Clinic n° 03 du 01/03/2018

 

ENQUÊTE

Anne-Chantal de Divonne  

Le gouvernement s’est fixé comme objectif un doublement des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) d’ici à la fin du quinquennat en 2022. Choyés par les pouvoirs publics qui voient en elles une solution privilégiée pour lutter contre les déserts médicaux, ces regroupements de professionnels de santé libéraux autour de projets de santé attirent progressivement les chirurgiens-dentistes ; ils sont 630 aujourd’hui. Comment fonctionnent ces MSP ? Qui sont ces pionniers du regroupement pluri-professionnel ? Que sont-ils venus chercher ? Comment exercent-ils avec les autres professions ? Quel intérêt y trouvent-ils dans leur exercice ?

Le 13 octobre dernier, Édouard Philippe, accompagné de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, présentait un « Plan territorial pour l’accès aux soins » depuis la toute nouvelle MSP de Châlus, à 30 km de Limoges, et confirmait le doublement du nombre des MSP d’ici à 2022 avec 400 millions d’euros sur la table pour construire les bâtiments.

C’est le troisième gouvernement successif qui mise sur ces structures pour contribuer à lutter contre les déserts médicaux. Avec succès en ce qui concerne leur nombre : il y avait 150 MSP en 2012, il y en a 1100 en ce début d’année. D’après les données collectées auprès de chaque ARS, 630 chirurgiens-dentistes ont rejoint une MSP, soit 1,5 % de la profession et 4,2 % des 15 000 professionnels de santé exerçant dans une MSP. Des proportions qui montrent une certaine frilosité à investir le cadre pluri-professionnel.

Un cadre

Des structures d’exercice coordonnées existaient déjà depuis de nombreuses années. La loi de 2009 sur l’hôpital, les patients, la santé et les territoires (HPST) a fixé un cadre à ce qu’on appelle désormais des MSP et donné des moyens financiers pour accélérer leur diffusion. Pour créer une MSP, il faut au minimum deux médecins et un professionnel paramédical. La maison doit proposer des actions de prévention, mettre en place des réunions pluri-professionnelles régulières, élaborer des protocoles de prise en charge et s’organiser pour assurer la continuité des soins. Elle doit installer entre les professionnels un dispositif de partage d’informations sécurisé.

Un projet commun

Ce cadre posé, la création d’une MSP ne se décrète pas. Des élus qui ont sauté les étapes de la maturation nécessaire avec les professionnels de santé en font l’amère expérience. Les exemples ne manquent pas de municipalités qui se sont lancées dans la construction de bâtiments qui restent vides car les locataires espérés ne sont pas au rendez-vous. « Une MSP, ce sont d’abord des professionnels de santé qui veulent travailler ensemble. La première pierre à poser pour réussir, c’est un projet de santé commun », martèle Dominique Brachet, président de l’URPS des chirurgiens-dentistes de la région Pays de Loire. Très investi dans la diffusion des maisons de santé, ce chirurgien-dentiste a lui-même été à l’initiative de celle d’Aizenay, en Vendée, qui rassemble 23 professionnels de santé. Le projet de santé est le fruit de la réflexion de l’équipe en amont de la création de la MSP et constitue la base du nouveau mode d’exercice envisagé. « Il est préférable de se faire aider car, spontanément, chacun ne sait pas très bien ce qu’il veut », poursuit ce praticien. Les ARS ont développé toute une panoplie d’aides à la création d’une MSP. Elles s’appuient souvent sur les URPS et les fédérations régionales des maisons de santé. Elles peuvent financer des cabinets de conseil qui aident les professionnels à affiner leur projet.

La question de la maison ne vient qu’en fin de réflexion. Certes, un bâtiment abritant les professions de santé rend l’offre de santé libérale plus visible et facilite les échanges entres professionnels. Mais il existe des MSP « multi-sites » dans lesquelles les professionnels ou une partie d’entre eux ne sont pas sous le même toit et pourtant sont unis autour d’un projet de santé.

Cette phase qui précède la création de la MSP prend du temps, 3 ans en moyenne avant l’aboutissement d’un projet.

Des freins

L’engagement des chirurgiens-dentistes dans ces maisons reste encore timide. La démarche pluri-professionnelle « n’est pas aussi évidente pour eux que pour des médecins généralistes qui ont besoin de spécialistes, d’infirmiers et de kinésithérapeutes », avance chiffres en main le Dr Béatrice Sevadjian. Dans les 72 MSP d’Île-de-France, on ne compte que 10 chirurgiens-dentistes. Et pour la responsable du département coordination territoire santé à l’ARS d’Île-de-France, « les chirurgiens-dentistes ne sont clairement pas dans l’état d’esprit d’une prise en charge globale des patients ».

