Clinic n° 02 du 01/02/2015

 

DENTISTERIE RESTAURATRICE

Stéphane CAZIER*   Lucie Jeanne ANTONIO**   Christian MOUSSALLY***  

L’utilisation de la CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) fait désormais partie de notre pratique quotidienne. Cet outil permet, selon certaines indications, de réaliser, en une seule étape clinique, des restaurations prothétiques directement au fauteuil (CFAO directe).

Bien que son champ d’indications soit large, cette technique reste trop souvent limitée, chez la plupart des praticiens, à la réalisation d’inlays-onlays. La performance des systèmes actuels [1], notamment en matière de précision des systèmes d’acquisition (caméras intra-orales) et d’usinage, offre la possibilité de traiter également des cas exigeants sur le plan esthétique. En effet, plusieurs études montrent que l’empreinte optique est au moins aussi précise (justesse, fiabilité et exactitude) que les empreintes en silicone conventionnelles [2, 3]. De plus, l’arrivée sur le marché dentaire de nouveaux matériaux, notamment les blocs usinables en céramique feldspathique renforcée au disilicate de lithium, offrant un compromis très satisfaisant entre propriétés optiques et résistance mécanique, ouvre le champ des possibilités de traitement par cette technique.

L’objectif de cet article est de souligner les avantages et les possibilités de la CFAO dans le secteur antérieur à travers la présentation d’un cas clinique.

Cas clinique

La patiente, âgée de 32 ans, se présente à la consultation pour une gêne esthétique depuis plusieurs années sur son incisive centrale gauche (fig. 1).

La dent, dépulpée suite à un traumatisme, présente un composite volumineux. Elle est mal positionnée et d’une teinte grisâtre. Malgré des traitements conservateurs par association d’éclaircissements interne et de stratifications composites, le résultat est, dans un premier temps, décevant. On note ainsi une anomalie de teinte, de forme et de position. La récidive de la coloration sur 21 ainsi que le vieillissement et le volume du composite nous orientent alors sur la réalisation d’une restauration indirecte en céramique.

La patiente, n’acceptant pas un éventuel traitement orthodontique, désire une restauration esthétique durable. Une restauration adhésive en céramique est donc réalisée sans alignement parodontal, au cours de la séance, selon la séquence suivante, à l’aide d’un système de CFAO directe.

La préparation est effectuéee avec des fraises diamantées (LD0211000, Komet).

L’état de surface et les limites de préparation sont finis avec de faible granulométrie, des inserts ultrasonores ou des cupules en silicone (fig. 2).

À l’aide de la caméra intra-orale, l’empreinte optique est réalisée. Puis, à partir de celle-ci, un modèle virtuel est obtenu (fig. 3).

Les différents outils du logiciel CAO permettent d’obtenir rapidement la restauration. Dans ce cas clinique, une « copie miroir » (dite biogénérique) de 11 est choisie. Bien que la restauration proposée par l’ordinateur soit très souvent satisfaisante, il s’avère parfois nécessaire, à ce stade, de retravailler à l’aide du logiciel majoritairement la forme et l’inclinaison des axes. De nombreux auteurs relatent en effet l’importance à donner à la morphologie dentaire, et ce davantage qu’à la teinte, pour la qualité de l’intégration esthétique [4, 5].

La pièce est ensuite usinée dans un bloc de céramique renforcée, dans ce cas, au disilicate de lithium répondant aux critères esthétiques et mécaniques de la situation clinique (fig. 4).

Ce matériau existe en plusieurs teintes et translucidités offrant un large choix pour répondre aux exigences esthétiques de la situation clinique.

Même si la prise de teinte initiale correspond à l’A2-A1, nous avons utilisé ici une teinte bleach (BL4) afin de compenser la très faible luminosité du substrat dentaire. La sélection de la teinte est une étape cruciale pour l’intégration finale, mais elle peut être également pondérée par le maquillage, par le travail de la surface et par la colle.

Plusieurs tailles de bloc sont disponibles en fonction du volume nécessaire à la conception de la restauration. En quelques minutes, le praticien obtient la restauration qu’il a fabriquée virtuellement sur ordinateur.

Les détails minutieux de macrogéographie (lignes de transition, anatomie du bord libre, triple orientation de la face vestibulaire) et de microgéographie (concavités, bombés, rugosités) sont réalisés directement en bouche lors de l’essayage (fig. 5 et 6).

Il est en effet plus efficace de passer du temps à effectuer les corrections en bouche au stade précristallisé (avant le « passage au four » de la céramique) plutôt que sur le logiciel CAO* où le praticien est face à un écran en 2 dimensions. Pour cela, il ne faut pas hésiter à majorer légèrement la conception numérique de la pièce prothétique, afin de se laisser « de la marge » pour corriger physiquement la pièce usinée.

C’est également à ce stade qu’est contrôlée l’adaptation cervicale de la restauration (fig. 7).

