ENDODONTIE
Assistant hospitalo-universitaire, Paris 5
Certificat en endodontie
(Université de Pennsylvanie)
Exercice privé limité à l’endodontie
Depuis la parution en 2008 d’un article décrivant l’utilisation d’une seule lime en nickel-titane pour la préparation canalaire, la fabrication d’un instrument qui serait capable à lui seul de préparer la totalité du système endodontique est un objectif poursuivi par la plupart des fabricants d’instruments. L’utilisation d’un seul instrument en usage unique présenterait plusieurs avantages : simplification du protocole, diminution de la durée du traitement, réduction du nombre d’instruments utilisés et donc, potentiellement, du coût pour le praticien, limitation du risque de contamination croisée…
Quelles sont les différentes stratégies proposées par les fabricants pour résoudre l’énigme de l’instrument unique ?
Pierre Fauchard est considéré comme le père de la dentisterie moderne. Il a publié un traité de chirurgie dentaire en 1728 intitulé Le chirurgien-dentiste ou Traité des dents [1]. Pour la première fois dans la littérature scientifique sont décrites des techniques de préparation canalaire. Il s’agit déjà, à l’époque, d’introduire dans le canal un instrument pour le vider de son contenu et soulager le patient de la douleur (fig. 1).
Bien des années plus tard, en 1965, une standardisation des tailles des instruments avec un code couleur correspondant encore utilisé aujourd’hui a été adoptée par l’Association Américaine des Endodontistes sous l’impulsion du Dr Ingle [2].
En 1974, Herbert Schilder décrit la technique du step-back qui va régner sur l’endodontie jusqu’à l’arrivée des instruments en nickel-titane 20 ans plus tard [3]. Cette technique consiste en l’utilisation alternative de limes et de racleurs. Elle permet d’atteindre les objectifs mécaniques et biologiques fixés par l’auteur. Beaucoup d’instruments sont nécessaires et la technique demande une certaine dextérité.
En 1985, James Roane décrit la technique des forces équilibrées [4]. Il s’agit d’engager, avec une pression apicale, une lime manuelle dans le sens du vissage (sens horaire pour une lime manuelle) avec un angle de 180° maximum, puis de tourner la lime dans l’autre sens (sens anti-horaire) en maintenant une pression apicale avec un angle de 120° ou plus. La rotation horaire permet de faire progresser la lime dans le canal et le mouvement anti-horaire de couper la dentine. C’est ce mouvement qui inspirera, près de 25 ans plus tard, Ghassan Yared pour son mouvement alternatif avec des instruments en nickel-titane.
En 1992, John MacSpadden lance le premier instrument en nickel-titane utilisé en rotation continue avec une conicité de 2 % puis, en 1994, Ben Johnson lance une série d’instruments également en nickel-titane et en rotation continue avec une conicité de 4 %, connue plus tard sous le nom de Profile. Ils sont considérés aujourd’hui comme les pères de la rotation continue avec des limes en nickel-titane.
En 2010 est lancé sur le marché un Ovni dans le domaine des instruments de mise en forme : la SAF (Self Adjusting File). C’est la première fois qu’un instrument est conçu et décrit pour ses capacités à remplir des objectifs biologiques en s’adaptant à des contraintes anatomiques. Cet instrument ne ressemble à aucun autre et aura du mal à se tailler une part de marché malgré des qualités évidentes.
À suite de l’article de Yared publié en 2008 [5] sont lancés, en 2011, le Reciproc® (VDW) et le WaveOne® (Dentsply). Il est désormais possible de préparer les canaux avec un seul instrument utilisé en usage unique.
Enfin, en 2016, est lancé le XP-endo® Shaper (FKG). Cet instrument fait également figure d’intrus dans le domaine des limes classiques en nickel-titane. Il permet de préparer le canal avec un seul instrument en adoptant une approche plus conservatrice qu’avant et plus adaptée à l’anatomie canalaire.
Beaucoup d’autres séquences sont proposées constamment avec des sections différentes, des conicités différentes, des alliages différents, des dessins différents, des couleurs différentes…
Chaque séquence prétend résoudre l’énigme de la préparation canalaire. Au prochain salon, vous verrez certainement le dernier instrument d’une nouvelle couleur qui prépare plus vite, mieux et avec moins de risques de fracture.
Les concepts des instruments uniques sont souvent associés à des mouvements spécifiques qu’il est important de comprendre.