En Bretagne, où la dynamique de création de MSP est forte, on retrouve le plus grand nombre de chirurgiens-dentistes impliqués : 111 dans 58 MSP et 12 qui participent à un des projets en cours. Ainsi, 7 % de la profession dans la région exerce dans une MSP. C’est moitié moins que l’implication des médecins généralistes (15 % de la profession). « Quand une MSP s’implante, nous veillons toujours à ce que les dentistes de la zone soient impliqués », assure Marine Chauvet, directrice adjointe de l’ARS Bretagne, en charge de l’offre de soins. Mais tous ne sont pas prêts à la rejoindre parce que « les thématiques comme la prévention buccodentaire des personnes âgées et handicapées ou la médication, retenues par la maison de santé, ne les intéressent pas forcément. ».

D’autres freins plus spécifiques à la profession sont évoqués par les praticiens. Se regrouper entre chirurgiens-dentistes pour rentabiliser le plateau technique est déjà compliqué ; s’associer avec des professionnels qui ne connaissent pas les nécessités du métier risque de l’être encore plus. Les contraintes en termes de place et de configuration dans une MSP peuvent aussi rebuter ceux qui ont en tête des critères précis en termes d’organisation et d’ ergonomie.

Expérience riche

Michel Zeenny a repoussé une à une ces difficultés lorsqu’il s’est associé à 10 professionnels de santé pour créer, en 2014, la MSP de Neuvéglise dans le Cantal. Le fait de participer au projet au départ de la MSP lui a permis de choisir sur plan l’espace pour son exercice. Tout a été prévu pour lui et un confrère à faire venir. Michel Zeenny n’a pas hésité à prendre le temps d’expliquer les contraintes de son exercice et à comprendre celles des autres. La répartition des charges qui peut devenir un point de friction a été réfléchie et décidée avant la création de la maison. « Ma chance, c’est que l’on s’entend très bien. On fait des compromis », reconnaît le praticien. Les activités pluri-professionnelles se mettent en place. Les réunions autour de cas de patients s’organisent de même que des soirées de formation par des membres de MSP à l’hypnose, à la posturologie ou encore aux troubles du sommeil…

Mais l’équipe a choisi de ne pas se mettre en SISA pour le moment « pour garder plus de liberté vis-à-vis de notre pratique. La SISA, c’est beaucoup de paperasse. Nous avons pensé que ce n’est pas nécessaire pour gagner notre vie ». Aujourd’hui, « chacun a son rôle sans qu’il soit besoin de formaliser, un peu comme dans une famille », pense Michel Zeenny.

À Targon, près de Bordeaux, Florence Plagnol qui, avec un autre chirurgien-dentiste, a rejoint un groupe de professionnels de santé à l’origine de la création de la MSP en avril 2015, ne se souvient pas de difficultés particulières liées à sa profession. En ?revanche, exercer dans la MSP « est très positif. C’est une expérience riche car on n’est pas cloisonné ni isolé avec ses patients. L’entourage joue un rôle très stimulant, en particulier quand parfois on se lasse de son exercice ».

Levier

Pour encourager les professionnels à s’investir dans un exercice coordonné moins lourd à créer que les MSP, les ARS réfléchissent à d’autres types de structure plus souples comme les Équipes de soins primaires (ESP) qui relieraient, au minimum, un médecin et un autre professionnel de santé. Le projet de santé pourrait se limiter à la prévention ou à un protocole de prise en charge. Pour Evelyne Rivet, responsable du département accès aux soins de proximité des Pays de Loire, l’idée est d’inciter tous les professionnels à « mettre un pied dans la coordination » !

ACI : un accompagnement conventionnel pour les MSP

L’assurance maladie peut rémunérer diverses initiatives pluri-professionnelles dans les MSP grâce à l’accord cadre interprofessionnel (ACI) signé le 20 avril 2017 entre 12 syndicats de libéraux (mais pas de chirurgiens-dentistes). Cet accord privilégie trois objectifs : la continuité des soins, le travail en équipe et la mise en place d’un système d’information partagé.

La rémunération conventionnelle est modulée en fonction de l’atteinte d’indicateurs.

La CNAM estime qu’une structure type, composée de 13 professionnels de santé pour 4 000 patients, peut percevoir jusqu’à 73 500 € contre 51 800 € auparavant, en plus du paiement à l’acte perçu par chaque professionnel. Pour percevoir ces rémunérations, les professionnels de santé des MSP doivent se constituer en SISA (société interprofessionnelle de soins ambulatoires).