Une fois les réglages effectués, l’étape suivante consiste à maquiller la pièce prothétique à l’aide de shades et stains. C’est probablement l’étape qui paraît être la plus complexe car elle nécessite de l’expérience sur l’usage des maquillants. En effet, le bloc utilisé étant monochrome, le but de ce maquillage est de jouer sur les contrastes pour donner un effet de profondeur et de translucidité à la céramique. Le praticien cherche à donner une impression de volume pour compenser la structure monobloc de la restauration.

C’est une étape clé ayant pour but de « donner de la vie » à la restauration et, notamment, un aspect qualifié de naturel (biomimétique).

Ainsi, par exemple, l’IPS e.max® CAD Crystall shade 2 apporte de la chaleur à la restauration, tandis que le stains White permet d’individualiser les zones amélaires, notamment les lignes de transition, en augmentant leur effet réflecteur de lumière. Les shades Incisal I1 et I2, alliés au White, personnalisent le bord libre et procurent une sensation de translucidité. Parfois, le stains Creme peut s’envisager pour dessiner des plages ivoire créant un effet trompe-l’œil.

Le grand avantage de la CFAO à ce stade est de pouvoir constamment contrôler son maquillage avec les dents naturelles du patient comme modèle. Ainsi, avec un peu d’expérience, cette étape devient, paradoxalement, la plus simple.

Après le maquillage et avant la cuisson, un glaçage en spray (fig. 8) est utilisé. Il permet, d’une part, de protéger les caractérisations et, d’autre part, de diminuer les porosités et donc les risques de défauts à l’origine de stress dans la céramique.

Une fois la cuisson de la céramique terminée, la pièce prothétique est à nouveau essayée. La teinte est controlée [6]. Et, si nécessaire, des retouches peuvent être de nouveau réalisées. On vérifiera alors l’intégration esthétique (fig. 9).

Après validation esthétique par la patiente, le collage est réalisé sous champ opératoire (fig. 10).

Le traitement de surface de l’intrados de la céramique est effectué traditionnellement : mordançage à l’acide fluorhydrique (concentration et temps en fonction des données du fabricant) puis rinçage dans un bac à ultrasons et application d’un agent de liaison (silane), idéalement polycondensé à 100 °C.

Nous avons utilisé ici une colle duale avec son système adhésif associé, idéale par sa viscocité et son choix de teinte, pour l’assemblage des restaurations esthétiques antérieures (fig. 11 et 12).

Ce serait une erreur de croire que la réalisation est alors terminée. En effet, c’est à ce stade que commence le travail de finition et de polissage, important pour le rendu esthétique. C’est pourquoi un polissage sélectif doit être envisagé, éventuellement lors d’une séance de finition programmée (fig. 13). Ainsi, nous obtenons de meilleurs résultats (fig. 14 et 15).

Conclusion

La CFAO et les biomatériaux usinables connaissent depuis quelques années un développement très important qui leur permet désormais de répondre à de nombreuses situations cliniques.

Les progrès dans les systèmes d’acquisition et de conception, la précision de l’usinage, la performance des nouveaux matériaux, la qualité des produits de maquillage et des matériaux d’assemblage permettent au praticien de soigner son patient en une séance clinique, limitant ainsi l’acte thérapeutique à une unique intervention, élément non négligeable en particulier en cas de dents pulpées.

Par ailleurs, en tant que docteurs en chirurgie dentaire, nous sommes aussi « experts » en anatomie dentaire et sommes a fortiori les premiers à pouvoir répondre au mieux à la demande esthétique de nos patients.

Enfin, la capacité à « gérer » des situations antérieures nécessitant des restaurations en céramique, grâce à ces nouveaux outils, directement au fauteuil, est une réelle avancée.

  • * Conception assistée par ordinateur

  • [1] Bindl A. Rapid progress in digital dentistry thanks to computer technology. Int J Comput Dent 2012;15:3-5.
  • [2] Boitelle P, Fromentin O, Tapie L. Évaluation de l’adaptation des restaurations prothétiques fixées réalisées par CFAO et facteurs de variation : revue de littérature. Cah Prothèses 2013;161:1-17.
  • [3] Güth JF, Keul C, Stimmelmayr M, Beuer F, Edelhoff D. Accuracy of digital models obtained by direct and indirect data capturing. Clin Oral Invest 2013;17:1201-1208.
  • [4] Magne P. No post, no crown : biomimetic restorative dentistry (science, common sense, experience). DVD gIDE 151-00. Paris : Quintessence international, 2010.
  • [5] Magne P, Belser UC. Restaurations adhésives en céramique sur dents antérieures : approche biomimétique. Paris : Quintessence international, 2003.
  • [6] Bazos P, Magne M. Getting it right the first time.Journal of Cosmetic Dentistry 2013;26:37-41