PARODONTIE
Maria Clotilde CARRA* Isabelle FONTANILLE**
*Docteur en chirurgie dentaire
PhD en sciences biomédicales,
Université de Montréal
CES de parodontologie
Diplôme postgraduate européen
en parodontologie et dentisterie
implantaire,
Université Diderot-Paris VII
MCU-PH au département de
parodontologie, Service d’odontologie,
Hôpital Rothschild, AP-HP, Paris
**Docteur en chirurgie dentaire
CES de parodontologie
DU de parodontie clinique,
Université Diderot-Paris VII
Master 1 et 2 en physiopathologie orale
appliquée, Université Diderot-Paris VII
et Université Descartes-Paris V
La santé parodontale reste un sujet d’actualité puisque de nombreuses études françaises et internationales mettent en relation les maladies parodontales avec les maladies systémiques, notamment les maladies cardio-vasculaires. Très récemment, la parodontite a été mise en relation avec le syndrome d’apnées obstructives du sommeil, un trouble respiratoire du sommeil associé à un état d’inflammation systémique et à un risque cardio-vasculaire accru. Selon des études épidémiologiques, les patients atteints de ce syndrome auraient un risque plus élevé que les autres d’avoir une parodontite sévère. Cependant, la nature de cette comorbidité ainsi que ses influences potentielles sur la santé générale restent inconnues à ce jour.
Les apnées et hypopnées obstructives du sommeil (AHOS) forment un trouble respiratoire au cours du sommeil qui consiste en des arrêts périodiques de la respiration, complets (apnées) ou partiels (hypopnées), qui altèrent la qualité du sommeil [1]. Les AHOS sont très fréquentes dans la population générale adulte mais souvent asymptomatiques. Il est estimé que 24 % des adultes d’âge moyen font des AHOS, mais que seulement 4 % des hommes et 2 % des femmes présenteraient une forme d’AHOS symptomatiques qui nécessiterait un traitement [1].
En France, une étude observationnelle a mis en évidence une prévalence des symptômes évocateurs des AHOS (par exemple le ronflement et la somnolence diurne) de 4,9 % dans la population générale. Cette prévalence augmente pour passer à 8 % chez les patients atteints d’hypertension et à 11 % chez les patients obèses. En revanche, seulement 15 % des personnes avec symptômes évocateurs d’AHOS ont consulté un médecin pour une évaluation du sommeil, indiquant que la grande majorité des patients ne sont pas diagnostiqués ni traités [2].
Les apnées obstructives du sommeil sont appelées syndrome d’apnées et d’hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) dans le cas où la présence d’apnées et d’hypopnées lors du sommeil s’associe à celle de signes et symptômes (ronflement, fatigue excessive, dysfonctionnement neurocognitif) et/ou de comorbidités (maladie cardio-vasculaire). Bien que le SAHOS interagisse avec de nombreuses pathologies connues et étudiées, la relation entre SAHOS et parodontite représente une nouvelle piste de recherche et une réalité clinique qui mérite qu’on lui porte un intérêt particulier. C’est ainsi que les dernières recherches et publications soutiennent l’hypothèse d’une relation entre ces deux pathologies qui ont en commun de nombreux facteurs de risque et qui sont liées à plusieurs pathologies systémiques (fig. 1).
Lors du sommeil, on observe une relaxation musculaire physiologique des muscles de l’oropharynx ; chez certains patients prédisposés, cette relaxation musculaire peut entraîner une vibration des structures semi-rigides du pharynx, qui se manifeste sous forme de ronflement, ou déterminer l’effondrement complet des voies aériennes. En ce dernier cas d’obstruction, la respiration est bloquée malgré la persistance de l’effort respiratoire des muscles de la respiration.
Un arrêt du flux respiratoire qui dure au moins 10 secondes est défini comme une apnée. Elle entraîne donc une hypoxie (chute du taux d’oxygène) et, à moindre degré, une hypercapnie (une pression partielle de gaz carbonique dans le sang artériel trop importante). Ces signaux de danger associés aux efforts respiratoires inefficaces sont détectés par le cerveau et déclenchent un micro-éveil ou un vrai éveil, selon les cas, et une réactivation du système nerveux sympathique. Ces mécanismes réactionnels sont essentiels pour le rétablissement de la perméabilité des voies aériennes et pour la reprise de la respiration, mais ils participent à la perturbation de la continuité et de la qualité du sommeil (fig. 2).
