Tout et son contraire ont été dits sur l’apport des nouvelles technologies de la communication et de l’information (NTIC) à la formation des praticiens. Afin de sortir des généralités, il peut être intéressant d’observer ce qu’il en est dans un domaine particulier, celui de la dermatologie buccale.
La détection précoce des cancers de la cavité buccale a été mise en avant dans un plan ministériel en 2005. En effet, avec 7 500 nouveaux cas et 1 800 décès par an, la situation en France est une des plus dégradée d’Europe. Près de 70 % des cancers buccaux sont diagnostiqués à un stade avancé, alors que 85 % de lésions sont visibles directement lors de l’examen clinique. Mais la formation du plus grand nombre de praticiens à un dépistage précoce soulève de nombreuses difficultés. Comment le chirurgien-dentiste peut-il acquérir une compétence et, surtout, la conserver alors qu’il ne sera que rarement confronté à de telles lésions dans sa carrière ? Il est tentant de faire appel aux NTIC pour fournir un accès à un corpus de cas cliniques bien plus vaste.
Dans un article de 2012, le professeur Jonathan Rees, titulaire de la chaire de dermatologie de l’université d’Édimbourg, propose une vision intéressante du défi que constitue l’enseignement de sa discipline (1). Particulièrement lucide sur les avancées apportées pas les nouvelles technologies comme sur les illusions qu’elles ne manquent pas de faire miroiter, il met d’abord l’accent sur la démarche pédagogique. Cet expert est conscient des problèmes posés par la transmission de son savoir à des apprenants, qui doivent devenir des professionnels efficaces mais pas forcement eux-mêmes des experts. Jonathan Rees se fonde sur de récentes conceptions en pédagogie pour remettre en question le modèle hypothético-déductif généralement évoqué pour expliquer la démarche menant au diagnostic clinique. Il fait plutôt appel à un modèle non analytique de raisonnement, semblable à celui que nous utilisons pour classer de manière inconsciente les objets ou les visages par exemple. Cette méthode est appliquée à Édimbourg où les étudiants en spécialité ont accès à un grand volume d’images disponibles sur des sites librement accessibles comme celui de la société néo-zélandaise de dermatologie (2). Ils peuvent ainsi se confronter à des photographies plus cliniques que celles, standard, des textes de dermatologie pour le premier cycle.
Comme le fait remarquer Rees, nous sommes bien loin du XVIIIe siècle où l'on pouvait publier un traité de dermatologie sans autre illustration que le portrait de l'auteur (3). Un module de formation à destination des chirurgiens-dentistes et consacré à la détection précoce des cancers de la cavité buccale a été mis au point par l’Institut national du cancer (4). Cet outil remarquable propose plus de 2 heures de formation découpées en plusieurs séances qui font appel à une riche iconographie. Il permet au praticien d’acquérir les compétences de base pour mener une démarche diagnostique et peut utilement être complété par une consultation de bases de données comme DermNet NZ (2). Ces deux supports librement accessibles permettent au praticien d’aiguiser son esprit de déduction et, en s’entraînant régulièrement, de développer ses capacités de classement des différentes formes de lésions.
Ainsi, il peut être possible de compenser le manque d’expérience clinique concrète par la multiplication de cas simulés. Ce n’est certes pas suffisant pour devenir un expert mais cela doit permettre de cultiver la part de doute nécessaire à l’obtention de toute connaissance.
(1) Rees JL. : Teaching and learning in dermatology : http://www.medicaljournals.se/acta/content/download.php?doi=10.2340/00015555-1426
(2) DermNet NZ : the dermatology resource : http://dermnetnz.org/contents.html
(3) A treatise of diseases incident to the skin by daniel Turner: https://archive.org/details/demorbiscutaneis00turn
(4) Institut national du cancer : http://www.e-cancer.fr/fichiers/formation_dentiste/bin/inca.html