IMPLANTOLOGIE
Xavier BONDIL* Grégory LEROY**
*Docteur en chirurgie dentaire,
université Claude Bernard Lyon 1
DU de parodontologie
et en implantologie orale
DU d’expertise en médecine
bucco-dentaire (Paris VII)
**Ancien attaché des Hospices Civils
de Lyon, service de parodontologie
Exercice libéral
Villefranche-sur-Saône
***Docteur en chirurgie dentaire
Exercice libéral
Annecy
Il est possible de poser des implants dentaires sans réaliser de lambeau d’accès. Cette technique est-elle applicable dans tous les cas ? Quels sont les avantages et les limites de cette approche ?
Cet article ne traite pas des problématiques liées à la mise en charge immédiate.
Dès l’avulsion, un processus de cicatrisation se met en place tel que décrit par Almer [1] :
• formation d’un caillot sanguin ;
• formation d’un tissu de granulation transitoire ;
• formation d’un tissu conjonctif pré-osseux ;
• formation d’un os immature qui finit par être remplacé par de l’os lamellaire et spongieux.
Cette cicatrisation est accompagnée d’un remodelage osseux périphérique principalement durant les 6 premiers mois, phénomène qui est plus marqué en vestibulaire (fig. 1 et 2).
D’après Cardaropoli et al., le remodelage osseux physiologique commence dès la pose pour se stabiliser environ 1 an après la chirurgie [2]. Pour Fiorellini et al., si les résultats sont similaires, la chronologie de la résorption diffère selon la technique [3] :
• en un temps chirurgical : la résorption est importante (0,6 à 1 mm) durant la période de cicatrisation pour ralentir (0,2 mm) jusqu’à la fin du remodelage ;
• en deux temps chirurgicaux : la résorption commence dès la mise en place du pilier pour atteindre 1 à 1,5 mm. De nombreux auteurs, comme Pisoni et al. [4], s’accordent à dire que, à moyen terme, il n’y a pas de différence en termes de succès quant à la stabilité osseuse ou gingivale.
L’incision puis les décollements nécessaires pour l’exposition osseuse sont, pour le corps humain, une atteinte à son intégrité et entraînent un phénomène de réparation qui prend la forme d’une nouvelle cicatrisation.
Ces techniques chirurgicales sont aujourd’hui clairement codifiées et maîtrisées, que ce soit les techniques en un temps chirurgical ou en deux temps chirurgicaux. Buser et al. [5] ont affirmé qu’il n’y avait pas de différence significative à long terme entre les deux approches, que ce soit au niveau des tissus durs (Boioli et al. [6]) ou des tissus mous (Abrahamsson et al. [7]).
Toutes les techniques avec lambeaux nécessitent la réalisation de sutures afin de permettre la fermeture du site opératoire dans des conditions optimales. Les conditions d’une bonne cicatrisation primaire sont des berges régulières, bien vascularisées, sans tension et bien adaptées l’une à l’autre. Lorsque ces conditions sont réunies, on obtient en quelques jours une étanchéité du site opératoire grâce aux processus de cicatrisation. Il arrive néanmoins que des complications surviennent lorsque tous ces critères ne sont pas réunis (nécrose, ouverture secondaire…), ce qui induit une cicatrisation secondaire. Dans un milieu buccal particulièrement exposé aux agressions bactériennes, chimiques, thermiques et mécaniques, cela peut conduire à l’apparition de complications, à minima inflammatoires sinon infectieuses.
La gestion chirurgicale des tissus mous est ainsi fondamentale pour espérer obtenir un succès prothétique et implantaire. Cette muqueuse péri-implantaire constitue un facteur clé de la pérennité implantaire. Le futur épithélium de jonction ainsi que l’attache épithéliale associée vont former la première barrière mécanique et immunitaire contre la prolifération bactérienne. Or, de par sa nature cicatricielle et péri-implantaire, la muqueuse péri-implantaire a un potentiel de réparation moindre en raison, entre autres, de l’absence de desmodonte et d’une vascularisation réduite.
Le principe de cette approche consiste à poser l’implant sans réaliser de lambeau d’accès, en passant au travers des tissus mous. La perforation gingivale peut être réalisée soit par un punch (manuel ou mécanisée sur contre-angle), soit par une micro-incision crestale, soit encore par les forêts.
Comme cela a été abordé ci-dessus, les incisions, le décollement du périoste et les sutures entraînent ainsi un phénomène de cicatrisation et d’inflammation. Il a été proposé de s’affranchir de cette problématique en utilisant des techniques sans lambeau (souvent sous le terme de flapless de l’anglais).