La manifestation de plusieurs épisodes d’apnées ou d’hypopnées par heure de sommeil peut résulter en une somnolence diurne, une fatigue excessive, des maux de tête matinaux et des dysfonctions cognitives (par exemple des déficits de la mémoire ou de l’activité intellectuelle) [1].
En outre, le SAHOS est associé à des modifications hormonales, métaboliques et inflammatoires. En particulier, les patients atteints de SAHOS présentent une augmentation des concentrations circulantes des biomarqueurs de l’inflammation, notamment le TNF-α (tumor necrosis factor alpha), les interleukines (IL) 1β et 6, ainsi qu’une insulinorésistance indépendante de l’indice de masse corporelle. Toutes ces altérations liées à l’hypoxie intermittente ont été associées à un risque augmenté de maladies cardio-vasculaires [3]. S’il n’est pas traité, le SAHOS peut avoir plusieurs conséquences – hypertension artérielle, maladies cardio-vasculaires, accidents vasculaires cérébraux, syndrome métabolique, diabète, dysfonctions neurocognitives – et fait augmenter le risque d’accidents du travail ou de la circulation [1, 4].
Le diagnostic d’AHOS et de SAHOS est médical. Dans la majorité de cas, un enregistrement du sommeil est nécessaire. Il existe plusieurs types d’enregistrements polygraphiques du sommeil qui présentent des niveaux différents de complexité selon le nombre de variables à enregistrer – par exemple, l’électroencéphalogramme (EEG), l’électrocardiogramme (ECG), l’électro-oculogramme (EOG), l’électromyogramme (EMG), le flux aérien et l’effort respiratoire (fig. 3). En se fondant sur l’indice d’apnées et d’hypopnées (IAH : nombre d’épisodes par heure du sommeil), on parle d’AHOS à partir de 5 épisodes par heure de sommeil. Ensuite, la sévérité peut être définie comme légère (5 < iAH < 15), modérée (15 < iAH < 30) ou sévère (IAH > 30). Cependant, la sévérité de la pathologie et le besoin du traitement ne se fondent pas seulement sur l’IAH mais aussi et surtout sur la présence de symptômes et de comorbidités associés (par exemple somnolence diurne excessive, maladies cardio-vasculaires, etc.).
Le chirurgien-dentiste peut avoir un rôle très important dans le dépistage des apnées obstructives du sommeil ainsi que dans certaines étapes de la prise en charge du SAHOS.
Il est évident qu’il se doit de disposer d’un certain nombre de connaissances en médecine du sommeil avant d’entreprendre le dépistage et le traitement du SAHOS. En plus, il est de sa responsabilité d’échanger avec le médecin (généraliste, pneumologue ou spécialiste de médecine du sommeil) afin de planifier le suivi le plus approprié pour le patient atteint de SAHOS.
Le dépistage des apnées obstructives du sommeil commence par un interrogatoire du patient et de son conjoint à l’aide des questionnaires validés (encadré 1 et 2). Ensuite, l’observation clinique peut aider à identifier le patient à risque. Le surpoids, l’obésité et certaines morphologies cranio-faciales (rétrognathisme, macroglossie) qui réduisent l’espace des voies aériennes sont considérés comme des facteurs de risque pour le développement et l’aggravation du SAHOS (fig. 4 à 8) [6, 7].
En règle générale, le traitement est recommandé dans les cas de SAHOS modéré ou sévère et pour tous les cas symptomatiques, afin de prévenir les conséquences systémiques de cette maladie. Parmi les options thérapeutiques pour les AHOS, le traitement de référence est l’utilisation pendant le sommeil de la ventilation à pression positive continue (PPC) (en anglais : continuous positive airway pressure, CPAP) [1]. Peuvent s’y substituer les orthèses d’avancée mandibulaire (OAM) qui sont un traitement efficace pour le SAHOS (fig. 9 à 12). Ces dispositifs, qui sont fabriqués et adaptés par le chirurgien-dentiste, consistent en deux gouttières qui, en s’appuyant sur les dents, avancent la mâchoire inférieure et ouvrent et stabilisent l’espace des voies aériennes supérieures à l’arrière de la gorge. Ces orthèses doivent être portées pendant le sommeil et, comme pour la ventilation à pression positive continue, leur efficacité est liée à l’adhésion du patient au traitement. Cependant, la plupart des patients trouvent plus facile de tolérer un traitement par orthèses d’avancée mandibulaire que par ventilation à pression positive continue car elles sont plus confortables, plus discrètes et plus pratiques.
