Prothèse
Leila TOUFIKI* Amal ELYAMANI**
*Professeur assistant
en prothèse conjointe
**Professeur d’enseignement supérieur
et chef de service de prothèse
conjointe
***Faculté de médecine dentaire
avenue Allal-Al-Fassi
rue Mohamed-Jazouli
campus universitaire Al Irfane
BP 6212 Rabat, Maroc
Le risque de contamination nosocomiale au cabinet dentaire reste notablement élevé. En raison de la diversité des actes, du matériel et des matériaux mis en jeu et des différents allers-retours entre le cabinet dentaire et le laboratoire de prothèses, l’acte prothétique est l’un de ceux où la rupture de la chaîne d’asepsie est la plus fréquente.
Par conséquent, chaque étape doit générer une réflexion propre à combattre la dissémination de l’infection. Les précautions à prendre dans le cadre des soins prodigués au cabinet dentaire doivent trouver naturellement leur prolongement au laboratoire. Cela implique que le praticien et le laboratoire respectent, d’une part, les principes et les règles de décontamination et de désinfection, qui sont parfaitement définis, et, d’autre part, les séquences et les temps d’application des produits décontaminants afin que la contamination croisée soit éliminée et la précision prothétique assurée.
La prise de conscience réelle du risque de transmission de maladies infectieuses au cabinet dentaire a conduit à envisager, à chacune des étapes d’un traitement, des moyens de désinfection et de stérilisation du matériel utilisé. Il s’agit de protocoles appliqués dans l’espoir d’atteindre l’hypothétique « niveau zéro » du risque infectieux nosocomial. Dans ce cadre, en 1998, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité et le secrétariat d’État à la Santé ont publié un document intitulé « Désinfection des dispositifs médicaux. Guide de bonnes pratiques », sous l’égide du Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF) et du Comité technique national des infections nosocomiales (CTIN). Plus spécifiquement, l’Association dentaire française (ADF) a émis, en 2003, un document sur la gestion des risques contaminants et polluants au cabinet dentaire et propose une « Liste positive des produits désinfectants dentaires » établie conjointement avec la Société française d’hygiène hospitalière (SFHH).
Cependant, le contrôle de la contamination en pratique prothétique n’est pas exhaustivement décrit bien que les actes qu’elle comporte présentent un risque de contamination élevé.
En raison de la diversité des étapes, du matériel et des matériaux mis en jeu, des empreintes qui sont souvent délicates à décontaminer et des différents allers-retours entre le cabinet dentaire et le laboratoire de prothèses, la rupture de la chaîne d’asepsie au cours des actes prothétiques est fréquente. De plus, il est difficile d’avoir une méthode sûre et parfaitement codifiée, comme celle qui existe pour l’acte chirurgical par exemple. Ce qui nous amène à nous interroger sur les mesures à prendre pour limiter les risques de contamination aussi élevés en prothèse.
Le présent article se propose de détailler un protocole efficace et facilement applicable, jugé indispensable à la maîtrise du risque infectieux en pratique prothétique.
Vu la diversité des produits et matériels nécessaires à un acte prothétique, il est impossible de les regrouper sur un plateau et le fait d’utiliser la technique des « trois plateaux » de Missika permet un meilleur contrôle de l’asepsie et, surtout, une meilleure ergonomie [1, 2].
Pour la séance de prise d’empreinte par exemple, l’assistante peut mettre en place le matériel nécessaire à ce type d’intervention sur trois plateaux différents :
• le plateau n° 1 « praticien », situé sur la tablette de l’unit, comprend la petite instrumentation de base stérile (sonde, miroir, précelles, spatule, etc.) (fig. 1) ;
• le plateau n° 2 « praticien », situé sur le plan de travail (fig. 2), comporte l’ensemble des éléments nécessaires à la réalisation de la prothèse provisoire (résine, vernis…), godets jetables, teintier, etc. ;
• le plateau n° 3 « assistante », situé sur le plan de travail (fig. 3), comprend l’ensemble des éléments pour les empreintes (porte-empreinte, silicone, alginate, bol, spatule, dose d’eau, etc.). Il est préférable de préparer les doses avant la séance afin de ne pas avoir à ouvrir ou à manipuler de boîtes ou de cuillères doseuses pendant l’opération. Les doses sont disposées sur un bloc à spatuler recouvert d’un film plastique.
L’assistante et le praticien doivent impérativement considérer chaque patient comme un patient à risque et doivent donc se protéger par le port des gants, de lunettes ou d’une visière et d’un masque [2].
Il est recommandé de demander au patient de faire un bain de bouche à base de chlorhexidine avant l’acte clinique, des lunettes lui sont fournies afin de la protéger de toute projection [2].