L’absence d’incision permettrait de diminuer les processus inflammatoires [8], d’éviter les risques de désunion des berges de la plaie et d’optimiser la qualité de la cicatrisation par l’absence de rupture vasculaire [9]. Ces constats semblent favoriser une diminution de la morbidité postopératoire, avec un confort ressenti comme tel par le patient, notamment grâce à l’absence de fil de suture et par une approche psychologique (la chirurgie étant ressentie comme moins invasive).
Maier [10] affirme que la technique sans lambeau induirait moins de perte osseuse que la technique avec lambeau, ce qui pourrait être expliqué par l’absence de désunion du périoste avec l’os cortical (Jeong [11], Becker [12]).
Mais ces affirmations sont à nuancer : selon une méta-analyse de Ramos Chrcanoviv [13], il n’y aurait aucune différence statistiquement significative entre les techniques avec ou sans lambeau en ce qui concerne la survenue d’une infection postopératoire ou de pertes osseuses marginales. Divers axes de réflexion sont évoqués afin d’expliquer ces différences de résultats, voire ces contradictions :
• il est possible que, suite à l’absence de contrôle visuel, les praticiens aient tendance à enfouir davantage le col implantaire, ce qui entraîne un réaménagement osseux autour dudit col implantaire (Rousseau [14]) ; les conditions ne seraient ainsi pas forcément comparables ;
• le fait que, dans la technique flapless, l’implant soit immédiatement chargé par une vis de cicatrisation pourrait être un facteur à prendre en compte selon Van de Velde et al. [15].
Dans certains cas particuliers, notamment dans le cadre de patients bénéficiant de traitements anticoagulants (agents anti-plaquettaires ou agents anti-vitamine K), l’absence d’incision et de levée de lambeau peut avoir un intérêt. En effet, le saignement gingival est limité à la bordure gingivale du pertuis alors que l’implant fait office d’agent de compression pour le saignement osseux. Néanmoins, il conviendra de rester prudent quant à la qualité de l’hémostase en se référant au médecin responsable du suivi du traitement anticoagulant.
Si la technique sans lambeau possède d’indéniables avantages, il n’en demeure pas moins qu’elle présente des inconvénients intrinsèques qui vont limiter son utilisation.
Cette approche chirurgicale est une technique aveugle (fig. 3 à 7) quant aux rapports tridimensionnels entre l’implant et l’os. L’opérateur ne dispose pas d’un contrôle visuel quant à l’enfouissement implantaire et doit donc prendre des précautions afin de positionner son col implantaire où il le souhaite. Il conviendra donc de bien analyser les épaisseurs gingivales mais aussi de prendre un cliché radiographique peropératoire afin de vérifier le bon positionnement vertical de l’implant.(fig. 8)
Par ailleurs, selon Campelo et al. [16], le chirurgien est susceptible de ne pas se rendre compte d’un mauvais positionnement implantaire, allant jusqu’à la réalisation d’une fenestration d’une corticale. Les conséquences peuvent s’avérer particulièrement graves dans les secteurs esthétiques mais aussi dans les secteurs linguaux. Un contrôle tactile par un instrument fin (une sonde parodontale, par exemple) sur le pourtour du puits de forage permet de vérifier l’absence de déhiscence au niveau des parois osseuses.
• Concernant les secteurs esthétiques : une position trop vestibulaire de l’implant peut, au mieux, entraîner une récession disgracieuse ou, au pire, constituer une amorce de péri-implantite.
• Concernant les secteurs linguaux : une effraction linguale peut entraîner :
– des lésions vasculaires avec la rupture de l’artère sublinguale (hémorragie du plancher lingual avec risque d’asphyxie du patient : pronostic vital engagé) ;
– des lésions nerveuses avec une lésion du nerf lingual.
La réalisation d’un punch gingival a comme conséquence la perte d’une quantité importante de gencive kératinisée. Lee et al. [17] recommandent de réaliser un pertuis d’un diamètre légèrement inférieur au diamètre de la vis de cicatrisation. Ceci optimiserait les phénomènes cicatriciels sans pour autant compliquer la mise en place implantaire. Plus l’espace entre la vis de couverture et le tissu gingival est faible, meilleure serait la cicatrisation
Il est nécessaire de poser une vis de cicatrisation afin de combler ce gap, ce qui induit ipso facto l’obligation d’une stabilité primaire adéquate. Si la stabilité primaire n’est pas obtenue, le praticien doit être en capacité d’enfouir la vis de couverture par un déplacement gingival conséquent dans une configuration chirurgicale rendue plus délicate (perte d’une quantité non négligeable de tissu kératinisé). Le repositionnement d’un lambeau sans tension devient alors plus délicat :
• soit l’opérateur devra réaliser une greffe épithélio-conjonctive pour regagner le tissu kératinisé perdu ;
• soit l’opérateur devra libérer les tensions du lambeau avec des incisions parfois profondes dans sa face interne, ce qui n’est pas possible dans tous les secteurs (en particulier dans la zone d’émergence du nerf alvéolaire inférieur).
