Clinic n° 02 du 01/02/2015

 

EXPERTISE MéDICO-LéGALE

Charles GEORGET*   Aimé CONIGLIARO**   François DURET***  


*Expert en odontologie médico-légale
**5 rue Voltaire
37400 Amboise
georget.charles@wanadoo.fr
***Ingénieur en criminalistique
****Institut de recherche criminelle
de la Gendarmerie nationale
1, boulevard Théophile Sueur
93111 Rosny-sous-Bois cedex
aime.conigliaro@gendarmerie.intérieur.gouv.fr
*****Docteur d’État, professeur honoraire
des Universités (USC-Californie)
******Château de Tarailhan
11 560 Fleury d’Aude
francoisduret@wanadoo.fr

Depuis 10 ans, l’odontologie médico-légale française s’investit dans la recherche de nouvelles techniques d’analyse des traces de morsures. Le passage d’une imagerie en 2 dimensions à une modélisation tridimensionnelle par le biais de la CFAO dentaire permet la restitution exacte des formes et des couleurs des lésions dans le respect des impératifs médico-légaux et une comparaison par superposition des traces avec les arcades dentaires de suspects.

En 1970, F. Duret commence ses travaux et publie en 1973 L’empreinte optique, point de départ d’une recherche importante qui débouchera, 10 ans plus tard, sur la création d’un nouvel outil : les conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) en dentisterie et médecine [1].

Cette approche technique est très vite remarquée par l’ingénieur Bézier, inventeur des courbes et des surfaces portant son nom et couramment utilisées en informatique. En effet, à l’encontre des autres CFAO dans le monde industriel qui captent des données pour les rentrer dans un ordinateur ou qui fabriquent des objets à partir de données tridimensionnelles créées de toutes pièces, la CFAO dentaire introduit un tout nouveau concept médical, celui du système expert et de l’intelligence artificielle. Dans le montage de Duret, l’objet mesuré n’est pas celui qui est usiné, il est complémentaire, voire totalement différent. Les données mesurées sont enrichies d’un flot d’informations issues de l’expérience et de la recherche préexistante.

Dès 1984, C. Georget se rapproche de F. Duret pour connaître les possibilités des prises d’empreinte optique et des modélisations 3D pouvant s’appliquer à des traces de morsures observées sur la peau humaine.

Dans le même temps, B. Hinault prépare une thèse sur Le marquage prothétique informatisé (1986).

Malheureusement, de nombreux paramètres comme le coût de la recherche ou les difficultés techniques associées au développement (miniaturisation, maniabilité…) vont freiner ce fabuleux projet. Pourtant, il ne sera jamais abandonné par C. Georget qui le considéra toujours comme un passage incontournable dans les identifications modernes médico-légales. Il suffisait d’attendre sa démocratisation.

En 2012, il estima que l’objectif était atteint puisque plus de 16 000 cabinets dentaires et laboratoires de prothèses dans le monde étaient équipés de systèmes de prises d’empreinte optique, d’outils de modélisation (CAO) et de machines d’usinage (FAO).

En 2013, C. Georget et A. Conigliaro dressent un cahier des charges qui est soumis à F. Duret. Il apparaît que la précision extrême de l’acquisition d’images, la maniabilité et la miniaturisation de la caméra 3D ainsi que la facilité d’utilisation de l’ensemble du matériel mis en œuvre offrent des perspectives intéressantes pour l’odontologie médico-légale. La CFAO dentaire répond aux exigences d’une reproduction fiable des modèles dentaires numérisés soumis à expertise.

La capacité de l’empreinte optique est alors testée en salle d’autopsie sans avoir recours à la dissection pour pratiquer conjointement des examens dentaires et des relevés de traces de morsures [2].

En 2014, de nouvelles expérimentations sont réalisées avec une caméra française endobuccale, la caméra Condor® d’Aabam. L’utilisation de cet instrument portatif comme moyen d’acquisition de l’imagerie tridimensionnelle des traces de morsures retrouvées sur une victime est validée. La modélisation des maxillaires d’un suspect et la mise en relation des images des traces de morsures avec un maxillaire modélisé sont confirmées.

Le matériel de modélisation

Le matériel utilisé pour la modélisation des arcades dentaires en 3D et pour la modélisation des tissus lésés est unique. Il s’agit d’une caméra utilisant le principe de la stéréoscopie « dynamique » sans contact, sans poudrage et sans lumière structurée, évitant tout maquillage ou toute intervention sur la zone étudiée, ce qui est évidemment capital en analyse médico-légale (fig. 1). Cette méthode est donc appliquée sans risque de modifier l’environnement étudié.

