Clinic n° 01 du 01/01/2015

 

Équipement/Matériel

Olivier QUERBES*   Bruno PÉLISSIER**   Véronique QUERBES***   François DURET****  


*Ingénieur
**MCU-PH, UFR d’Odontologie
de Montpellier I
545 avenue du Professeur-Jean-Louis-Viala
34193 Montpellier cedex 5
***Ingénieur
****Professeur honoraire
Université USCI, Los Angeles (États-Unis)

La CFAO (conception et fabrication assistée par ordinateur) prend une part de plus en plus importante dans la dentisterie moderne, même si elle a mis 40 ans pour devenir incontournable. Le Pr François Duret en est l’inventeur et nous devons lui rendre hommage. Sa thèse d’exercice sur l’empreinte optique est la référence mondiale. Nous assistons actuellement à une révolution en dentisterie avec l’apparition de nombreuses caméras d’empreintes optiques. Système ouvert, la caméra Condor, nouvelle venue sur le marché, est une solution simple et moins onéreuse, avec une nouvelle technologie qui permet d’obtenir des empreintes optiques à l’aide d’images en couleur de qualité exceptionnelle.

Alors qu’aujourd’hui plus de 60 % des laboratoires de prothèses sont équipés d’appareils de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) dentaires et qu’ils traitent 50 % de leurs réalisations en utilisant cette chaîne numérique, la pénétration de cette technique reste difficile et peine encore à convaincre les chirurgiens-dentistes.

Comment pouvons-nous expliquer cette réticence à s’équiper d’un matériel de plus en plus performant ? Quelles sont les raisons pour lesquelles le clinicien hésite encore à se lancer dans la dentisterie « tout numérique » alors que la chaîne complète cabinet-laboratoire est la seule garante d’une réalisation proche de la perfection ? Plusieurs ?explications peuvent être données :

• tout d’abord, la prudence naturelle de celui qui maîtrise une technique le satisfaisant et qui a, de ce fait, du mal à tout remettre en cause et en question ;

• ensuite, un manque de formation qui le pousse à redouter un nouvel apprentissage ;

• sans doute aussi l’encombrement encore important des scanners d’empreinte optique en bouche malgré les efforts apportés par les fabricants pour les miniaturiser ;

• enfin, et ce sont vraisemblablement les deux raisons les plus importantes :

– le recours au poudrage des surfaces mesurées, ce qui évidemment remet complètement en question la précision de l’empreinte,

– un prix restant assez élevé même, si toutes techniques confondues, il s’avère rentable au-delà de la vingt-cinquième empreinte mensuelle.

Face à ces multiples raisons, l’équipe française de la société AABAM* a proposé une solution simple et moins onéreuse : la caméra Condor. C’est de cette nouvelle venue sur le marché que nous allons vous entretenir.

Présentation sommaire de la caméra Condor

La caméra Condor se présente comme un petit instrument de la taille d’un contre-angle, de 23 cm de long, de 2,5 cm de large et d’un poids d’une centaine de grammes. Elle se caractérise par la présence de deux caméras à son extrémité (fig. 1 à 3). Elle est donc très similaire aux caméras vidéo 2D actuelles à cette différence près qu’elle fournit une image 3D renfermant les mesures des objets qu’elle observe. Cela lui permet d’être à la fois un instrument de visualisation et un scanner d’empreinte optique.

Même si son objectif initial était de servir uniquement aux prises d’empreintes optiques, le fait de le faire sans poudre, donc en couleur, lui a permis d’offrir une double application : le scannage pour réaliser des empreintes et la visualisation couleur pour faire des diagnostics.

Cette seconde fonction a poussé ses concepteurs à en faire un système totalement ouvert. La caméra Condor n’est pas destinée, du moins pour le moment, à transformer le clinicien en prothésiste, ne serait-ce que pour des raisons légales, mais à réunir en un seul instrument le porte-empreinte électronique et la caméra vidéo au milieu des turbines et autres lampes à polymériser directement sur l’unit.

Il fallait donc avoir un système capable d’envoyer dans tout laboratoire équipé de CFAO un fichier que le prothésiste aurait été en mesure d’utiliser avec les appareils équipant son laboratoire mais aussi un fichier incorporable dans une chaîne de télémédecine. C’est l’objectif ambitieux qu’a atteint ce petit scanner endobuccal.

Technique mise en œuvre

Tous les amateurs d’empreinte optique savent que la première technique utilisée dans ce domaine reposait sur la projection d’une trame sur les dents. De la déformation de ces grilles régulières et connues a priori découlait la possibilité de connaître la géométrie de l’objet et ses mensurations. Véritable tableau de Vasarely dentaire, introduit pour la première fois dans les cabinets dentaires des années 1980 par le Dr Duret et la société française Hennson, la technique choisie a fait de nombreux émules et ce n’est pas moins de 20 scanners endobuccaux qui s’appuient sur ce concept.