La seconde phase de traitement des empreintes est la désinfection. Elle nécessite un temps de contact prolongé entre le désinfectant et le matériau à empreinte, ce qui nuit à la stabilité dimensionnelle et à l’état de surface des empreintes.
Le choix du produit, la technique et le temps de désinfection sont directement liés au matériau d’empreinte. La désinfection doit obéir à un protocole très strict qui garantisse l’efficacité et la conservation des propriétés de l’empreinte ainsi que dimensions et qualité d’enregistrement des détails.
Une phrase à elle seule permet de résumer cette étape : « On ne désinfecte que ce qui est propre. »
Le rinçage de l’empreinte ou de tout autre matériau prothétique sera à effectuer dès son retrait de la cavité buccale et va permettre l’élimination rapide de la plaque bactérienne, des mucosités, des débris salivaires et sanguins visibles. Ce rinçage, qui devra être réalisé avec masque, gants et lunettes afin d’éviter un risque de projection oculaire ou d’inhalation, doit durer au minimum 15 secondes : il permet d’éliminer, selon certains auteurs, 90 % de la contamination microbienne [3-5] (fig. 4).
Il s’effectuera sous l’eau courante froide mais quelques auteurs ont préconisé l’utilisation d’eau tiède, stérile ou savonneuse. Dernière précaution, il devra se terminer en secouant énergiquement l’empreinte afin d’éliminer tout excès d’eau qui diluerait la solution de désinfection.
Un second rinçage sera réalisé immédiatement après la procédure de désinfection. Il a pour but d’éliminer toute trace de produit désinfectant pouvant réagir sur le matériau de réplique et en altérer la dureté ou l’état de surface. Il pourra être effectué à l’eau courante ou déminéralisée [3-5].
Aucune influence n’a été observée, ni sur la stabilité dimensionnelle ni sur la précision des détails de la réplique en plâtre quel que soit le mode de désinfection (immersion ou pulvérisation) ou la solution désinfectante testée.
La désinfection par immersion reste la méthode de choix, elle peut être faite avec des solutions à base de glutaraldéhyde, d’hypochlorite de sodium, de dérivés iodés, etc. Le temps de trempage varie, selon les études, de quelques minutes à plusieurs heures [6, 7].
Une désinfection par immersion est indiquée pendant la plus courte durée mentionnée par le fabricant, compte tenu des variations dimensionnelles dans le temps inhérentes au matériau.
Les solutions à base de formaldéhyde n’entraînent aucune variation dimensionnelle des DMPS après une immersion de 15 minutes [7].
Ces matériaux hydrophobes ne subissent pas ou peu de déformations lors d’une immersion dans une solution désinfectante. Ainsi, une immersion de 10 minutes dans un bain d’hypochlorite de sodium à 5 % peut être envisagée [8].
Lorsque les solutions désinfectantes sont utilisées en immersion, des variations dimensionnelles (expansion) et une altération de la reproduction des détails sont observées. Le caractère hydrophile des polyéthers est à l’origine de ces variations.
Une immersion limitée à 2 ou 3 minutes dans une solution d’hypochlorite de sodium à 1 % est tolérée. Une désinfection par pulvérisation d’une préparation à base de glutaraldéhyde à 2 % est préférable [7].
Les hydrocolloïdes irréversibles sont les plus discutés. Les modes de désinfection et les solutions désinfectantes testées induisent souvent des résultats contradictoires. Ici, un autre paramètre intervient : la nécessité de la double compatibilité de la solution utilisée entre matériau d’enregistrement et matériau de réplique.
La durée de l’immersion ne doit pas excéder 10 minutes au risque de perdre la stabilité dimensionnelle, la qualité de reproduction et/ou la précision des détails.
L’American Dental Association (ADA) recommande d’utiliser des désinfectants appropriés sous forme de spray (efficacité optimale de l’hypochlorite de sodium à 0,5 %), puis de conserver ces empreintes dans un sac en plastique hermétique, le temps nécessaire à une efficacité d’action de l’agent désinfectant (fig. 5 et 6).
Certains fabricants ont proposé d’ajouter dans la poudre de l’alginate de la chlorhexidine à 1 %, ce qui permet ainsi de disposer d’une poudre aseptique (la présence de bactéries aérobies a été mise en évidence dans la poudre d’alginate). Les résultats d’une étude récente ont ainsi montré l’efficacité de cette méthode vis-à-vis de contaminations associées aux techniques d’empreinte. Mais il a été observé une altération de la capacité de reproduction des détails [7, 9].
