ODONTOLOGIE GÉRIATRIQUE
Thierry BRUGEAT* Jean-Louis COEURIOT** Claire-Marie FREUDENREICH*** Stéphanie GRENIER**** Jeannine LÉONARD***** Sandrine MACHET****** Nicolas SALVI******* Sylvie VACHEZ********
*Coordonnateur des soins
**CHU de Reims
***Docteur en chirurgie dentaire
****CHU de Reims
*****Master 2 en management
des établissements de santé
Université Paris Est-Créteil Val de Marne
******Docteur en chirurgie dentaire
*******CHU de Reims
********Directrice des soins
*********CHU de Reims
**********Cadre supérieur de santé
***********CHU de Reims
************Pôle d’odontologie
*************Directeur des ressources humaines
**************Responsable du Pôle ressources
humaines, organisation des soins,
formation, relations sociales
***************CHU de Reims
****************Cadre supérieur de santé
*****************Pôle Ehpad-USLD
******************CHU de Reims
Dans le cadre de ses missions, le pôle Ehpad-USLD du CHU de Reims, qui regroupe environ 1 000 lits, est amené à offrir aux personnes âgées vulnérables et à leur entourage des solutions d’aide et de répit et des alternatives au maintien à domicile. La politique du pôle se veut attentive aux besoins des personnes âgées et de leur entourage, en ayant le souci de la santé et de la qualité de vie des résidents.
Le pôle odontologie dispense des soins en odontologie conservatrice, en parodontologie, en implantologie, en odontologie pédiatrique et en odontologie gériatrique. Il assure une prise en charge des pathologies buccales et des dysfonctions des articulations temporo-mandibulaires ; il réalise des restaurations prothétiques avec des prothèses partielles ou totales, fixées ou amovibles. L’activité de ce pôle s’est développée sur différentes prises en charge spécialisées. Celle des personnes âgées est un point privilégié depuis plusieurs années qui tient compte de leur niveau de dépendance et de la présence ou non de troubles cognitifs.
À cet égard, il a été manifeste que la prévention et les soins bucco-dento-prothétiques étaient importants pour la santé et le bien-être des résidents. Le renforcement de la collaboration avec le Pôle odontologie s’est donc imposé comme une priorité au service des résidents.
La prise en charge des soins bucco-dentaires en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) a un lien fort et ancien avec le Pôle odontologie.
La mise en place d’une consultation d’odontologie gériatrique, sous l’égide du Dr Coeuriot en 1998, a permis de poser les bases d’un partenariat entre les futurs pôles et a facilité l’intégration de chirurgiens-dentistes au sein de la fédération de gérontologie du CHU.
Entre 2000 et 2005, des constats sur l’état de santé buccale déficient des personnes âgées en unité de soins de longue durée (USLD) et en Ehpad ont été réalisés à la faveur de plusieurs audits et enquêtes menés en lien avec l’Équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière. Les conséquences identifiées étaient une dégradation de l’état de santé générale aboutissant à une perte d’autonomie des personnes, en lien avec une malnutrition, voire une dénutrition, favorisant les infections locales et générales (fig. 1). Ces éléments ont permis la mise en place, en 2005, de consultations délocalisées et de formations auprès des soignants des Ehpad en matière d’hygiène bucco-dentaire des résidents.
Un contrat d’objectifs et de moyens a été formalisé afin de pérenniser la stratégie de prise en charge bucco-dentaire des résidents en Ehpad. La signature d’un contrat interpôle en 2011 a permis de définir plusieurs axes de travail, induisant une politique volontariste en matière :
• de prévention des problèmes d’hygiène bucco-dentaire et d’entretien prothétique ;
• de sensibilisation des différentes catégories de personnel ;
• d’éducation des résidents ;
• de réalisation de bilans bucco-dento-prothétiques à l’entrée des résidents.
L’implication de l’ensemble des professionnels permet, tous les ans, la formation du personnel de chacun des Ehpad ainsi que la mise en place d’un suivi par des consultations délocalisées (parfois dans la chambre du résident). Les résidents peuvent se voir également dispenser des soins éducatifs d’hygiène bucco-dentaire. Enfin, les prises en charge odontologiques en urgence sont plus facilement assurées (fig. 2).
Une adaptation des outils permettant de décliner ces axes a aussi été mise en place.
Un dossier de présentation a été constitué et il est remis aux résidents et à leur famille avant l’admission, accompagné d’une autorisation de soins remplie par le résident ou sa famille.
Les professionnels ont désormais accès aux dossiers médicaux et à l’informatique quel que soit le lieu du soin et ils disposent d’une fiche de liaison interpôle. Par ailleurs, des réunions semestrielles de bilan et de coordination sont organisées avec les responsables médicaux et les cadres.
Enfin, l’organisation médicale s’appuie sur une offre de vacations hebdomadaires pour chaque Ehpad du CHU, s’échelonnant sur les 43 semaines d’activité pleine du Pôle odontologie.
Ces vacations sont placées sous la responsabilité des Dr Grenier et Coeuriot, secondés par un interne et par deux étudiants hospitalo-universitaires en 6e année de formation en odontologie.
Le transfert du résident vers le Pôle odontologie ne se fait que lorsque les soins sont importants ou nécessitent une installation et du matériel particuliers (fig. 3).
L’amélioration de l’hygiène bucco-dentaire constatée a permis d’amplifier le dispositif grâce à la traçabilité des prothèses dentaires.
Le partenariat interpôle est désormais bien installé.
Des audits sont régulièrement réalisés. Ils permettent de mettre en évidence le chemin parcouru en ce qui concerne l’état bucco-dentaire des résidents.