Depuis la première étude pilote parue en 2009, on a assisté à une augmentation constante des publications dans le domaine, avec environ 20 articles parus entre 2012 et 2017. Plusieurs études épidémiologiques fondées sur des échantillons représentatifs de la population dans différents pays (par exemple la Corée, Taïwan, les États-Unis, la France) démontrent une association entre la parodontite chronique et les apnées obstructives du sommeil : en effet, les patients atteints de SAHOS auraient un risque d’environ 1,8 fois plus important de développer ou d’avoir une parodontite [8-11]. De plus, certaines études montrent une relation dose-effet entre la sévérité du SAHOS et certaines variables cliniques parodontales : un indice d’apnées et hypopnées par heure du sommeil plus élevé est corrélé à des profondeurs de poche parodontale ou à des pertes d’attache parodontale plus importantes [9-12]. Cette corrélation entre la sévérité des deux conditions semblerait suivre un schéma de proportionnalité directe (l’augmentation de la sévérité de l’une entraîne celle de l’autre), en suggérant que le SAHOS pourrait être un facteur de risque pour la parodontite.
Chez les patients atteints de SAHOS, on observe non seulement une prévalence plus élevée de parodontite mais aussi des niveaux plus élevés d’IL-1β dans le fluide gingival créviculaire et de protéine C réactive (CRP, C reactive protein) sérique. Ces marqueurs pro-inflammatoires pourraient expliquer la destruction parodontale constatée chez ces patients [13].
Il faut aussi noter que les troubles du sommeil en général (autres que le SAHOS) paraissent augmenter le risque de parodontite. Une étude de cohorte a montré que les individus présentant des troubles du sommeil avaient 1,3 fois plus de risque d’avoir une parodontite que les individus sans troubles du sommeil [14]. Dans cette idée, une autre étude réalisée récemment en France a montré que les individus rapportant des troubles du sommeil présentaient un taux d’inflammation gingivale 1,2 fois plus élevé que ceux n’en ayant pas [15]. D’ailleurs, le seul ronflement a été associé à un risque 3 fois plus grand d’avoir une parodontite chronique.
La parodontite et le SAHOS sont deux pathologies ayant des facteurs de risque et des conséquences métaboliques et cardio-vasculaires communs. Cela rend difficile la conception d’études scientifiques visant à établir la nature de la relation entre elles. Cependant, quelques hypothèses pourraient être avancées pour expliquer ce lien [15, 16].
Une première hypothèse concerne l’état d’inflammation systémique chronique de bas grade associé à une augmentation des biomarqueurs inflammatoires et du stress oxydatif. Elle pourrait être étayée à la fois par une maladie parodontale non soignée et/ou par des apnées obstructives du sommeil non traitées. La coexistence des deux pathologies chez le même patient pourrait avoir des conséquences bidirectionnelles : par exemple, un état pro-inflammatoire et un stress oxydatif augmenté liés au SAHOS pourraient exacerber la destruction des tissus parodontaux déjà enflammés. Parallèlement, l’inflammation entretenue par la parodontite pourrait contribuer aux conséquences du SAHOS [9, 10]. Une seconde hypothèse avance que le lien entre parodontite et SAHOS pourrait être expliqué via la condition de xérostomie souvent observée chez les patients apnéiques. La sensation de « bouche sèche » au réveil est très fréquemment rapportée et elle est la conséquence d’une respiration buccale (et du ronflement) lors du sommeil. La sécheresse buccale réduit l’efficacité de la clairance bactérienne des tissus oraux et facilite l’accumulation de la plaque dentaire. En plus, une respiration buccale pourrait altérer la composition du biofilm bactérien et éventuellement favoriser la colonisation par des bactéries parodonto-pathogènes [16]. Cependant, on ne sait toujours pas si les patients atteints de SAHOS ont un biofilm bactérien différent et s’il est composé en particulier par des parodonto-pathogènes.