Les propriétés physico-chimiques de ce matériau hydrophile interdisent toute immersion au-delà de 5 minutes. La décontamination à l’aide d’un spray semble la seule envisageable pour préserver les qualités de l’empreinte : glutaraldéhyde à 2 % ou hypochlorite de sodium à 0,5 %.
Pour éviter le risque de contamination, une solution désinfectante est ajoutée à l’eau des bains thermostatés dont la température favorise le développement des bactéries. Mais aujourd’hui, la technique combinée hydro-alginate supprime ce risque puisque les conditionneurs thermostatés des hydrocolloïdes injectés, conditionnés sous forme de carpules, sont des conditionneurs secs [7].
Les empreintes au plâtre seront immergées dans l’eau savonneuse ou dans une solution de cristaux de soude. Il faut prendre soin de changer le bain de décontamination après chaque immersion [10].
Les empreintes oxyde de zinc-eugénol ne peuvent pas être décontaminées avec une solution chlorée. L’utilisation d’hypochlorite provoque des variations dimensionnelles trop importantes. Ces empreintes seront rincées puis traitées avec une solution de glutaraldéhyde à 2 % pendant 10 à 60 minutes ou dans une solution d’iodophore diluée [10].
Des porte-empreintes métalliques stérilisables seront utilisés pour réaliser l’empreinte primaire ; le praticien pourra également opter pour des porte-empreintes jetables [10].
De plus, pour ce type de patients, les précautions devront être multipliées :
• les soins seront précédés d’un bain de bouche à la chlorhexidine afin de diminuer le nombre de germes pathogènes in situ ;
• l’empreinte secondaire sera préférentiellement obtenue avec une silicone dont le comportement est moins sujet aux variations dimensionnelles lors d’utilisation d’un produit de désinfection de manière prolongée ;
• le temps de trempage sera doublé ;
• des plâtres autodésinfectants à base de chloramine T type Steri-Die A® peuvent compléter le protocole.
Dans la mesure où la surface du matériau à empreinte a été traitée, le modèle est théoriquement non contaminé. En revanche, si les empreintes n’ont pas été décontaminées, il devient nécessaire de décontaminer le moulage. Même si la contamination à partir des moulages est extrêmement réduite, elle existe néanmoins [1, 10].
Plusieurs protocoles peuvent être proposés [1, 10] :
• lors de la spatulation, ajout d’hypochlorite à l’eau ou utilisation d’un plâtre « autodésinfectant » comme le Steri-Die A® (Oradent International Inc) ;
• après la coulée, spray d’hypochlorite de sodium à 0,5 % ou passage du modèle en plâtre au four à la température de 45 °C pendant 2 heures ou 100 °C pendant 15 minutes ;
• immersion pendant 10 minutes dans une solution d’hypochlorite de sodium à 0,5 % (fig. 7).
L’utilisation d’alcool est à proscrire car il va agir comme solvant. Le protocole suivant peut être appliqué [11, 12] :
• rinçage sous l’eau courante pendant 15 secondes ;
• immersion dans un bain d’hypochlorite de sodium à 0,5 % pendant 10 minutes, glutaraldéhyde à 2 % ou pulvérisation d’une solution iodophore ;
• rinçage sous l’eau ;
• séchage et mise sous sachet.
La désinfection des pièces prothétiques en résine est très importante car elles peuvent présenter des porosités de surface plus ou moins importantes des servant de niches écologiques aux micro-organismes. L’utilisation de dérivés phénolés et d’alcool est à proscrire car ils attaquent la résine et la rendent encore plus poreuse. Le glutaraldéhyde et le formaldéhyde sont aussi à éviter car ils se rincent difficilement à l’eau courante. Des molécules résiduelles de ces produits pourraient être nocives pour la muqueuse buccale. Le protocole suivant sera donc appliqué [10] :
• immersion dans une solution d’hypochlorite de sodium à 0,5 % pendant 5 minutes (15 minutes maximum) ;
• rinçage à l’eau et séchage.
Il est déconseillé d’utiliser de l’hypochlorite de sodium ou du formaldéhyde pour la désinfection des pièces prothétiques contenant du métal car ils ont une action corrosive. Le protocole suivant sera donc appliqué [10, 12] :
• immersion dans un godet contenant un produit à base de chlorhexidine à 0,2 % dilué avec de l’eau comme bain de désinfection, ou dans une solution iodophore ou un spray de glutaraldéhydes à 2 % ;
• rinçage prolongé à l’eau.
Les céramiques non glacées (le « biscuit ») ne tolèrent pas de désinfection. Entre deux étapes de laboratoire, un simple rinçage sous l’eau courante suffirait. Lorsque la finition de la céramique sera effectuée, la désinfection pourra être effectuée dans des produits contenant de la chlorhexidine à 0,2 % diluée dans de l’eau [10, 11] (fig. 8).
