Clinic n° 01 du 01/01/2015

 

Enquête

Marie Luginsland  

Bien que floutée par de nombreux reports et de multiples dérogations, la loi de 2005 sera bien mise en application au 1er janvier. L’accessibilité du cabinet est aujourd’hui une question d’actualité. Une priorité à classer parmi les bonnes résolutions de l’année 2015.

L’heure est au bilan. Le 31 décembre prochain, au plus tard au 1er mars 2015, chaque chirurgien-dentiste aura dû se prononcer sur l’accessibilité de son cabinet, qu’il soit aux normes ou pas. Être dans les clous face au calendrier et aux instances compétentes (voir encadré) ne signifie pas que les portes devront être rabotées, ni les dénivelés comblés.

Les praticiens auront juste à poser un diagnostic sur la commodité d’accès de leur cabinet aux personnes handicapées. Avec pour objectif, le cas échéant, de se réserver un délai de réflexion pour peaufiner leur mise en conformité.

Ce qui peut paraître effrayant dans les textes l’est déjà moins dans la réalité, tant les principes édictés dans la loi du 11 février 2005 se sont dilués au fil des reports et des dérogations. À tel point que ces incertitudes ont pesé sur la mobilisation de la profession. Car si les cabinets dentaires sont classés ERP (établissement recevant du public) de catégorie 5 (nombre de personnes inférieur au seuil, dépendant du type d’établissement), bien peu de praticiens ont, à ce jour, pris le problème à bras-le-corps. En l’absence de données officielles, Patrice Bouvier, dirigeant du cabinet d’aménagement Arcade dentaire, estime que le nombre de clients modifiant leur cabinet pour des raisons de conformité reste encore infime. « Il y a certes les précurseurs, ceux qui, il y a 10 ans déjà, ont anticipé quand ils ont construit leur cabinet », remarque-t-il. Mais ils sont en minorité, selon l’agenceur breton qui réalise 5 ou 6 nouveaux cabinets par an.

Les imbroglios de l’ancien

La mise en conformité de « l’existant » constitue le cœur du problème. Ces cabinets sont situés dans les centres-villes, parfois classés, souvent d’accès difficile. Avec un vrai casse-tête à la clé pour les praticiens. Laure Brun en sait quelque chose. Son cabinet dentaire est situé dans le onzième arrondissement de Paris, dans un immeuble haussmannien. Elle doit se rendre à l’évidence, « l’ascenseur, praticable pour des personnes âgées avec des cannes, n’est pas accessible aux fauteuils roulants ». L’impossibilité manifeste de le mettre en conformité lui confère certes une dérogation. Mais cette praticienne veut en avoir le cœur net pour ne pas être inquiétée plus tard. Elle va déposer une demande de dérogation.

Une de ses consœurs, qui tient à garder l’anonymat, témoigne elle aussi de la difficulté de trouver des locaux adéquats. Cela fait plus de 12 mois qu’elle recherche activement un cabinet à Paris. Actuellement locataire, elle aimerait acquérir un bien en conformité, en vain. Son mari, médecin, après avoir trouvé un cabinet au bout de 1 an et demi, a dû effectuer des travaux pour aménager un accès aux fauteuils roulants par un jardinet au travers d’une baie vitrée. Coût de l’opération : 20 000 euros. « Des frais énormes en relation avec ce cabinet de deux pièces alors qu’aucune aide n’est proposée aux professionnels de santé », s’insurge la praticienne. Et de souligner le paradoxe du métro parisien qui, lui, n’est pas obligé de se mettre aux normes !

Préserver la proximité

Reste que les conditions se sont assouplies pour les ERP. Alain Moutarde, membre du Bureau national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD), s’en trouve satisfait. « Nous avons été entendus. Et nous pouvons désormais obtenir des dérogations quand le professionnel de santé est dans l’incapacité manifeste de réaliser les travaux en raison de la configuration de son cabinet et de l’immeuble. » Il cite en exemple les centres-villes historiques où sont installés de nombreux chirurgiens-dentistes. Un déménagement dans des locaux neufs adaptés à la périphérie urbaine éloignerait de facto le praticien de sa clientèle à mobilité réduite et/ou âgée. Ne serait-il pas d’ailleurs cohérent de considérer également l’accessibilité sous cet angle ? En effet, les praticiens ont à cœur de préserver la proximité avec leurs patients. Certains, comme Jean-Gerald Voiry, installé dans le centre-ville de Nancy, n’hésitent pas à lancer de lourds chantiers pourvu que la pérennité de leur implantation soit assurée.

Ainsi, le praticien nancéen a effectué, il y a 3 ans, des travaux de 1 mois et demi pour décaisser une porte sur la rue principale, maintenant conforme aux normes handicap mais aussi… à celles des monuments historiques. Cela a permis de résoudre le problème que posait la topographie antérieure : un passage sous un porche et deux petits escaliers. Le chirurgien-dentiste en a profité pour mettre aux normes toutes les portes intérieures de son cabinet ainsi que les toilettes. Résultat, la clientèle autrefois obligée de se rendre à l’hôpital fréquente désormais ce cabinet, devenu « cabinet témoin » à Nancy.

