Clinic n° 12 du 01/12/2017

 

PARODONTIE

Élise AUBER*   Sofia AROCA**  


*Ancienne interne des Hôpitaux de Paris
AHU Paris V
DU parodontie clinique Paris V
Pratique privée exclusive
en parodontologie
Saint-Germain-en-Laye
**Diplôme de doctorat
Professeur honorifique de l’université
de Szeged (Hongrie)
Professeur associée de l’université
de Berne (Suisse)
Pratique privée exclusive en parodontologie et implantologie
Saint-Germain-en-Laye

La chirurgie plastique parodontale évolue depuis plus de 10 ans grâce aux concepts de chirurgie mini-invasive et aux avancées de l’ingénierie tissulaire. De nouvelles solutions pour remplacer le greffon conjonctif viennent régulièrement enrichir l’arsenal thérapeutique pour traiter les récessions parodontales, telles que l’Alloderm® et l’Emdogain® dans les années 2000 et, plus récemment, les matrices collagéniques xénogènes (Mucograft®, Mucoderm®). Quels sont les intérêts biologiques et cliniques de l’utilisation de ces matrices collagéniques xénogènes par rapport au greffon conjonctif ?

L’évolution des techniques de chirurgie plastique parodontale a permis d’améliorer le succès du traitement des récessions parodontales en termes de recouvrement complet et d’épaississement de la gencive. Aujourd’hui, le greffon conjonctif associé au lambeau positionné coronairement reste le gold standard en ce qui concerne le pourcentage de recouvrement des récessions unitaires. Néanmoins, il présente certains inconvénients, surtout dans le cas des récessions multiples : disponibilité limitée du tissu conjonctif, existence d’un second site opératoire, risque de morbidité augmentée avec une prévalence importante de douleurs postopératoires et de saignement peropératoire et postopératoire et un temps d’intervention prolongé [1, 2]. C’est pour pallier ces limites que les matrices collagéniques xénogènes ont été mises au point.

Le défi pour ces substituts consiste à parvenir à des résultats cliniques (pourcentage de recouvrement, gain en hauteur et épaisseur de tissu kératinisé) et biologiques (stabilité des tissus marginaux) aussi efficaces que le greffon conjonctif tout en améliorant la perception positive du patient vis-à-vis de son traitement et en réduisant le temps opératoire et la morbidité.

Matrices collagéniques tridimensionnelles xénogènes

Les deux principaux types de matrices collagéniques tridimensionnelles xénogènes disponibles sont : la Mucograft® (mise au point par Geistlich) et la Mucoderm® (Straumann).

La Mucoderm® est une matrice tridimensionnelle dérivée du derme porcin et contenant du collagène natif mais aussi de l’élastine. Elle présente les mêmes indications que la matrice Mucograft®. Sa structure en monocouche, rugueuse et poreuse, favorise la néo-angiogenèse et la croissance des fibroblastes grâce à son réseau tridimensionnel. Contrairement à la matrice Mucograft®, elle ne peut être laissée dans la cavité buccale. Avant utilisation, elle doit être pré-hydratée par une solution saline ou par du sang pendant 5 à 20 minutes. Les études histologiques chez l’animal ont montré une bonne intégration de cette matrice dans les tissus environnants et une revascularisation [3, 4]. À ce jour, les données de la littérature sur la matrice Mucoderm® et le traitement des récessions parodontales sont encore très limitées. Une étude préclinique de 10 mois sur des chiens beagle montre des gains de volume et d’épaisseur de tissus mous équivalents entre une matrice Mucoderm® enfouie et une greffe de conjonctif enfoui [5]. La seule étude randomisée contrôlée publiée montre une supériorité de la greffe conjonctive associée à une technique de tunnelisation en termes de recouvrement radiculaire des récessions multiples. En revanche, le gain en hauteur de tissu kératinisé est équivalent entre les deux protocoles [6].

La Mucograft® est une matrice tridimensionnelle collagénique (des types I et III, non réticulés) d’origine porcine. Elle a été mise au point pour la régénération de tissu kératinisé. Elle est indiquée pour le recouvrement radiculaire mais aussi pour l’augmentation de tissu kératinisé autour des dents, des implants et des crêtes édentées. Elle présente une structure en deux couches :

• une structure compacte, externe, de faible épaisseur, lisse, peu poreuse, qui favorise la cicatrisation même à ciel ouvert. Elle présente des propriétés élastiques pour les sutures ;

• une structure spongieuse, épaisse et poreuse, placée au contact des tissus receveurs, qui favorise la stabilisation du caillot sanguin. Elle forme un échafaudage propice à la formation de nouveaux vaisseaux sanguins et à la croissance des fibroblastes.