En raison du caractère poreux des bases prothétiques, de leur rugosité et de leur contamination par les germes présents dans la salive, deux protocoles de désinfection peuvent être utilisés [10, 12] :
• mettre la prothèse dans un récipient en verre rempli d’eau puis le placer dans un four à micro-ondes pendant 6 minutes à une puissance de 650 W ;
• tremper la prothèse pendant 15 minutes dans un bac contenant de l’hypochlorite à 0,5 %, laver et brosser, rincer, sécher par tamponnement avant que l’opérateur puisse l’utiliser ou l’emballer et la transmettre au laboratoire de prothèses.
Une fiche signalétique doit accompagner l’appareil en spécifiant sa désinfection afin d’éviter une seconde désinfection qui pourrait endommager sa structure.
Le matériel résistant à la chaleur comme les porte-empreintes métalliques, la fourchette de l’arc facial, les spatules, les fraises, les forets, les couteaux à cire, etc. doivent être stérilisés à l’autoclave [10, 11].
Le matériel comme le bol à plâtre, le bol à alginate, les articulateurs, l’arc facial, les tubes et les boîtes des matériaux, etc., doivent être prédésinfectés, nettoyés et désinfectés par spray à l’hypochlorite de sodium avant et après chaque utilisation (fig. 9 et 10).
Les teintiers doivent être lavés à l’eau et au savon avant d’être passés à l’alcool à 60° ou désinfectés avec une lingette [10, 13].
C’est au niveau du laboratoire que les risques de contamination croisée sont le plus présents, raison pour laquelle certaines mesures doivent être appliquées et vérifiées.
Il est recommandé au laboratoire d’avoir une zone de réception, une zone de travail et une zone de livraison nettement séparées les unes des autres [14, 15].
La désinfection des travaux entrants sera effectuée si elle n’a pas déjà été réalisée au cabinet dentaire.
Les sachets de transport doivent être toujours jetés.
Les boîtes d’emballage destinées aux échanges avec les cabinets sont régulièrement nettoyées et désinfectées ou même changées.
Toutes les surfaces de travail de cette zone doivent être régulièrement nettoyées et désinfectées [10].
Les surfaces de travail doivent toujours être propres et désinfectées.
Les techniciens devront travailler avec masque, gants et lunettes.
L’utilisation de systèmes d’aspiration de poussière et d’écrans de protection devant les tours et les meules doit être généralisée.
Les divers matériaux et instruments utilisés doivent être séparés selon qu’ils sont destinés à des prothèses neuves ou anciennes.
Les accessoires de laboratoire (pièces à main, fraises, meules, brossettes à polir…) doivent être lavés et stérilisés dans un autoclave ou dans un stérilisateur à vapeur chimique.
Les brosses plus fragiles (en soie) peuvent être décontaminées par immersion dans une solution de glutaraldéhyde à 2 % selon le temps recommandé par le fabricant.
Les ponces doivent être régulièrement changées et les bacs stérilisés.
Des doses uniques de ponce sont recommandées.
Le mélange de la ponce avec une solution d’hypochlorite à 0,5 % est recommandé [14, 16].
Tous les travaux doivent être désinfectés avant de quitter le laboratoire, étiquetés et mis dans des sachets neufs.
Les porte-empreintes en métal seront de préférence stérilisés au laboratoire, sinon ils seront expédiés dans un emballage hermétique.
Chaque travail doit être associé à une fiche de liaison mentionnant si la désinfection a été réalisée et quelle technique a été utilisée.
Les risques de contamination en prothèse sont une réalité dont le cabinet dentaire et le laboratoire doivent être conscients. Ces risques doivent impérativement être réduits et, si possible, éliminés.
Le laboratoire de prothèses étant identifié comme un maillon important dans la transmission d’une infection croisée potentielle, il devra rester le plus « aseptique » possible.
La mise en place systématique d’une chaîne d’asepsie entre le cabinet et le laboratoire, par des mesures simples et faciles à appliquer, permet de réduire efficacement les risques de contamination ; elle est un gage de protection aussi bien vis-à-vis des patients que du chirurgien-dentiste, du technicien de laboratoire ou du personnel. En effet, ces risques de contamination posent de véritables problèmes de santé publique à l’heure où la société recherche le risque zéro en matière d’hygiène et d’asepsie.
La communication entre le cabinet dentaire et le laboratoire de prothèses reste nécessaire afin de préciser la méthode de désinfection utilisée et, donc, d’éviter une seconde désinfection inutile et néfaste.