En 2014, il a été démontré une fréquence d’évaluation de l’état bucco-dento-prothétique des résidents plus forte chez le personnel formé que chez le personnel non formé (respectivement 79 et 67 %). Le constat est le même pour l’entretien et la conservation des prothèses et pour la fréquence des soins de bouche (84 % pour le personnel formé et 77 % pour le personnel non formé).
Ces audits permettent aussi d’évaluer le travail des équipes et le juste respect des procédures.
De plus, les réunions de suivi semestrielles permettent de réajuster le dispositif au sein de chaque Ehpad, tout en réalisant le bilan de l’activité réalisée. De plus, lors des rentrées universitaires, un temps spécifique est mis en place pour accueillir, au sein des Ehpad, les nouveaux étudiants en odontologie.
Les évaluations du dispositif ont régulièrement mis en évidence des problèmes en ce qui concerne la perte de prothèses dentaires au sein de l’ensemble des pôles et, en particulier, dans celui de la filière gériatrique du CHU de Reims. Une attention toute particulière a été portée à ce sujet qui induit aussi des effets sur la qualité de vie des résidents.
Une proposition d’identification des appareils amovibles grâce à de la résine colorée, selon un code préétabli (initiales de l’Ehpad et initiales du résident), a été faite à toutes les personnes entrant ou résidant en Ehpad (fig. 4).
En parallèle, une procédure facilitée de réfection des prothèses en cas de casse ou de perte a été mise en place. Ce système permet la réalisation plus rapide des appareils, que cela soit à la demande du résident, de la famille ou dans un contexte de responsabilité de l’établissement. Le but est de limiter autant que possible le temps de réalisation des prothèses afin de permettre aux résidents de retrouver une qualité de mastication et de communication le plus rapidement possible (fig. 5).
Les formations proposées aux soignants sont maintenant reconnues en tant que programmes de développement professionnel continu (DPC).
L’offre DPC du CHU de Reims s’est donc enrichie d’une formation annuelle, organisée en collaboration avec le Pôle odontologie, pour tous les soignants de jour et de nuit du pôle Ehpad.
Le praticien dentaire responsable de l’encadrement des étudiants anime des réunions interpôles permettant l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) dentaires. Cette démarche d’EPP, à laquelle participe activement l’ensemble de l’encadrement du pôle Ehpad (encadrement supérieur et cadres de proximité), permet de renforcer la qualité des prises en soins au travers d’un cycle qualité (réalisation d’audits, analyse des résultats, restitution des résultats, puis réajustement des pratiques).
Enfin, la qualité des écrits professionnels dans le dossier informatisé du résident s’est aussi améliorée et les soins d’hygiène bucco-dento-prothétiques viennent enrichir les plans de soins individuels. Le contrôle de ces soins en est ainsi facilité.
Il s’agit bien d’un changement culturel au sein des Ehpad du CHU de Reims.
En effet, ce secteur d’activité implique des résistances liées à la complexité de la prise en charge des personnes désorientées. De plus, le besoin de développer les connaissances et compétences des agents dans ce domaine est constant. L’investissement des cadres de santé a permis de dépasser ces difficultés et, ainsi, d’améliorer le service rendu aux personnes accueillies.
L’évolution de ce dispositif devrait permettre de mettre en place des référents en hygiène bucco-dento-prothétique au sein de chaque résidence qui serviraient de relais au plus près des résidents.
Dans le même ordre d’idée, l’utilisation d’une cartographie des risques dans le cadre de la gestion des risques autour de cette thématique est une piste de réflexion actuellement travaillée en interpôle.
Au CHU de Reims, l’architecture du Pôle odontologie (qui se modernise) permettra, dès l’hiver 2017-2018, de prendre en compte et de dispenser des soins, en toute facilité, aux patients à mobilité réduite, arrivant en brancard ou en fauteuil roulant (fig. 6).
De plus, les locaux permettront la prise en charge sécurisée des personnes présentant des troubles cognitifs par une organisation limitant les sorties à l’insu du personnel du service (sécurisation par badge et sonnette).
Enfin, en matière de formation, les actions proposées aux soignants du pôle Ehpad-USLD sont dispensées en formation initiale, dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et les instituts de formation d’aide-soignant (IFAS) depuis 5 ans.
L’évolution souhaitée est d’ouvrir ce type de formation aux soignants des filières aiguës des champs de la médecine et de la chirurgie où la moyenne d’âge des patients est également élevée.
Il est souhaitable que les déplacements en dehors de la structure d’accueil de la personne âgée en perte d’autonomie et/ou présentant une altération des fonctions cognitives soient le moins fréquents possible.
Une réflexion est donc menée, à l’échelle du groupement hospitalier de territoire (GHT), afin de limiter ces déplacements en maintenant la sécurité des patients et la qualité de la prise en charge.
Comment apporter les soins courants à la porte de ces personnes en institution, tout en garantissant l’hygiène, l’asepsie des soins et l’ergonomie de travail nécessaires au personnel médical et non médical ? C’est le défi que nous souhaitons relever : une itinérance des soins dentaires au niveau des Ehpad du GHT va se construire ces prochaines années.
Le partenariat entre les Pôles Ehpad-USLD et odontologie repose sur la communication et la concertation. Il a permis la mise en place d’une relation interpôle de qualité et répond à un besoin identifié, pour lequel la priorisation des objectifs, la gradation des actions et l’évaluation des programmes constituent une méthode de réponse bien définie aux besoins des résidents en matière de soins bucco-dentaires.
Enfin, par ce projet, les cadres se trouvent encouragés à poursuivre et à renforcer leur investissement pour le CHU de Reims tout en valorisant le travail de leurs équipes au sein de la filière gériatrique.