Clinic n° 04 du 01/04/2015

 

PRÉSENTATION

Franck RENOUARD  

S’il y a une personne qui a changé la vie et le destin de millions d’autres, c’est bien le professeur Per-Ingvar Brånemark. Au départ, rien ne destinait cet homme à devenir une des personnes les plus connues et les plus respectées du monde dentaire. Comme souvent, la découverte de l’ostéointégration est le résultat d’un hasard.

P.I. Brånemark était un médecin, spécialiste de la microcirculation sanguine. Pour ce faire, au début des années 1950, il avait eu l’idée d’insérer des chambres optiques en titane dans les tibias et péronés de souris. Comme ces dispositifs coûtaient chers, P.I. Brånemark a voulu les récupérer à la fin de ses observations. À sa grande surprise, les chambres optiques étaient soudées à l’os. Et c’est ainsi qu’a commencé la grande aventure de l’ostéointégration. Si aujourd’hui la forme des vis des implants dentaires semble logique, il faut garder à l’esprit que plus de 80 types de vis ont été étudiés. Des cages, des vis pleines, des vis creuses, des vis à filets larges ou étroits, rien n’a été oublié. Et c’est ainsi que petit à petit, la fameuse vis, qui a été ensuite copiée et modifiée à souhait, a vu le jour. Le protocole chirurgical a été mis au point dans le même temps. Brånemark étant un chirurgien orthopédiste, il a repris les protocoles très stricts de cette spécialité : asepsie stricte, mise en fonction différée, chirurgie atraumatique, préparation osseuse progressive, irrigation profuse pour éviter l’échauffement de l’os, etc.

Les études animales ont pu commencer. Et les résultats ont été au rendez-vous. En 1965, le premier patient a été implanté à la mandibule et le suivi clinique a montré des résultats favorables. Malgré le succès de l’ensemble de ces études in vivo, le génie de Brånemark a été de garder secrets ses travaux pendant plus de 15 ans. Quelques publications dans une revue scandinave entérinent ses recherches, mais il faut attendre 1981 pour que la communauté internationale soit informée de cette découverte.

Le développement de l’implantologie moderne s’est fait tout d’abord très lentement, puis la machine s’est petit à petit emballée. Pour beaucoup, l’implantologie est devenue une finalité alors qu’elle n’est qu’un moyen qui ne peut être dissocié des autres aspects de la dentisterie. Et, aujourd’hui, force est de constater que les traitements implantaires en 2015 sont certainement moins sûrs que ceux prodigués dans les années 1990. En effet, un grand nombre de modifications sur les composants ont été faites sans avoir été testées au préalable. De même, il suffit de voir les interrogations que suscite actuellement l’utilisation exclusive des surfaces rugueuses. Également, des protocoles de plus en plus compliqués, tels que l’extraction-implantation immédiate, sont présentés comme étant routiniers et à la portée de tous alors que cela reste des protocoles complexes pour lesquels la moindre erreur peut avoir des conséquences négatives importantes.

Bien entendu, il est normal que les protocoles évoluent et il est possible de s’éloigner des travaux du Pr Brånemark. Mais ces protocoles auraient avantage à être systématiquement conçus selon des méthodes aussi strictes que les siennes. Le Pr Schroeder, en élaborant un protocole implantaire rigoureux de son côté, en parallèle des travaux du Pr Brånemark, en est la preuve. Il est dommage que beaucoup de praticiens qui se mettent à l’implantologie aujourd’hui ne perçoivent pas toujours que le succès implantaire repose sur un équilibre très fragile et qu’il y a beaucoup plus de raisons biologiques et biomécaniques de connaître des échecs que des succès. On ne peut qu’encourager les consœurs et confrères qui placent ou veulent placer des implants à revisiter les écrits du Pr Brånemark. Ils y trouveront beaucoup des règles souvent simples et de bon sens qui, bien comprises, peuvent garantir la pérennité de l’avancée essentielle qu’a été la découverte de l’ostéointégration.

Au final, ce sont les patients qui profitent le plus de ce progrès médical que nous pouvons leur proposer. C’est certainement là qu’était l’une des principales motivations du Pr Brånemark.