C’EST MON AVIS
La veille de la dernière manifestation des professionnels de santé à laquelle je m’apprêtais à participer, mon fils, âgé de 20 ans, vaguement conscient des multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés me demandait : « mais quel est votre principal problème ? ».
Après quelques secondes de réflexion, je lui ai répondu : « notre plus grand problème, c’est la bureaucratisation rampante ; que des gens dans des bureaux, qui ne savent pas ce que...
La veille de la dernière manifestation des professionnels de santé à laquelle je m’apprêtais à participer, mon fils, âgé de 20 ans, vaguement conscient des multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés me demandait : « mais quel est votre principal problème ? ».
Après quelques secondes de réflexion, je lui ai répondu : « notre plus grand problème, c’est la bureaucratisation rampante ; que des gens dans des bureaux, qui ne savent pas ce que veut dire soigner, viennent nous expliquer, à nous les médecins, comment nous devrions le faire ».
« Et tu sais pourquoi ils agissent ainsi ? » lui demandais-je alors.
Sa réponse fut limpide : « pour que ça coûte le moins cher possible ». Il avait tout compris.
Car en France, on n’a pas de pétrole, mais on a une des bureaucraties les plus lourdes du monde. Dans presque tous les domaines de l’activité du pays (sauf la finance bien sûr), des administrateurs et des technocrates « hors-sol » interviennent et réglementent, livrant ainsi les acteurs de terrain au plus grand désarroi. Soumis à des textes de loi de plus en plus touffus, à des contraintes économiques toujours plus irréalistes, à des normes et des directives toujours plus insensées, chaque professionnel – au départ passionné – néglige peu à peu son cœur de métier pour satisfaire des obligations administratives qui phagocytent son temps, son énergie et anéantissent jusqu’au sens profond de son engagement.
Les conséquences sont un découragement profond qui mène systématiquement à des arrêts de travail, des syndromes d’épuisement professionnel, voire des suicides. Ce phénomène s’observe aussi bien dans l’éducation, la police, la justice, l’entreprise que dans la santé.
Des négociations syndicales, perdues d’avance, sont actuellement en cours avec l’« occupant intérieur » et aboutissent à encore plus de contrôle, plus de paperasse et plus de cerfas « rigolos ». L’encadrement des honoraires médicaux, toujours plus strict et plus rigide, et totalement déconnecté des coûts réels et des besoins individuels, nous pousse, nous les « travailleurs » de terrain, à produire toujours plus vite et toujours moins cher. Voilà comment, sans y prendre garde, nous nous retrouvons pris entre l’enclume réglementaire et le marteau de la responsabilité juridique de nos actes.
Et si l’ensemble du monde de la santé ne s’oppose pas farouchement à cette tendance, alors la médecine perdra son essence libérale, c’est-à-dire sa liberté et son indépendance dans l’intérêt des malades que – jusqu’à preuve du contraire – nous sommes les seuls à savoir soigner. Ces malades qui perdront du même coup, eux aussi, leur liberté de choisir comment et par qui ils veulent être soignés, leur libre droit de disposer de leur corps.
Cela, les patients doivent le savoir et il est inutile, pour les sensibiliser, de battre le pavé ou de se perdre dans de longues et soporifiques digressions sur les charges de structure ou la clause de sauvegarde. Si chaque professionnel de santé prend quelques secondes à chaque consultation, chaque jour, pour expliquer à chaque patient que c’est notre liberté fondamentale qui est en jeu, alors, tôt ou tard, nous nous sentirons moins seuls.