Bien que l’on ne puisse pas encore parler d’une relation de cause à effet, une association épidémiologique entre parodontite et apnées obstructives du sommeil semble être avérée [8]. Un dépistage systématique par le chirurgien-dentiste et le parodontiste est souhaitable pour une prise en charge globale du patient. Il est donc nécessaire d’évaluer le risque de SAHOS chez le patient atteint de parodontite par le biais d’un questionnaire, d’un examen clinique et d’investigations non seulement en ce qui concerne les maladies systémiques mais également les troubles du sommeil. C’est ainsi que le patient rapportant une mauvaise qualité du sommeil, une fatigue et/ou une somnolence diurne excessives, aggravées par un contexte de comorbidités multiples, devra être orienté vers une consultation spécialisée en médecine du sommeil. En présence de patients présentant une maladie parodontale et un SAHOS, une approche multidisciplinaire devrait être mise en place. Le traitement des problèmes parodontaux doit être tout d’abord réalisé. Cela est primordial pour réduire l’inflammation parodontale qui, si elle est sévère et non traitée, peut participer à l’état d’inflammation systémique qui caractérise le patient atteint de SAHOS. Ensuite, le traitement parodontal est essentiel en cas de traitement du SAHOS par orthèses d’avancée mandibulaire [16]. En effet, une maladie parodontale avancée est une contre-indication à la mise en place de ces orthèses. Ce n’est qu’une fois que la parodontite sera stabilisée qu’il faudra voir si le traitement du SAHOS par orthèses d’avancée mandibulaire est indiqué (fig. 13 à 30). De ce fait, le chirurgien-dentiste et le spécialiste en parodontologie appartiennent de droit à l’équipe multidisciplinaire qui s’occupe de la gestion clinique du patient atteint de SAHOS. Il est cependant nécessaire de disposer d’un certain niveau de connaissances en médecine du sommeil et, surtout, d’établir une collaboration étroite avec le médecin spécialiste en médecine du sommeil afin de garantir le succès du traitement et de planifier le suivi le plus approprié pour chaque patient atteint de SAHOS.
Questionnaire STOP-Bang validé pour le dépistage des apnées obstructives du sommeil et les symptômes associés (d’après Chung et al. [4]). Si plus de deux items sont positifs, le risque d’apnées obstructives du sommeil est élevé.
S = Snoring : ronflez-vous bruyamment ?
T = Tired : vous sentez-vous souvent fatigué, las ou somnolant durant la journée ?
O = Observed apnea : quelqu’un vous a-t-il observé en arrêt respiratoire durant votre sommeil ?
P = Pressure : êtes-vous hypertendu ou êtes vous traité pour hypertension ?
B = BMI : indice de masse corporelle (IMC) > 25 kg/m2
A = Age : âge > 50 ans
N = Neck : circonférence du cou > 40 cm
G = Gender : sexe masculin
Questionnaire Epworth (ESS, Epworth Sleepiness Scale) pour évaluer la somnolence diurne excessive associée aux apnées obstructives du sommeil.
Vous arrive-t-il de somnoler ou de vous endormir (dans la journée) dans les situations suivantes (même si vous ne vous êtes pas trouvé récemment dans l’une de ces situations, essayez d’imaginer comment vous réagiriez et quelles seraient vos chances d’assoupissement) :
Notez 0 : si c’est exclu. « Il ne m’arrive jamais de somnoler » : aucune chance ;
Notez 1 : si ce n’est pas impossible. « Il y a un petit risque » : faible chance ;
Notez 2 : si c’est probable. « Il pourrait m’arriver de somnoler » : chance moyenne ;
Notez 3 : si c’est systématique. « Je somnolerais à chaque fois » : forte chance.
1. Pendant que vous êtes occupé à lire un document ;
2. Devant la télévision ou au cinéma ;
3. Assis inactif dans un lieu public (salle d’attente, théâtre, cours, congrès) ;
4. Passager, depuis au moins une heure sans interruption, d’une voiture ou d’un transport en commun (train, bus, avion, métro) ;
5. Allongé pour une sieste, lorsque les conditions le permettent ;
6. En position assise au cours d’une conversation (ou au téléphone) avec un proche ;
7. Tranquillement assis à table à la fin d’un repas sans alcool ;
8. Au volant d’une voiture immobilisée depuis quelques minutes dans une embouteillage.
Interprétation (NB. Ce questionnaire aide au dépistage, il n’établit pas un diagnostic.) :
< 8 : vous n’avez pas de dette de sommeil ;
de 9 à 12 : vous avez un déficit de sommeil, revoyez vos habitudes ;
> 12 : vous présentez des signes de somnolence diurne excessive. Consultez votre médecin pour déterminer si vous êtes atteint d’un trouble du sommeil.