestibulaire puis palatine de la couronne, aussi fines soient-elles.
Une fois l’éviction tissulaire faite, le tissu sera traité en surface par une solution aqueuse à 90 % d’acide trichloracétique, afin de supprimer les cellules clastiques.
Puis la perte de substance sera comblée par un verre ionomère.
Le traitement endodontique aura lieu dans la même séance, après reconstruction au verre ionomère, dans des conditions idéales d’asepsie et afin d’éviter toute symptomatologie entre deux séances (fig. 11 et 12).
Techniquement pour ce cas, deux essentiels :
– un incontournable : la pose du champ opératoire ;
– un quasi incontournable : l’utilisation d’aides optiques.
La difficulté de la prise en charge de ce cas a été non pas dans le diagnostic mais dans l’évaluation des dégâts engendrés par la résorption et la capacité à conserver la dent sur arcade donc à stopper le processus de résorption.
Dans certains cas, la lésion a fait de telles avancées qu’il est pratiquement impossible de conserver la dent.
Dans d’autres, c’est la voie d’accès qui est impraticable, elle ne permet pas un accès visuel, physique, complet sur le site.
Là, deux possibilités : laisser en l’état et contrôler jusqu’à temps qu’il ne soit plus possible de conserver la dent (par exemple pour un sujet jeune, chez qui on a intérêt à maintenir la situation clinique) ou extraire.
La lésion de RCE est multifactorielle, les facteurs prédisposant se combinent entre eux. Le plus souvent le patient a suivi un traitement orthodontique, subi un trauma ou présente une hygiène orale critiquable. Les facteurs de corrélations récemment retrouvés avec des parafonctions mènent aussi à penser qu’après traitement, et pour bien finir le cas, il faut vérifier l’absence de surcharge fonctionnelle ou parafonctionnelle, afin de prévenir la reprise du phénomène.