Les études histologiques chez l’animal ont montré une bonne intégration de la matrice Mucograft® dans les tissus environnants (absence d’inflammation secondaire, apparition entre 1 et 2 semaines d’une néovascularisation, adhésion et colonisation cellulaire, potentiel de régénération, dégradation matricielle) [7, 8]. L’utilisation de cette matrice comme substitut au greffon de conjonctif a été testée lors d’études cliniques humaines. Les résultats de ces études vont être présentés et illustrés par le cas clinique n° 1 (Dr S. Aroca). Notons que, compte tenu de la grande similitude de composition et de structure des deux matrices, il est probable que les résultats obtenus avec la matrice Mucograft® soient trouvés lors de futures études cliniques avec la matrice Mucoderm®. Des études randomisées contrôlées sont toutefois nécessaires pour le prouver. Le cas clinique n° 2 (Dr S. Aroca) sur l’utilisation de la matrice Mucoderm® pour le recouvrement radiculaire de récessions multiples est également présenté.

Cas clinique n° 1

Une patiente âgée de 44 ans se plaint d’hypersensibilité dentinaire au niveau de 44. L’examen clinique montre à ce niveau, une récession unique de classe II de Miller, une absence de tissu kératinisé, un biotype fin, un composite cervical. Une chirurgie parodontale est proposée pour obtenir un recouvrement radiculaire complet, une diminution des hyperesthésies avec un résultat stable à long terme. Une technique de lambeau positionné coronairement en association avec la matrice collagénique Mucograft® comme alternative à la procédure standard de greffe de tissu conjonctif est utilisée (fig. 1 à 6).

Cas clinique n° 2

Une patiente âgée de 45 ans, ancienne fumeuse avec antécédent de dépression, consulte pour une gêne esthétique dans le secteur antérieur maxillaire.

L’examen clinique révèle des récessions multiples de classe I de Miller, un biotype fin, des lésions cervicales d’usure dont certaines ont été traitées par des composites. Au niveau de 21, une résorption radiculaire vestibulaire, une mésio-rotation ainsi qu’une égression de 2 mm avec un espace mésio-distal réduit sont observées. À l’examen radiologique, on note aussi une résorption apicale et une image péri-apicale radio-claire. Cette dent sera à extraire.

Le plan de traitement proposé est pluridisciplinaire (parodontal, orthodontique, implantaire et prothétique). Il consiste à débuter par une chirurgie plastique parodontale de recouvrement à l’aide de Mucoderm®, suivie par l’extraction de 21 avec préservation alvéolaire, puis par la mise en place d’un traitement orthodontique pour aménager un espace mésio-distal suffisant entre 11 et 22 et, enfin, par la restauration implanto-portée de 21.

Les figures 7 à 12 illustrent uniquement la phase parodontale pré-orthodontique. Les objectifs thérapeutiques sont de permettre un recouvrement radiculaire complet afin de répondre à la demande esthétique mais aussi d’augmenter le tissu kératinisé afin de renforcer le biotype parodontal avant le traitement orthodontique. Pour cela, une technique modifiée de tunnélisation et le repositionnement coronaire du lambeau en association avec la membrane Mucoderm® comme solution de remplacement à la procédure standard de greffe de tissu conjonctif sont utilisés.

Mucograft® en substitution au prélèvement conjonctif : résultats de la littérature scientifique

Paramètres cliniques

Comme pour l’utilisation d’un greffon de conjonctif, l’utilisation de la matrice collagénique Mucograft® améliore significativement les résultats cliniques des chirurgies de recouvrement par lambeau positionné coronairement pour des récessions unitaires [9, 10] et multiples [11]. Notons tout de même que, pour les récessions unitaires, les pourcentages de recouvrement complet et moyen obtenus en présence de la matrice ne sont pas significativement supérieurs à ceux obtenus par un simple lambeau positionné coronairement [9, 10].

Cependant, le greffon conjonctif offre de meilleurs résultats cliniques qu’une matrice collagénique lors de chirurgie de recouvrement par lambeau placé coronairement ou par une technique du tunnel modifié avancé coronairement. Ces études cliniques randomisées mettent en évidence la supériorité de la greffe conjonctive en termes de recouvrement radiculaire des récessions unitaires et multiples et d’épaississement de tissu kératinisé. Seul le gain de hauteur de tissu kératinisé semble être équivalent dans les trois protocoles [11-13].

Durée opératoire

Le recours à la matrice collagénique diminuerait significativement la durée opératoire d’environ 16 minutes par rapport au prélèvement palatin de tissu conjonctif [13-15].

