La thèse d’Apolline Trioulaire, consacrée à sainte Apolline, a servi de trame à un livre paru récemment aux éditions L’Harmattan. On y découvre comment se construisent une légende et un culte, mais aussi toute la passion d’une jeune praticienne qui a mené ses recherches pendant près de 3 ans. Pour ce travail, elle vient d’obtenir le prix de thèse ADF-Dentsply dans la catégorie « culture ».
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a pas de chirurgien-dentiste dans ma famille et mon prénom ne m’a pas du tout prédestinée à ce métier. En revanche, le choix de travailler sur sainte Apolline s’est imposé de lui-même dès la 2e année de mes études dentaires à Nancy, lorsque j’ai eu à rédiger un mémoire pour mon option d’histoire de l’art dentaire. C’est à ce moment-là que mes recherches ont commencé et ma thèse a ensuite été l’occasion rêvée de les approfondir.
Après mon mémoire, j’ai continué à collecter des informations de-ci de-là. Ce n’est qu’à la fin de mes études que je suis passée à la vitesse supérieure en me tournant vers les archives existantes, dans les bibliothèques diocésaines et à la BNF* notamment, pour faire mes recherches documentaires.
Je me suis vite rendu compte qu’il y avait non pas une histoire de sainte Apolline mais des histoires, avec de multiples versions parfois divergentes. Mon propos a alors été d’essayer de déterminer l’histoire la plus véridique et le texte le plus fiable. J’ai consulté pour cela de nombreux écrits religieux, dont les Acta Sanctorum, qu’il a fallu que je fasse traduire du latin.
Apolline n’était ni riche ni connue. C’était une femme du peuple, célibataire et déjà âgée lorsqu’elle fut arrêtée avec plusieurs autres chrétiens au cours d’une révolte qui éclata à Alexandrie en 249. Ses bourreaux firent sauter toutes ses dents en frappant ses mâchoires puis lui demandèrent de renier sa foi. Elle refusa et se jeta elle-même dans le bûcher qu’ils avaient construit devant la ville.
Au départ, sa mort n’est qu’un sombre événement parmi d’autres du même type, très fréquents dans l’Empire romain à cette époque. Le plus intéressant, c’est de voir comment l’Église catholique sanctifie un individu et transforme une destinée humaine en légende. Je retiens surtout de cette femme qu’elle avait des convictions et c’est ce qui me la rend attachante.
Je ne me suis pas seulement intéressée à la vie et au martyre de cette sainte. Je suis aussi partie à la recherche des statues représentatives présentes dans les églises, avec l’idée de les répertorier. N’ayant pas été élevée dans la religion catholique, j’ai découvert beaucoup de choses ! Par exemple que ces statues sont investies d’un pouvoir thaumaturge et que nombre d’entre elles sont entourées de signes de dévotion. C’est moins vrai aujourd’hui mais il y eut un temps où on venait déposer des rubans au pied de sainte Apolline pour espérer bénéficier de son pouvoir de guérison.
Parmi mes surprises figure la petite chapelle Saint-Michel à Ploërdut dans le Morbihan, où la statue de sainte Apolline a purement et simplement disparu en ne laissant sur place que ses deux bourreaux !
Devenue sainte par son martyre, Apolline est logiquement devenue la patronne des chirurgiens-dentistes… et même un symbole officiel de la profession en France au moment de la Seconde Guerre mondiale. Pendant l’Occupation, la section dentaire du Conseil de l’ordre des médecins a en effet édité un bulletin dans lequel sainte Apolline figurait en couverture avec une inscription latine signifiant : « Qu’Apolline martyrisée en ses dents soit secourable à ceux que les dents torturent. » En 1945, quand le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes est né, il a utilisé exactement la même couverture pour son bulletin. Ce n’est que quelque temps après que la représentation de sainte Apolline a disparu au profit d’un caducée.
Au cours de mes visites d’églises, j’ai été très étonnée de trouver des signes de dévotion récents. Derrière certaines statues de la sainte, j’ai vu par exemple des photos de jeunes enfants que leurs parents déposent dans l’espoir de prévenir ou guérir leurs maux de dents. Outre des photos, on trouve aussi parfois des tétines ou des vêtements.
En France, il y a principalement deux grandes régions : l’ouest et l’Alsace. Comme il n’y a pas de base de données unique répertoriant toutes les statues représentatives de sainte Apolline, j’ai d’abord croisé différentes sources d’information : archives d’État consultables en ligne, archives diocésaines, blogs, etc. Et je me suis ensuite mise en route en réalisant plusieurs voyages vers la Bretagne, les Pays de la Loire, l’Alsace mais aussi le nord et le centre de la France. Au total, j’ai parcouru près de 18 000 kilomètres et poussé plus d’une centaine de portes d’églises pour ma thèse ! Ce fut aussi génial qu’épuisant.
Pour l’instant je fais des remplacements et je verrai bien où le vent me pousse. Je n’exclus pas de croiser à nouveau la route de sainte Apolline, par exemple via la création d’un site Web répertoriant toutes ses représentations, qui sait ?
* Bibliothèque nationale de France, à Paris
Diplômée de la faculté d’odontologie de Nancy en 2013, Apolline Trioulaire effectue aujourd’hui des remplacements en libéral dans le Jura. Elle a obtenu le prix Georges Villain d’histoire de l’art dentaire 2014. Sa thèse a été publiée aux éditions L’Harmattan : Sainte Apolline, sainte patronne des dentistes et de ceux qui ont mal aux dents, préface de Xavier Riaud, coll. Médecine à travers les siècles, mars 2014, 274 p., 18 euros. Apolline Trioulaire vient aussi d’obtenir le prix ADF-Dentsply de la meilleure thèse dans la catégorie « culture ».