La plupart des instruments en nickel-titane sont utilisés en rotation continue, c’est-à-dire que la lime tourne sur elle-même à une certaine vitesse.
D’autres mouvements sont utilisés. Ils sont qualifiés d’alternatifs (fig. 2). Ils sont composés d’une alternance de mouvements opposés soit dans le plan vertical (axe de la lime), soit dans le plan horizontal. Pour un mouvement alternatif vertical, on parle d’amplitude et, pour un mouvement alternatif horizontal, d’angle de rotation dans le sens sécant et non sécant de la lime.
Un mouvement alternatif horizontal symétrique présente des angles de rotation différents dans les sens sécants et non sécants.
Un mouvement alternatif horizontal asymétrique présente des angles de rotation différents dans les sens sécants et non sécants. Après un certain nombre de cycles, la lime effectue donc un tour complet dans le sens où l’angle de rotation est le plus important.
Cette terminologie permet de définir clairement tous les instruments disponibles.
Le concept d’instrument unique repose sur le principe d’utilisation d’un seul instrument de mise en forme. Le cathétérisme manuel ou mécanisé avec des limes de faible diamètre (10/100, 15/100) et de faible conicité est toujours indispensable. Plusieurs approches ont été proposées par les fabricants.
L’instrument en lui-même n’est pas vraiment nouveau.
Concernant le WaveOne® (fig. 3), il s’agit d’une modification du design du ProTaper. La section a un peu évolué mais l’enveloppe de préparation est similaire. Le WaveOne® existe en 3 diamètres apicaux : 21/100, 25/100 et 40/100. Le WaveOne® Gold est sorti récemment avec un alliage traité thermiquement rendant l’instrument plus résistant ; il existe en 4 diamètres apicaux : 20/100, 25/100, 35/100 et 45/100.
Concernant le Reciproc® (fig. 4), il s’agit d’une adaptation du design du Mtwo. Le Reciproc® existe en 3 diamètres apicaux : 25/100, 40/100 et 50/100. Le Reciproc® Blue est sorti récemment avec un alliage traité thermiquement rendant l’instrument plus résistant mais les tailles de l’instrument n’ont pas changé par rapport au Reciproc® classique.
Dans cette approche, l’innovation réside dans le mouvement qui anime l’instrument. Le Reciproc® comme le WaveOne® sont animés d’un mouvement alternatif horizontal asymétrique avec un angle plus important pour la rotation dans le sens de coupe (150°/30° pour le Reciproc® avec une vitesse de 300 rotations par minute, et 170°/50° pour le WaveOne avec une vitesse de 350 rotations par minute).
Pour des raisons commerciales, les pas d’hélice ont été inversés de telle sorte que la coupe se fait dans le sens anti-horaire, contrairement à tous les autres systèmes de rotation continue où elle se fait dans le sens horaire.
Le choix du diamètre final donné à la préparation canalaire s’effectue au moment du cathétérisme. Si celui-ci est difficile, le plus petit instrument est choisi, s’il peut être réalisé avec une lime 10-15 ISO, l’instrument de taille moyenne est utilisé, si le canal est large et les limes de cathétérisme atteignent l’apex sans contrainte, l’instrument le plus large est choisi.
La préparation canalaire finale doit être déterminée dès le cathétérisme. Il s’agit bien d’une « mise en forme » et cette forme dépend de l’instrument choisi au départ. Pour une dent monoradiculée, il n’existe pas de grande différence concernant l’enveloppe de préparation entre une séquence classique de plusieurs instruments et le passage de cet instrument unique. Il existe certes un gain de temps et un risque de casse plus faible dû au mouvement alternatif qui protège la lime du stress en torsion et au fait que l’instrument est utilisé en usage unique (aujourd’hui, les séquences disponibles sur le marché ne sont pas toutes vendues comme étant à usage unique).
Cependant, plusieurs études ont mis en avant le risque d’une fragilisation de la dent plus important (apparition de micro-fissures) que lors d’un élargissement canalaire séquentiel [6].
Dans l’approche centrée sur l’instrument, les instruments présentent un design tout à fait novateur. Ils font partie de la nouvelle vague d’instruments qui se veulent plus conservateurs.
