PARODONTIE
Carole DODIN* Marjolaine GOSSET**
*Docteur en médecine
**Enseignante en ETP ÉDUSANTÉ
***Experte « Stress » pour Prévention
Santé Mutualité
****PU-PH en parodontologie
Formée à l’éducation thérapeutique
Le succès du traitement parodontal implique une éducation du patient, afin qu’il modifie ses habitudes d’hygiène bucco-dentaire, mais également une bonne posture du dentiste/parodontiste soignant, afin d’établir une relation thérapeutique favorable, dite alliance thérapeutique. Éducation à la santé et éducation thérapeutique sont des concepts dont on entend souvent parler sans savoir exactement à quoi ils se réfèrent. Prenons le temps d’en savoir un peu plus pour améliorer le soin de nos patients.
L’éducation à la santé se définit selon l’OMS par « tout ensemble d’activités d’information et d’éducation qui incitent les individus à vouloir être en bonne santé, à savoir comment y parvenir, à faire ce qu’ils peuvent individuellement et collectivement pour conserver la santé, à recourir à une aide en cas de besoin ». L’éducation à la santé concerne tous les patients n’étant pas atteints d’une maladie chronique et constitue la prévention primaire. En odontologie, elle comprend l’enseignement des techniques de brossage ou l’éducation à un équilibre alimentaire en prévention des maladies parodontales, carieuses ou érosives.
L’éducation thérapeutique (ETP) (fig. 1) se distingue de l’éducation à la santé (tableau 1) dans le sens où elle intéresse les patients atteints d’une maladie chronique, dès lors que cette maladie entraîne des bouleversements importants sur les plans physique et émotionnel et que le patient devra apprendre à vivre avec sa maladie. En odontologie, l’ETP concernerait, en accord avec cette définition, les patients atteints de parodontite. En effet, des études ont mis en évidence, par entretiens semi-directifs et en accord avec des modèles de santé, que les patients atteints de parodontite ressentent un handicap, une limitation fonctionnelle, une gêne et une incapacité tant sur les plans physiques, psychosociaux que sociaux [1]. Cependant, stricto sensu, l’ETP telle qu’elle est reconnue par les ARS (Agences régionales de santé) concerne des malades qui sont reconnus comme atteints d’une affection longue durée (ALD). La participation de l’odontologie à des programmes d’ETP destinés aux patients atteints d’une maladie chronique, qu’elle soit inflammatoire, endocrinienne, métabolique ou encore auto-immune (diabète, obésité, rhumatismes inflammatoires chroniques…), trouve un sens. En effet, ces maladies peuvent avoir des répercussions au niveau oral (ex. : hyposialie lors du syndrome sec de Sjögren ou en raison de médications sialoprives) ou encore entraîner des angoisses sur des complications orales d’un traitement comme l’ostéo-chimionécrose due à un traitement bisphosphonate ou le risque infectieux associé à une biothérapie (ex. : anti-TNF).
Selon le rapport Charbonnel de 2008 [1], « l’éducation thérapeutique du patient (ETP) s’entend comme un processus de renforcement des capacités du malade et/ou de son entourage à prendre en charge l’affection qui le touche, sur la base d’actions intégrées au projet de soins. Elle vise à rendre le malade autonome par l’appropriation de savoirs et de compétences afin qu’il devienne l’acteur de son changement de comportement, à l’occasion d’événements majeurs de la prise en charge (initiation du traitement, modification du traitement, événements intercurrents…) mais aussi plus généralement tout au long du projet de soins, avec l’objectif de disposer d’une qualité de vie acceptable par lui ». Il est intéressant de noter que les patients atteints de parodontite expriment ressentir souvent un sentiment de regret [2], voire de honte, pouvant expliquer que nombre de patients expriment être prêts à investir tout ce qu’ils ont en termes de temps, d’efforts et de ressources financières pour devenir en bonne santé et maintenir leur estime de soi. Cependant, ils disent ne ressentir qu’un faible degré de contrôle sur les décisions de traitement et les résultats du traitement [3] (fig. 2 à 7).