Cette nouvelle caméra, appelée Condor, a tourné le dos à cette technique éprouvée, d’abord parce qu’elle était chère, ensuite parce qu’elle obligeait souvent à poudrer les dents, privant l’analyse de la vision en couleur et, enfin, parce qu’elle rendait les scanners fragiles.

Pour résoudre ces problèmes complexes et répondre aux objectifs fixés, la société AABAM a d’abord collaboré avec le Centre national d’études spatiales (CNES) avant de mettre au point des logiciels spécifiques au monde dentaire de plus en plus performants. Il n’était plus question de projeter des grilles déformables sur les dents compliquant les scanners mais de trouver dans l’image elle-même les informations nécessaires aux relevés de cotes. De ce fait, ce n’est plus la grille et sa déformation que l’on mesure mais l’objet lui-même, tel qu’il est vu. Alors que la couleur était le problème essentiel des analyses par déformation de grille, dans cette nouvelle technique, elle devient son allié pour débusquer les détails nécessaires à sa reconnaissance.

Les deux yeux de la Condor, les deux caméras faudrait-il dire, font le reste. La méthode stéréoscopique embarquée et dynamique par balayage permet le relevé des cotes et l’épuration des informations s’appuie sur des calculs et des filtres complexes. Cette caméra applique, sous une forme spécialisée et médicalisée, les relevés topographiques mis en œuvre par les caméras embarquées dans les satellites.

La Condor appuie ses softwares, donc ses mesures, sur des techniques stéréoscopiques pures, relevant ses informations dans le milieu buccal sans aucun autre artifice. Pour ce qui est de la partie hardware, l’électronique et la miniaturisation de ses composants, principalement celle accompagnant la téléphonie mobile, ont permis de construire un scanner compact, précis et léger.

Quant à la transmission des données, elle repose sur un langage standard totalement ouvert car il n’était pas question d’enfermer le clinicien dans un type de matériel ou de logiciel de conception. C’est un fichier STL (ou un PLY) standard qui peut être lu par tout logiciel de conception ou par toute unité de fabrication par addition (prototypage rapide) ou par soustraction (machine de fraisage), dans la mesure où ce langage n’impose pas de spécificités pour forcer l’utilisateur à acheter des licences.

Il va de soi que si les données peuvent être adressées à un laboratoire, elles peuvent aussi émuler un système de CFAO direct intégré dans le cabinet dentaire. De plus en plus, les logiciels de CFAO (comme ExoCAD) l’ont compris. Ils sont capables de recevoir les fichiers standards STL permettant au chirurgien-dentiste de travailler ses provisoires ou d’envoyer ses données à ses prothésistes. Il en est de même des machines de prototypage rapide. Un chirurgien-dentiste utilisant la Condor peut s’équiper pour réaliser des modèles ou des couronnes provisoires en méthode directe.

Manipulation initiale

La caméra Condor se compose de deux parties, un ordinateur et une caméra reliés par une liaison filaire USB 3. L’ordinateur recommandé par le réseau de distribution MFI pour ses performances est aujourd’hui un all-in-one, c’est-à-dire un écran refermant l’ordinateur, de la société coréenne MSI (par exemple, le MS-AF18). Pour avoir toute sa puissance, la caméra a besoin d’une carte vidéo et d’un processeur (CPU, central processing unit) rapide et puissant. Certes, il n’est plus nécessaire d’avoir un kart dédié et fermé, mais cela ne veut pas dire qu’il est possible d’utiliser un ordinateur bas de gamme. La chose serait techniquement possible mais la procédure serait très lente, principalement au niveau de l’affichage temps quasi réel de l’empreinte 3D en cours de réalisation.

L’interface homme/machine (IHM), appelée couramment menu, se compose des menus classiques demandant le nom du chirurgien-dentiste (fig. 4 et 5), du prothésiste (fig. 6) et du patient (fig. 7) comme pour tous les logiciels de gestion. Vient ensuite la détermination du type de prothèse (fig. 8).

Ce tableau étant rempli, il suffit alors de cliquer sur la flèche en bas et a droite pour lancer la caméra. Pour éviter les phénomènes de buée, il est recommandé de mettre la caméra en fonction quelques minutes avant la prise d’empreinte elle-même, par exemple durant le remplissage de la fiche patient.

Prise d’empreinte optique proprement dite sur un modèle de dents réelles

Après la manipulation initiale se présente alors un écran divisé en deux parties (fig. 9) avec, à gauche, une vue directe de la caméra de visualisation et, à droite, la construction 3D temps réel construite en cours de prise d’empreinte.