Cette caméra, qui n’est pas plus grosse qu’une brosse à dents (80 g, 21 cm de long et 2,5 cm de diamètre), est reliée à un ordinateur portable MSI (Icore 7) standard (USB 3) équipé d’un logiciel de lecture 3D et de conversion analogique digitale propre à l’application. Ce même logiciel de reconstruction original et révolutionnaire permet un affichage de l’empreinte optique en temps réel, une reconstruction des données et leur stockage.

Impératifs médico-légaux

Le fait d’utiliser une caméra d’empreinte optique effectuant des relevés en 3D est particulièrement intéressant car cette nouvelle méthode répond aux quatre points essentiels devant être respectés dans le cadre des expertises de traces de morsures, à savoir :

• la restitution et une mesure exacte de la forme de l’objet modélisé ;

• la restitution des couleurs de l’objet réel par l’objet virtuel ;

• l’existence d’une superposition possible de deux objets virtuels (morsure et arcade) ;

• le respect de l’échelle car rappelons qu’il ne s’agit pas d’une simple méthode de visualisation mais d’une réelle analyse métrologique.

Restitution exacte des formes

Actuellement, l’obtention d’une image 2D exploitable de la trace de la morsure est assez complexe car elle est liée à des impératifs précis de prises de vue pour restituer une image analysable, sans distorsion ou avec une distorsion minimale.

Pour ce faire, l’objectif de l’appareil photographique et la lésion doivent impérativement respecter l’orthogonalité qui est validée par la présence d’une règle conçue par l’American Board of Forensic Odontology (règle ABFO n° 2). En forme de L, elle assure l’exactitude des mesures dans les axes x et y. Elle sert également à corriger les erreurs de distorsion de l’image dues à une mauvaise angulation de l’objectif photographique [3, 4].

Malheureusement, dans la méthode 2D, les surfaces à étudier sont rarement planes et les courbes génèrent une imagerie constamment soumise à des distorsions. Certes, ces dernières sont plus ou moins rectifiées par l’utilisation d’un logiciel de traitement d’images associé aux repères de la règle ABFO n° 2, mais la correction des erreurs reste approximative et l’étude de la forme de la trace qui s’ensuit est affectée. Nous admettons que, pour ces différentes raisons, l’image 2D reste mal adaptée à l’étude des traces de morsures (fig. 2 à 5).

L’image tridimensionnelle est toujours apparue comme étant une solution particulièrement intéressante.

La caméra optique Condor® est extrêmement maniable et assure une analyse métrologique précise avec une résolution d’une vingtaine de microns et une précision s’échelonnant entre 10 et 50 µm suivant la focale (grandissement de l’image). Cette analyse présente l’avantage d’être en temps réel et d’éviter toute approximation grâce à son image 3D métrique.

Restitution des couleurs

Lors de l’étude des traces de morsures, il est primordial de travailler à partir de couleurs réputées réelles car les contusions, les abrasions et les lésions varient en couleur au fur et à mesure que l’hémoglobine se dégrade. Sur la victime vivante, le changement de couleur permet de dater le moment de l’agression par rapport au moment de l’examen médico-légal. Chez la victime décédée, cette évolution, qui s’arrête au moment de la mort, date l’agression si l’instant de la mort est déterminé.

L’image numérique utilise le principe de la synthèse additive. Comme nous le disions, les couleurs enregistrées sont réputées réelles. Selon le mode dit RVB, la lumière blanche est constituée des trois couleurs primaires – rouge, vert et bleu – qui se superposent lorsque leur intensité est la plus forte et leurs niveaux sont identiques. À l’inverse, l’absence totale de couleur primaire donne le noir. Ce mode, applicable aussi bien à l’image numérique photographique qu’à une caméra optique ou à un écran d’ordinateur, retranscrit une image aux couleurs d’autant plus fiables que le nombre de bits utilisés est élevé.

Dans le codage 8 bits, il existe 256 niveaux possibles pour chaque couleur primaire. Pour le rouge, R = 255, V = 0, B = 0 ; pour le vert, R = 0, V = 255, B = 0 et, pour le bleu, R = 0, V = 0, B = 255. Le niveau 0 pour lequel R = 0, V = 0, B = 0 représente l’absence de couleur.

Ce codage 8 bits utilisé pour chaque pixel restitue 256 x 256 x 256 couleurs, soit plus de 16,77 millions de couleurs [5].