L’ETP vise à :
• l’acquisition de compétences : d’une part, l’acquisition et le maintien par le patient de compétences d’auto-soins lui permettant de prendre en charge sa maladie dans tous ces aspects et, d’autre part, la mobilisation ou l’acquisition de compétences d’adaptation à la maladie lui permettant de concilier son projet de vie avec la maladie et le traitement. Il est très simple de projeter cette définition pour des maladies telles que le diabète pour laquelle le patient doit acquérir des savoir-faire comme les injections d’insuline (= compétences d’auto-soins) ou, encore, repérer des crises d’hypo ou d’hyperglycémie et connaître le comportement à suivre (= compétences d’adaptation à la maladie). Ces patients doivent également acquérir des savoir-être comme expliquer leur maladie à un tiers pour pouvoir aménager leur heure de repas par exemple (= compétences d’adaptation à la maladie) ;
• la mobilisation du patient pour un changement de comportement par une motivation qui lui sera spécifique. Le processus s’inscrit dans une négociation entre une norme thérapeutique, proposée par le milieu médical et soignant, et celle du patient, issue de ses représentations, de ses projets et qu’il entretient par son expérience, son système de valeurs, ses habitudes de vie, etc.
• développer de la part du praticien une posture très particulière dite posture éducative afin de créer l’alliance thérapeutique indispensable à cette nouvelle démarche et favorisant responsabilisation et participation du patient. Il ne s’agit plus d’un face à face avec, d’un côté, le praticien qui détient le savoir et délivre avec empathie l’information sur la maladie et, de l’autre côté, le patient qui va recevoir cette information et changer. En effet, le praticien n’est pas le seul à détenir un savoir (le patient est celui qui vit avec la maladie, et le vécu de la maladie est un savoir avec lequel il faut travailler lors de l’ETP). De plus, délivrer une information n’est pas suffisant pour éduquer un patient. L’exemple le plus simple est que tous les patients savent qu’il est mauvais de fumer et, pourtant, combien arrêtent même lorsque cette information est délivrée et détaillée par un professionnel de santé. Enfin, s’appuyer sur une peur, une crainte du patient (peur de perdre ses dents, cancer…) est une mauvaise approche éducative. Le praticien devra être centré sur qui est le patient (et non pas sur la maladie elle-même) en tenant compte de toutes ses dimensions (biologique, psychologique, socioculturelle, spirituelle, projets et motivations). Cette « posture éducative » indispensable s’acquiert et brise les schémas soignants conventionnels. Elle place le patient acteur de sa vie, lui ouvrant une « nouvelle participation » dans sa prise en charge et une nouvelle relation plus adulte et souvent plus efficace avec l’univers soignant.
L’ETP est proposée à un patient suite à l’annonce d’un diagnostic, lorsqu’il manifeste des difficultés à suivre un traitement ou qu’il exprime une souffrance, une peur associée à sa maladie. Elle lui permettra d’améliorer sa prise en charge de la maladie. Pour être efficace, l’ETP sera centrée (et donc adaptée) sur le patient. La réalisation d’un premier entretien déterminant (diagnostic éducatif ou bilan éducatif partagé), en accord avec un guide d’entretien mené par des questions ouvertes, permet de connaître le patient selon ses dimensions biomédicales, socioprofessionnelles, cognitives, psychoaffectives et ses projets (fig. 8). À partir de ce bilan, les besoins éducatifs spécifiques au patient seront déterminés. L’ETP est alors proposée, en séance individuelle ou de groupes (les individus du groupe partagent alors des besoins éducatifs similaires), pour permettre au patient l’acquisition des connaissances, savoir-faire et savoir-être nécessaires. L’utilisation d’outils éducatifs (fig. 9) représente un bon moyen de travail lors de l’ETP. Ceux-ci, de conception très simple, permettent d’utiliser plusieurs modes d’apprentissage (kinésique, auditif, visuel…) mais également de stimuler l’échange et de faciliter une animation de groupe.
L’équipe de parodontologie de l’hôpital Charles Foix participe aux ateliers d’éducation thérapeutique de groupe des patients atteints de Gougerot-Sjögren développés par le service de rhumatologie de l’hôpital Bicêtre (chef de service : Pr X. Mariette). Cette pathologie auto-immune est une maladie chronique altérant la qualité de vie des patients. Elle se caractérise notamment par une sécheresse buccale [4]. L’analyse des bilans éducatifs partagés (encadré 1) montre que ces patients ont besoin (besoins éducatifs) :
• qu’on leur explique les pathologies bucco-dentaires et l’importance de la salive dans leur apparition/évolution ;
• d’identifier les aliments associés avec un risque accru de pathologies bucco-dentaires ;
• de connaître les caractéristiques des produits d’hygiène orale et des lubrifiants buccaux disponibles.