Tolérance zéro pour le système D

Les praticiens sont d’autant plus motivés à entreprendre ces travaux de mise en conformité que les murs leur appartiennent. Ils ont le souci de maintenir leur patrimoine. Comment revendre si nous ne sommes pas aux normes ? s’interrogent-ils à raison. Conscients de la plus-value qu’ils acquièrent en même temps que la conformité, ils se lancent dans des aménagements. Entre imagination et bon sens, ils se heurtent à une réalité parfois brutale. Car si l’accès au fauteuil est le plus souvent résolu par les fabricants, il subsiste des murs porteurs que l’on ne peut déplacer, des couloirs ne pouvant s’élargir au 1,40 m réglementaire, des rampes d’accès qui nécessairement empiéteront sur le domaine public… Et quid des cabinets situés en entresol ?

Les cas de figure sont infinis, les solutions restreintes. « Il n’est pas question de compromis avec la norme », rappelle Patrice Bouvier, qui refuse « tout bricolage » et dont le rôle est de rappeler la norme en permanence.

Toutes les facettes de l’exercice professionnel au cabinet sont passées au crible. Car, comme le souligne Clément Harel, dirigeant de l’agence Wat-architecture dentaire, « le patient doit avoir accès à tous les services du cabinet, de l’accueil à la salle de soins, de la radiographie à la chirurgie ». Reste à trouver des solutions abordables pour le praticien. Là où un élévateur de fauteuil roulant sur deux étages coûtera 20 000 euros, un « monte-fauteuil » reviendra à 5 000 euros, un plan inclinable manuel amovible à 1 500 euros…

« L’accueil ne doit pas être négligé. Il faut veiller à ce qu’il ne soit pas fermé devant et dégager un espace de 75 cm afin que le patient puisse signer un papier par exemple », précise Clément Harel.

Les disparités sur le territoire

Reste que dans l’environnement du cabinet dentaire, la norme est un combat quotidien. « Il faut pouvoir concilier ces nouvelles normes handicap avec les normes incendie et les normes de radioprotection, notamment », énumère Patrice Bouvier. Les praticiens et leurs agenceurs se sentent parfois seuls pour résoudre ces problèmes. « Les industriels innoveront peut-être plus vite quand ils rencontreront les chirurgiens-dentistes, et les fabricants de fauteuils roulants se sentiront peut-être plus impliqués », suggère le dirigeant d’Arcade dentaire.

L’application de la loi ne cesse de soulever des interrogations, d’autant que les décisions rendues au cas par cas seront à l’entière appréciation des préfectures et des commissions (voir encadré). Celles-ci agissant en toute indépendance, il devrait en résulter de nombreuses disparités d’une région à l’autre. Par conséquent, les chirurgiens-dentistes doivent s’attendre à ne pas être tous logés à la même enseigne. Ce qui n’empêche pas Alain Moutarde de se vouloir rassurant : « Il faut dédramatiser cette loi tout en essayant de bien la comprendre et de remplir ses obligations. » Et de décomplexer ses confrères : « Le handicap ne consiste pas seulement en la mobilité réduite. Il y a aussi les patients atteints de troubles visuels, auditifs, cognitifs… Nous soignons des personnes atteintes de handicap depuis longtemps. Et sans faire de bruit ! »

Ce qu’il faut savoir

Dix ans plus tard, que reste-t-il de la loi de 2005 Des Ad’AP, quatre dérogations et beaucoup de délais

Un ouf de soulagement pour la profession. L’ordonnance d’application du 26 septembre 2014 et son décret d’application du 5 novembre ont considérablement assoupli la loi du 11 février 2005. Aux trois dérogations prévues par la loi (cas de disproportion manifeste entre la mise en œuvre des prescriptions techniques d’accessibilité et leurs coûts, impossibilité technique et conservation du patrimoine architectural), une quatrième est venue s’ajouter. Désormais le cabinet dentaire, en tant qu’ERP, pourra être exempté d’une mise en conformité s’il est situé dans une copropriété dont les copropriétaires refusent les travaux.

Des Ad’AP

L’ordonnance prévoit également un outil important, l’agenda d’accessibilité programmée, ou Ad’AP. Définissant la programmation des travaux et leur nature, il permet – sous réserve d’être approuvé par le préfet – de prolonger, au-delà de 2015, le délai pour effectuer les travaux et, même, de le reporter jusqu’à deux, voire trois périodes de 3 ans. Le délai d’instruction de la demande d’approbation d’un agenda d’accessibilité programmée est de 4 mois. Toutefois, si la commission d’accessibilité ne s’est pas prononcée dans un délai de 2 mois, l’avis est considéré comme favorable. (Lire p.20 notre article pour en savoir plus).