Lorsque l’empreinte de la première arcade est terminée, un calcul permet d’obtenir la vue de l’empreinte réalisée dans toute sa précision (fig. 10), image 3D que l’on peut zoomer pour observer les détails (fig. 11). Ce sont ces deux images qui seront utilisées pour la fonction diagnostique et télémédecine (si nécessaire). En cela, la Condor apparaît comme un puissant outil diagnostique et didactique pour le patient. Cette fonction rend caduques les caméras vidéo 2D dans la mesure où il est possible de tourner la vue dans tous les sens pour mettre en évidence des zones nécessitant des soins.

Prise d’empreinte optique en bouche

L’opération est identique. Il suffit de suivre les directives du logiciel. Il est possible d’obtenir la réalisation de l’empreinte de la mandibule (tout ou partie), du maxillaire (si nécessaire) et celle de l’empreinte latérale en occlusion.

Clinique

Lorsqu’on voit pour la première fois la caméra Condor, on est très agréablement surpris par sa taille, indéniablement réduite par rapport aux caméras présentes sur le marché, même si les nouvelles versions de ces dernières ont été modifiées dans ce sens. La partie caméra proprement dite est vraiment petite grâce à une technique de pointe. Cette taille est donc un atout majeur, par rapport aux autres caméras, en matière de manipulation dans les secteurs postérieurs difficiles d’accès et dans les zones vestibulaires mais aussi pour traiter les patients à l’ouverture buccale restreinte.

En raison de sa légèreté, la prise en main de la caméra Condor est vraiment étonnante. Peut-être qu’un poids un peu supérieur serait souhaitable pour un bon équilibre dans la main. Mais cela montre tout de même qu’une telle légèreté est un avantage important lors de la manipulation en bouche car elle réduit la tension musculaire. La main devient le prolongement de la caméra. On a l’impression que c’est elle qui enregistre directement.

Grâce à sa légèreté et sa taille réduite, la manipulation clinique de la caméra Condor est facile : au bout de deux essais, on arrive à obtenir un résultat très correct, ce qui est vraiment surprenant et encourageant. La technique semble très au point. Il est aussi indéniable que, comme pour toute nouvelle technique, un apprentissage est nécessaire. Il doit commencer par des empreintes optiques unitaires pour être suivi par des empreintes sectorielles et, enfin, globales d’une arcade complète. Mais, au vu des premières empreintes réalisées, le temps d’apprentissage sera sans aucun doute réduit.

De plus, grâce à un système judicieux de rail de guidage permettant de positionner la caméra à la bonne distance par rapport aux dents (fig. 12 à 14), l’empreinte optique est facilitée ; ce rail peut être enlevé si on le désire et lorsque l’on maîtrise la manipulation mais également pour traiter les zones les plus difficiles d’accès.

Conclusion

Système ouvert, la caméra Condor, nouvelle venue sur le marché, est une solution simple et moins onéreuse que les autres. Petite, elle se caractérise par la présence de deux caméras à son extrémité. Cela lui permet d’être à la fois un instrument de visualisation et un scanner d’empreinte optique. Sa technique mesure l’objet lui-même, tel qu’il est vu, et non la déformation de la grille projetée. Dans cette nouvelle technique, la couleur devient donc son alliée pour débusquer les détails nécessaires à la reconnaissance de l’objet. De très belles images peuvent être obtenues, même en zoomant (fig. 15 à 18). Actuellement, des études cliniques sont en cours à l’UFR d’odontologie de Montpellier et au Centre de soins et de recherches du CHU de Montpellier. L’avenir s’annonce très prometteur pour cette caméra innovante.

*NDLR Créée en 2008 à Fleury-d’Aude (11), la société audoise Aabam a pour vocation de développer une caméra de lecture tridimensionnelle à destination des chirurgiens-dentistes et des prothésistes. Cette caméra de lecture tridimensionnelle est développée dans le cadre du projet ADMS (appareil dynamique de modélisation pour la santé) labellisé par les pôles de compétitivité Eurobiomed, Cancerbiosanté, AerospaceValley (Toulouse) et Route des Lasers (Bordeaux).

Aabam, soutenue par la région Languedoc-Roussillon, Bpifrance et les fonds européens, a démarré en 2014 sa phase de commercialisation en s’appuyant sur son partenaire MFI (Belgique). À ce jour, un minimum garanti de 1 000 caméras, conçues et assemblées à Fleury-d’Aude, a déjà été vendu en précommercialisation. Elle est ditribuée en France par Biotech Dental.

LECTURES CONSEILLÉES

Duret F. • Empreinte optique. Thèse de 2e cycle n° 231. Lyon : université Claude-Bernard, 1973.

• De la stratégie prothétique à la stratégie numérique. Strat Prothet 2014;14 (n° spécial).

• Osez la CFAO. Inf Dent 2014;96 (n° spécial).

• Spécial CFAO. Inf Dent 2014;96 (n° spécial)

• Nouveaux regards sur la CFAO. Clinic 2014;35 (hors série).