À l’issue de l’atelier « bouche sèche » que l’équipe de parodontologie anime, les patients sont capables de (objectifs éducatifs) :
• de savoir : expliquer les différentes pathologies bucco-dentaires auxquelles ils peuvent être exposés en raison de leur bouche sèche ;
• de savoir : s’alimenter avec un choix raisonné des aliments/boissons, en accord avec les conseils de diététique reçus ;
• de savoir : choisir les produits d’hygiène bucco-dentaire adaptés à leurs besoins ;
• de savoir-faire : pratiquer une hygiène bucco-dentaire efficace.
Pour leur permettre d’acquérir ces compétences, des outils simples ont été développés (ex. : classer les aliments en fonction de leur risque pour la cavité orale : risque carieux, érosif…). Les patients échangent en collectivité pour répondre à l’activité proposée, favorisant la curiosité et l’éveil, ce qui favorise leur apprentissage. Un débriefing est ensuite réalisé par un membre de l’équipe.
Les programmes d’ETP ne sont pas développés à ce jour en parodontologie mais ces nouvelles approches de traitement modifient déjà nos traitements. Par exemple, quelques études analysent si l’utilisation de l’entretien motivationnel améliore l’apprentissage des techniques d’hygiène orale chez les patients atteints de parodontite. L’entretien motivationnel (EM) est une approche de la relation d’aide développée par Miller et Rollnick [5]. Il s’agit d’un style de conversation collaboratif permettant de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement. C’est une méthode particulièrement adaptée dans les situations où une personne est ambivalente face à un changement de comportement. L’ambivalence – « je sais que je dois changer mais je ne le fais pas, je n’y parviens pas » – est la première étape du processus de changement d’habitude du patient, nécessaire à sa santé. L’entretien motivationnel vise à stimuler l’analyse du problème avec le patient, à l’aider à explorer ses croyances, ses idées reçues (frein au changement) mais également ses ressources pour qu’il bascule vers la décision d’un changement et la fixation d’objectifs de changement.
En 2006, un essai clinique contrôlé randomisé a comparé l’efficacité d’un programme d’enseignement à l’hygiène orale « personnalisé » fondé sur des principes cognitivo-comportementaux et sur l’entretien motivationnel à celle d’un programme « standard ». Cent treize patients, repartis aléatoirement dans deux groupes, ont été suivis pendant 12 mois après un traitement parodontal non chirurgical. Les résultats de cette étude ont montré l’efficacité du programme fondé sur l’entretien motivationnel par rapport au programme « standard », notamment par une diminution significative du saignement gingival [6]. Une revue de littérature récente souligne que les études évaluant l’impact de l’entretien motivationnel sont encore peu nombreuses et que des études plus approfondies sur le sujet sont nécessaires [7].
Les réflexions actuelles sur la position du patient dans le soin médical ainsi que les changements actuels de la société (dont l’importance des réseaux sociaux) mettent en avant l’importance du partage de savoirs entre patients/malades et professionnels de santé. Ceci se traduit par la modification de la relation médecin/soignant, plaçant le patient comme partenaire de soins. En odontologie, nous devons incorporer ces évolutions pour améliorer la santé orale des patients. Nous présenterons, dans un second article, des applications concrètes de cette approche dans l’éducation thérapeutique en groupe de patients atteints de maladies chroniques extra-orales mais aussi dans une utilisation quotidienne en parodontologie.
• Patiente 1 – « Pour ma sécheresse buccale, boire est un besoin. Cela me réveille la nuit. » « J’ai des difficultés à manger de la viande, des gâteaux secs, du pain et à avaler les médicaments. J’aimerais donc savoir ce que je pourrais mettre en place. » « Quels sont aliments que je pourrais prendre pour améliorer mon quotidien ? »
• Patiente 2 – « Au niveau de la sécheresse buccale, elle est bien là. J’ai toujours une bouteille d’eau sur moi et mon spray buccal. J’ai un mauvais état buccal, j’ai une inflammation au niveau de mes gencives et mes dents se déchaussent. Je suis suivie une fois par an par un dentiste. »
https://www.iledefrance.ars.sante.fr/education-therapeutique-du-patient
https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/fr/education-therapeutique-du-patient-etp