Esthétique

L’esthétique doit être évaluée à deux niveaux, celui du patient (critère subjectif) et celui du praticien (évaluation objective). L’indice esthétique de recouvrement radiculaire (RES, root coverage esthetic score) est un outil destiné aux praticiens pour leur permettre d’évaluer l’esthétique à l’aide d’un protocole standardisé [16]. Malheureusement, aucune étude comparant la greffe conjonctive et la matrice collagénique n’a eu recours à cette méthode d’évaluation. Les praticiens trouvent cependant une équivalence de texture et de couleur entre, d’une part, la matrice collagénique et les tissus adjacents et, d’autre part, la greffe conjonctive (avis d’experts).

Une seule étude s’est intéressée à l’évaluation esthétique du patient et a conclu que les patients ne faisaient pas de distinction entre un site traité par un greffon conjonctif et un site traité par une matrice collagénique [12]. Le fondu tissulaire obtenu cliniquement est confirmé histologiquement par les études précliniques qui décrivent une intégration complète de la matrice dans le tissu conjonctif [17]. Par ailleurs, tout comme la greffe conjonctive, le rendu esthétique final de la matrice collagénique est significativement supérieur à celui de la greffe épithélio-conjonctive [18].

Douleur et inconfort

Une diminution statistiquement significative de la douleur postopératoire n’a pas pu être démontrée. Cependant, l’analyse des études suggère des nuances entre le traitement des récessions unitaires et multiples. En effet, alors que la douleur postopératoire semble assez comparable à celle ressentie lors d’une chirurgie avec un greffon conjonctif pour les récessions unitaires, elle serait moindre dans les cas de récessions multiples. Cela pourrait s’expliquer par la nécessité de prélever un greffon conjonctif plus important entraînant des douleurs plus fortes qu’un prélèvement a minima. De plus, la matrice collagénique semble diminuer les hypersensibilités dentinaires [13].

Satisfaction/acceptation du patient

Deux séries de cas ont montré une bonne acceptation des patients et une haute satisfaction vis-à-vis de cette thérapeutique [19, 20].

Résultats à long terme

La majorité des études réalisent un suivi trop court (de 6 à 12 mois) pour apprécier la stabilité des résultats dans le temps. Des études à long terme (5 ans et plus) sont nécessaires. Aujourd’hui, seule l’étude de McGuire et Scheyer [21] compare la différence de résultats à 6 mois et à 5 ans postopératoires entre lambeau positionné coronairement + greffon de conjonctif et lambeau positionné coronairement + matrice collagénique. Ces auteurs obtiennent un pourcentage de recouvrement entre 6 mois et 1 an qui varie respectivement de 97,5 à 95,5 % et de 89,5 à 77,6 %. Pour eux, la matrice collagénique est une solution de remplacement envisageable et qui se maintient suffisamment longtemps mais les résultats semblent plus pérennes avec le greffon conjonctif.

Rapport coût/bénéfice

L’utilisation de la matrice représentant un surcoût pour les patients, il est donc indispensable d’évaluer le rapport coût/bénéfice avant de leur proposer cette solution.

Conclusion

Les matrices collagéniques xénogènes, tout comme la greffe conjonctive, améliorent la cicatrisation des tissus mous en permettant un gain en hauteur et en épaisseur de tissu kératinisé. De plus, elles s’intègrent complètement dans le tissu conjonctif en assurant un bon fondu tissulaire. Cependant, ces résultats sont obtenus par des mécanismes différents. Alors que le greffon conjonctif assure une stabilité mécanique par le soutien physique du lambeau, les matrices collagéniques assurent cette stabilité par la stabilisation « primaire » du caillot sanguin.

Cliniquement, l’apport des matrices collagéniques dans le traitement des récessions parodontales permet de diminuer les morbidités et la durée opératoire. Il offre aussi une quantité de tissu disponible illimitée par rapport au greffon conjonctif et un fondu tissulaire équivalent. Dans la limite du nombre restreint d’études et de résultats à long terme existants, les matrices collagéniques permettraient un gain en hauteur de tissu kératinisé équivalent à celui des greffons conjonctifs. En revanche, elles ne garantiraient pas de résultats aussi satisfaisants, fiables et prédictifs en termes de pourcentage de recouvrement et d’épaississement gingival qu’une greffe conjonctive. Les matrices collagéniques sont une possible solution de remplacement au greffon conjonctif en l’absence de tissu donneur suffisant pour traiter des récessions multiples sur un biotype fin avec un tissu kératinisé résiduel apical supérieur ou égal à 1 mm.

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