Spécialisé dans le traitement des handicaps odonto-stomatologiques et gériatriques, le service de chirurgie dentaire de l’Institution nationale des Invalides (INI) offre une prise en charge globale, notamment pour le traitement et le suivi des séquelles de blessures des maxillaires. Installé dans un lieu chargé d’histoire, il est porté par une éthique forte.
« Le doyen de nos patients a 100 ans, c’est l’un des derniers survivants du commando français Kieffer. Il vient en bus tout seul jusqu’ici. » Marie-Andrée Roze-Pellat, chef du Service de chirurgie dentaire de l’INI1, peut s’enorgueillir d’accueillir une patientèle hors du commun. Depuis 40 ans, son engagement professionnel et humain n’a de cesse de servir une institution chargée d’histoire. Un symbole de l’attachement de la nation au devoir de réparation. Alors, quand Hubert Faure, membre de la mythique unité d’élite créée par Philippe Kieffer, s’installe dans un des fauteuils du service, s’ajoute aux soins prodigués la fierté de prendre en charge l’un des hommes du premier commando à avoir foulé le sable normand, à l’aube du D day.
L’automne touche à sa fin. À quelques encablures du pont Alexandre-III, la coupole dorée du dôme des Invalides et les marronniers orangés fendent la grisaille. C’est là, dans une des ailes des bâtiments historiques de l’hôtel des Invalides, que se niche le service, « ce petit service », comme le désigne avec humour sa responsable, qui l’a vu grandir. « Je me suis mariée avec les Invalides et j’ai fait trois cabinets », s’amuse-t-elle. Il occupe aujourd’hui 200 m2 qui abritent les cabinets, un laboratoire de prothèses et, au sous-sol, un bloc chirurgical. Tout y est bleu, blanc et lumineux. L’atmosphère chaleureuse a quelque chose de contagieux. De rassérénant.
À l’INI, structure médicale de pointe spécialisée dans la prise en charge des blessés de guerre et du grand handicap, l’odontologie fait partie intégrante de l’offre de soins proposée par le centre médico-chirurgical. Elle s’adresse en priorité à ses pensionnaires et aux anciens combattants, mais aussi aux blessés militaires et civils. Unique en son genre, cet établissement public à caractère administratif est placé sous la tutelle du ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens Combattants. Dirigé par un médecin général du service de santé des Armées, il abrite également un centre de pensionnaires et un centre d’études et de recherche sur l’appareillage des handicapés. C’est dans cet univers que Marie-Andrée Roze-Pellat soigne, construit, gère, rassemble. « Dans la dentisterie, on est dans le concret », assure-t-elle.
Elle n’a que 27 ans lorsqu’elle entre dans les murs de l’Institution, créée par Louis XIV. Sa carrière vient de débuter dans le cabinet libéral de son père, chirurgien-dentiste également : « C’est lui qui m’a inculqué une sensibilité au soin de l’autre. » Un concours de circonstances la conduit vers de nouveaux horizons : « L’INI recherchait un praticien à mi-temps pour diriger son cabinet dentaire. J’ai posé ma candidature. Les Invalides étaient en plein travail de restauration. » On est en 1975, le service, à l’époque, n’abrite qu’un seul fauteuil et un laboratoire de prothèses « antique ». Tout est à reprendre en main. Passionnée, elle décide de relever le défi. « Blessés, défigurés parfois, les patients avaient des pathologies et des besoins particuliers, se souvient-elle. Il y avait tous les anciens combattants de la seconde guerre mondiale, des guerres d’Algérie et d’Indochine. Nous en recevons encore aujourd’hui, ils sont quasi centenaires. » Elle ne sait pas encore qu’elle va y consacrer tout son parcours professionnel.
« Il a fallu tout améliorer petit à petit, remettre aux normes un cabinet qui datait de 1957. » On lui promet un nouveau local. En 1979, par un jeu de chaises musicales, elle entre dans le nouvel espace où, avec son équipe, elle officie toujours aujourd’hui. « Toute une aile, et cette vue imprenable sur le dôme », s’enthousiasme-t-elle. D’emblée, elle veut deux cabinets équipés comme dans le libéral, l’un des deux est pensé et agencé pour accueillir les patients en fauteuil ou allongés sur des chariots : un équipement spécifique facilite leur prise en charge. « Il m’est arrivé de soigner à genoux certains patients », raconte-t-elle. Le troisième cabinet arrive plus tard, la patientèle augmentant. Pour cela, elle décide de transformer le bureau de son secrétariat et y fait installer un fauteuil. Enfin, le laboratoire de prothèses existant déjà, elle le conserve : « J’y tiens, affirme-t-elle. Nos patients se sentent rassurés avec une prise en charge de A à Z. »
Les anciens combattants âgés et les nouveaux combattants sur le front devenant de plus en plus nombreux, elle passe à plein temps et demande du renfort. « En accord avec le service des Armées, j’ai obtenu de pouvoir travailler avec des chirurgiens-dentistes aspirants. » La voilà donc accompagnée de deux praticiens jusqu’à la fin du service militaire obligatoire, en 1996. C’est la grande époque de son service, avec beaucoup de patients pensionnés bénéficiant de l’article L. 115 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. Puis, peu à peu, l’équipe actuelle prend forme. À ses côtés, deux adjoints la secondent, à temps partiel, pour l’implantologie notamment : Han Cao, praticien attaché, et Armand Paranque, chirurgien maxillo-facial. Deux autres chirurgiens-dentistes colonels de réserve rejoignent également l’équipe deux fois par semaine, ainsi que, depuis 2001, des étudiants, « surtout des femmes », de 6e année de chirurgie dentaire de l’université Paris Descartes. Ces derniers viennent par binômes une journée par semaine, en plus de leur stage hospitalier : « Ici, ils sont autonomes, je les guide et les conseille. » Véritable chef d’escadron, Marie-Andrée Roze-Pellat gère toute son équipe avec l’aide de Jocelyne et Tania, assistante et secrétaire polyvalentes. « On est une équipe, une force de frappe au niveau des patients », indique Armand Paranque.