La littérature scientifique montre que dans certains cas complexes, les instruments de mise en forme traditionnelle ne permettent de préparer que de 20 à 40 % de la surface radiculaire. Ces résultats sont à mettre en relation avec l’anatomie canalaire. Les canaux présentent très souvent une section ovale et tous les instruments conventionnels utilisés en rotation continue ou avec un mouvement alternatif horizontal ont une enveloppe de préparation de section ronde. Les préparations actuelles sont donc déficientes et consistent à donner aux canaux la forme de la dernière lime de préparation canalaire utilisée (fig. 5).
Les nouveaux concepts de préparation canalaire consistent à utiliser des instruments qui s’adaptent à la forme du canal. Ils permettraient de préparer une plus grande surface canalaire tout en restant plus économes en tissu, s’inscrivant ainsi dans le courant actuel de la dentisterie la moins invasive possible.
Deux instruments différents s’inscrivent dans ce courant.
Il s’agit d’un instrument creux qui ressemble à un stent cardiaque. La surface externe est rugueuse et l’instrument est utilisé avec un mouvement alternatif vertical d’une amplitude de 0,4 mm à raison de 3 000 à 5 000 vibrations par minute [7]. L’instrument existe en 2 diamètres : 1,5 et 2 mm. L’irrigation se fait en même temps que la préparation grâce à une pompe reliée à l’instrument (fig. 6).
L’instrument va préparer chaque canal en 4 minutes une fois la longueur de travail atteinte. Le concept révolutionnaire de cet instrument a fait ses preuves dans la littérature scientifique : pourcentage de surface de paroi radiculaire préparée augmenté, absence de formation de micro-fissures, réduction bactérienne optimale, pas d’extrusion de débris apicaux, pas ou très peu d’erreurs de préparation, centrage optimal de l’instrument dans le canal, etc.
Malgré tout cela, l’instrument a été retiré du marché dans beaucoup de pays en raison d’un défaut du moteur animant l’instrument. On peut se demander également si le concept n’était pas trop novateur pour nos esprits parfois un peu trop réticents au changement… Ce concept extrêmement intéressant donnera certainement des idées aux fabricants pour de nouveaux instruments dans un futur proche.
Il s’agit d’un instrument en nickel-titane d’une conicité de 1 % (donc extrêmement flexible), avec une pointe de diamètre apical de 30/100 et qui a une forme « en zigzag » (fig. 7).
L’instrument est inséré dans le canal après un cathétérisme classique puis est utilisé en rotation continue à une vitesse de 800 rotations par minute en mouvement de va-et-vient vertical. Une fois la longueur de travail atteinte, il est animé en rotation continue avec un mouvement de va-et-vient et avec une amplitude de 5 mm. Ce geste est répété 10 fois. La préparation finale est testée avec un cône de gutta de 30/100 de diamètre et de 4 % de conicité. Si le cône s’adapte à la longueur de travail, la préparation est terminée, sinon, la séquence de 10 mouvements est répétée une seconde fois.
Le principe de préparation de cet instrument repose sur sa forme, son alliage et sa capacité d’expansion. À température ambiante, l’instrument est en phase martensitique, c’est-à-dire qu’il n’est pas rigide et peut se déformer (fig. 8).
À l’intérieur du canal, à 35 °C, l’instrument passe en phase austénitique, c’est-à-dire qu’il reprend sa forme « en zigzag » (mémoire de forme) et redevient rigide. Sa forme lui permet de se comprimer dans un canal non élargi puis de préparer le canal tout en s’adaptant à sa forme originelle grâce à des mouvements de va-et-vient. Des études non encore publiées mais très prometteuses montrent des préparations canalaires plus économes et plus adaptées que les techniques conventionnelles. Affaire à suivre…
Depuis l’introduction du nickel-titane en endodontie, on sait préparer les canaux de façon reproductible. La course à l’instrument unique a été lancée en 2010 dans un esprit de simplification et d’amélioration des procédures de mise en forme.
Deux approches ont été proposées par les fabricants :
• l’approche centrée sur le mouvement qui s’inspire des designs classiques d’instruments de rotation continue en les animant d’un mouvement alternatif horizontal asymétrique ;
• l’approche centrée sur l’instrument qui propose de nouveaux designs originaux et qui lance le concept de l’instrument unique qui s’adapte à l’anatomie originelle du canal.
Ces deux approches permettent de préparer les canaux avec un seul instrument (en plus des instruments de cathétérisme). Est-il cependant possible de « mieux préparer » ?
Dans une dentisterie moderne qui se veut conservatrice et minimalement invasive, la seconde approche paraît plus prometteuse.