Dans les deux situations, le risque de complication est augmenté. Les suites opératoires risquent également d’être plus importantes pour le patient (gêne, voire douleur dans le cas d’un prélèvement du greffon épithélio-conjonctif ou œdème sur le site opératoire dans le cas de libération du lambeau).
La phase prothétique ne dépend pas directement de la technique chirurgicale et peut être conduite selon les recommandations habituelles. Dans le cas clinique présenté, une conception vissée est choisie (fig. 9 à 16).
Devant l’ensemble de ces considérations, l’utilisation d’un guide chirurgical semble apporter une solution fiable et indiquée. On pourrait imaginer que la haute précision du positionnement de l’implant grâce à cet outil permettrait de contrebalancer en quelque sorte l’absence de visibilité chirurgicale.
Nous pensons que ce raisonnement est à pondérer pour plusieurs raisons :
• la précision d’un guide n’est pas aussi absolue qu’on le pense et il pourrait être pertinent de limiter son utilisation aux cas d’appuis dentés. En effet, en cas de guide à appui muqueux, le degré de précision n’est pas supérieur à celui des techniques à main levée. Si le cone beam est une imagerie de choix concernant la planification dentaire, il n’en demeure pas moins, selon Stumple [18], qu’il existe des imprécisions quant à sa transposition numérique ;
• le degré de précision d’un guide avec appui muqueux peut aller jusqu’à 1,04 mm selon D’haese et al. [19] dans des cas de réhabilitations complexes… En cas de technique chirurgicale à lambeau ouvert, il est aisé de contrôler le bon positionnement de l’implant après sa mise en place, en particulier si sa position correspond à la planification. Cela revêt toute son importance si les épaisseurs vestibulaires et palato-linguales sont faibles ;
• le caractère aveugle de la technique sans lambeau fait qu’il est impossible de vérifier le bon positionnement tridimensionnel de l’implant et sa cohérence avec le projet numérique ;
• le guide chirurgical avec des techniques sans lambeau devrait donc être réservé aux cas dans lesquels les épaisseurs osseuses sont largement suffisantes afin de pallier cette imprécision ;
• dans les situations où les épaisseurs sont importantes, on peut se poser la question de l’intérêt d’un guide chirurgical, en particulier en unitaire.
Il serait intéressant de disposer d’études qui pourraient confirmer ou infirmer ce raisonnement. Il n’en demeure pas moins que cette voie est une solution de plus en plus fiable et reproductible.
À l’issue de ces considérations, on pourrait croire que cette technique est à réserver aux praticiens expérimentés. Van de Velde et al. [20] ont constaté que, dans les techniques de flapless, les résultats cliniques n’étaient pas influencés par le fait que le praticien ait ou non de l’expérience.
Néanmoins, cette technique est clairement un faux-ami. D’apparence facile, elle s’avère en réalité plus délicate que la technique conventionnelle. Opérer en aveugle nécessite une certaine expertise et l’opérateur doit être en mesure, dès que cela s’avère nécessaire, de savoir lever un lambeau dans des conditions rendues plus difficiles. Le praticien qui réalise une chirurgie sans lambeau parce qu’il n’a pas l’expérience de la chirurgie avec lambeau s’expose (et expose son patient) à des déconvenues majeures.
Le cahier des charges biologiques doit donc être respecté scrupuleusement, à savoir :
• une gencive kératinisée suffisante pour conserver au minium 3 mm autour du punch ;
• un volume osseux suffisamment conséquent (1,5 mm de part et d’autre de l’implant), soit pour un implant de 4 mm par exemple un volume de 7 mm (1,5 + 4 + 1,5) ;
• un plateau osseux coronaire plat afin de ne pas avoir à réaliser de régularisation osseuse ;
• une étude pré-chirurgicale très rigoureuse, avec ou sans guide chirurgical.
Les situations cliniques respectant ce cahier des charges sont finalement peu fréquentes.
Laboratoire de prothèse : Julien HANSS†, laboratoire DENTITEK, Ecully (69)
Système implantaire : EASY IMPLANT SYSTEM, Chavanod (74)
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.
Les auteurs déclarent que les photographies ont été retouchées numériquement (cadrage, luminosité) mais qu’aucun pixel n’a été déplacé.