« Je travaille ici comme si j’exerçais dans le libéral. Je me suis toujours battue pour qu’une éthique morale et professionnelle soit au cœur de la prise en charge de chaque patient et surtout je donne de mon temps », assure Marie-Andrée Roze-Pellat. Ce concentré de valeurs est partagé par toute son équipe, pluridisciplinaire et soudée, un mini-bataillon de santé qu’elle a constitué avec motivation. « Cette profession demande une implication physique et mentale. On ne peut pas faire semblant. La bouche est le lieu de l’intime, du commencement et de la fin de la vie. » La cohésion de son équipe est caractérisée par un engagement très fort, dont l’objectif est de ne pas laisser ni faire souffrir le patient. Gueules cassées, vétérans, victimes civiles, anciens résistants ou déportés, « nous soignons des personnes âgées, handicapées, avec des problématiques diverses – greffes osseuses, cancers des mandibules avec greffe du péroné –, des terrains complexes qui demandent des plans de traitement longs et bien menés. C’est stimulant », indique Han Cao, restée fidèle au service. Arrivée avec la première génération de stagiaires de Montrouge, elle est restée à mi-temps. « Ici, on redonne un confort de vie, un sourire, le plaisir de pouvoir croquer dans une pomme, de manger. »
Ainsi, le service assure les soins dentaires conservateurs, la chirurgie dentaire, les restaurations par prothèses fixées ou amovibles, et l’implantologie avec une prise en charge totale : consultation, bilan préimplantaire, pose des implants, des couronnes ou bridges sur implants. Le laboratoire de prothèses adossé au service, quant à lui, réalise une partie des prothèses prescrites par les praticiens. Depuis 24 ans, Jérôme Noël y réalise prothèses amovibles en résine et dents provisoires, en temps réel si nécessaire afin que les patients puissent repartir avec leurs dents. « Je suis en contact direct et physique avec les patients. Fabriquer des dents sur des modèles qui ne parlent pas, ça n’a pas de sens », assure-t-il. Cet ancien sous-officier des hôpitaux d’instruction des armées (HIA), formé pour réaliser des prothèses en chirurgie maxillo-faciale avec les professeurs Paranque et Devauchelle, assiste également les jeunes étudiants de la faculté de Montrouge au fauteuil pour régler et poser les dispositifs médicaux. Pour les prothèses fixées sur implants, c’est Alexandre Eudier qui, après avoir travaillé pendant quelques années dans le service, les crée dans son propre laboratoire. Il revient souvent dans le service : « C’est important, que le prothésiste voie le patient, puisse discuter avec lui. Notre travail c’est de sculpter, comme un bijoutier. » Enfin, c’est Sterience qui prend en charge la stérilisation des dispositifs médicaux réutilisables depuis ses centres de traitement.
Toute la chaîne du soin dans le service relève donc d’un véritable dispositif sur mesure, que quarante années auront permis à Marie-Andrée Roze-Pellat de concrétiser. Une aventure rendue possible grâce à l’engagement de son équipe auprès de patients attachants, aux parcours peu ordinaires. Mais aussi grâce au soutien de la Fondation des gueules cassées2, dont elle est vice-présidente, et de La Fédération nationale André Maginot3, qui a permis, au cours du temps, d’améliorer les moyens de fonctionnement du service. Grâce à la reconnaissance de ses pairs également. En riant, elle ajoute : « Le fantôme des Invalides n’y est pas pour rien… »
1. http://www.invalides.fr/patients/ centre-medico-chirurgical/chirurgie-dentaire
La chaleur humaine, l’efficacité et la simplicité des cabinets. « On ne dépense pas pour dépenser inutilement. Je gère ici en bon père de famille. Il ne faut pas oublier que c’est l’argent de l’État », assure la chef de service.