Un calendrier maintenu

En dépit de ces aménagements, la loi du 11 février 2005 est maintenue sur un point : son application au 1er janvier 2015. À cette date, au plus tard au 1er mars 2015, l’« attestation d’accessibilité », c’est-à-dire la déclaration de conformité de l’ERP, ou, le cas échéant, la demande d’approbation d’un agenda d’accessibilité programmée doit être déposée à la préfecture avec copie à la commission pour l’accessibilité de la commune d’implantation. Le praticien aura jusqu’au 27 septembre pour produire son agenda d’accessibilité programmée.

À noter que s’il revient au propriétaire de l’ERP d’effectuer les démarches, il se peut toutefois que certains éléments du bail transfèrent ces obligations au propriétaire des murs.

S’assurer un accompagnement

Mis au pied du mur, les praticiens peuvent se tourner vers des professionnels de l’agencement, des réseaux de santé régionaux ou encore des cabinets spécialisés pour assurer l’accessibilité de leur cabinet.

En Lorraine, depuis 10 ans, le réseau Handi-Accès rassemble des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des personnes handicapées accédant aux soins. Outre la sensibilisation des autres professionnels de santé et leur formation pour améliorer l’accueil de ces patients, Handi-Accès a réalisé un annuaire consultable en ligne référençant tous les cabinets médicaux et paramédicaux de Lorraine et leurs conditions d’accueil. Il permet aussi la recherche simplifiée d’un professionnel de santé selon des critères de choix du patient : proximité, secteur géographique, stationnement, ascenseur, rampe d’accès…

Dans la région parisienne, le cabinet Habitat Adapté réalise actuellement, en coopération avec certaines communes, un annuaire de l’accessibilité. Dénommé CityAccess, ce logiciel recense entre autres tous les cabinets libéraux adaptés. Par ailleurs, spécialiste dans la recherche immobilière de locaux adaptés aux handicapés, il est mandaté par de nombreuses professions libérales pour « dénicher » le bien idéal. L’application de la loi de 2005 a donné à Habitat Adapté l’occasion de diversifier ses prestations. « Face à la complexité des démarches et au manque de temps des praticiens, nous proposons le dépôt clé en main de leur dossier d’accessibilité (audit, démarches et formalités, demande de dérogation…) auprès des instances compétentes, moyennant un forfait de 600 à 700 euros », déclare Philippe Dos Santos, gérant de la société.

Témoignage

Dr Dominique Jacquemond, Gérardmer (88)

Je ne compte certes que trois ou quatre personnes en fauteuil roulant dans ma patientèle que j’acheminais jusqu’à présent, seul, dans mon cabinet. Installé depuis 25 ans au rez-de-chaussée d’un immeuble du centre-ville, datant de la reconstruction d’après-guerre, j’ai eu le souci de rendre mon cabinet conforme aux normes d’accessibilité afin de maintenir sa valeur patrimoniale.

De toute façon, il n’était pas envisageable de transférer mon cabinet alors que les prix atteignent les 3 700 euros le mètre carré – sans plateau technique !

Il a été toutefois plus facile d’obtenir les autorisations de la préfecture et de la mairie que de la copropriété (ma démarche était antérieure à la publication de la quatrième dérogation). Cependant, une fois celle-ci obtenue, les travaux se sont avérés plus complexes dans leur organisation que prévu. Les estimations effectuées par un architecte pour des honoraires de 4 500 euros s’élevaient à environ 80 000 euros au total pour un cahier des charges concernant la rampe d’accès extérieure, la mise aux normes du comptoir d’accueil, l’ouverture de la porte d’entrée de mon cabinet ainsi que la porte de la salle de soins à laquelle il manquait 3 cm. Deux maîtres d’œuvre contactés ont présenté des devis variant entre 92 000 et 130 000 euros !

J’ai dû donc prendre moi-même les choses en main, coordonner et diriger ces travaux avec divers artisans et bien les encadrer afin de limiter les dépassements des devis. Ce déploiement d’énergie et de temps n’a pas empêché que les travaux durent depuis la mi-juillet 2014, pour un coût total d’au moins 50 000 euros.

Autre mauvaise surprise, une fois les formalités accomplies, la mairie, qui pourtant avait autorisé une rampe d’accès de 8 m sur 1,40 m avec emprise sur le domaine public, a subitement refusé le béton. Elle a exigé du granit massif !

La facture s’est par ailleurs rallongée d’un droit de voirie annuel de 547 euros pour cette rampe. Un élu de ma commune m’a précisé « qu’il ne pourrait pas continuer à distribuer des bouts de trottoir à tout le monde en centre-ville » !

Pour aller plus loin

• Les locaux des professionnels de santé : réussir l’accessibilité. Paris : ONCD, 2012.

• La Lettre de l’Ordre 2014 ; 132.

• Décret n° 2014-1327 du 5 novembre 2014 relatif à l’agenda d’accessibilité programmée pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public.

• Cabinet libéral accessible : un site d’information édité par Habitat Adapté. http://www.cabinet-liberal-accessible.fr

• Vidéo de présentation de l’outil CityAccess pouvant être adapté à toute profession de santé. https://vimeo.com/111543308