Bien que les appareils photographiques numériques présentent aujourd’hui un haut niveau technique, des variations non dépendantes du matériel existent. Elles induisent de fausses couleurs. Il en est ainsi de l’éclairage environnant selon qu’il est naturel ou artificiel (fig. 6 et 7). Les photographies normalement exposées présentent elles aussi des couleurs pouvant varier selon les choix de réglages de l’opérateur : éclairage, mode (fig. 8 et 9). Pour contrecarrer ces erreurs, une échelle colorimétrique doit être visible sur la photographie.

La caméra optique Condor®, ne requérant pas l’utilisation d’une projection de poudre, supprime la spécularisation des objets mesurés ; l’objet modélisé est donc en couleur. L’obtention des couleurs de la trace de morsure modélisée est indépendante de l’éclairage extérieur et de l’opérateur. La constance des couleurs réputées réelles n’oblige donc pas à positionner une échelle colorimétrique près de la lésion et le traitement est directement appliqué à partir des couleurs propres de l’objet, au niveau de chaque pixel. La couleur est donc « vraie ».

Respect de l’échelle

Lors de la prise de vue à main levée avec un appareil photographique, il est difficile de réaliser une série d’images à la même échelle. L’appareil photographique muni d’un support facilite des prises de vue à la même distance mais donne seulement des valeurs d’échelle approchées. L’utilisation d’une règle ABFO n° 2 est donc nécessaire pour remettre à l’échelle l’ensemble des images utiles à l’expertise. La mise au rapport 1/1 est réalisée par l’intermédiaire de logiciels de traitement d’images [6] (fig. 10 à 13).

La caméra optique Condor® utilisée pour la réalisation d’une imagerie à visée prothétique possède un système d’échelle 1/1 universel puisque le secteur dentaire réel et l’image de la zone de travail virtuelle doivent impérativement être à la même échelle pour permettre la fabrication de la prothèse. Cette échelle intégrée exonère donc de l’utilisation d’une règle souvent imprécise. En outre, aucune calibration ni aucun angle spécifique de prise de vue ou de distance objet/caméra ne sont requis durant chaque manipulation car tous les éléments hardwares sont précalibrés et intégrés dans les softwares de conversion analogique digitale. Pour ce faire, chaque caméra est vérifiée en contrôle de sortie afin que ces paramètres fondamentaux liés aux hardwares dans toute démarche métrologique soient en corrélation avec les softwares appliqués.

Superposition de deux objets virtuels

Depuis quelques années, les odontologistes médico-légaux ont adopté l’utilisation des outils de Photoshop® pour créer les calques des arcades dentaires d’un suspect et pour les superposer aux traces de morsures observées sur une victime. Ces overlays, ou calques informatisés, évitent les biais qui existent avec les dessins réalisés manuellement mais leur conception demande un travail important de mise en œuvre. La superposition d’un calque avec une image est une technique éprouvée et mérite d’être conservée [7, 8].

L’utilisation de la caméra Condor® montre que le temps de préparation des overlays est considérablement diminué du fait de l’identité d’échelle au rapport 1/1 du support des traces de morsures et de l’overlay. Les coupes virtuelles des dents présentes sur les arcades dentaires sont automatisées et réalisables à chaque niveau de la dent et pour toute inclinaison choisie par l’opérateur.

La fusion des deux images modélisées, que ce soit au niveau des nuages de points ou des surfaces modélisées, est une application standard de tout logiciel de modélisation dentaire. Décrit par Duret la première fois en 1982 pour l’analyse occlusale statique, ce logiciel est directement applicable à l’étude des morsures, l’une des arcades étant remplacée par la surface de la peau de la victime. Une analyse booléenne permet d’étudier la pénétration exacte et les analyses dynamiques du mouvement peuvent donner des informations importantes sur le mode opératoire de l’agresseur.

En cela, cette nouvelle approche peut ouvrir un nouveau champ d’application en 4 dimensions : les valeurs spatiales 3D de l’empreinte (X, Y et Z) et le temps (t), expression du mouvement des dents dans l’empreinte de la morsure.

Conclusion

L’imagerie en 2 dimensions, telle qu’elle existe actuellement, offre des vues fixées une fois pour toutes par l’opérateur lors de la prise de vue. Ces images sont susceptibles de comporter des erreurs de distorsion et de mauvaise position. Partiellement corrigées par un travail de longue haleine et des moyens informatiques relativement complexes, ces erreurs représentent parfois de véritables freins à la manifestation de la vérité. Les échelles, systématiquement rétablies pour réaliser une étude comparative à l’échelle 1/1, alourdissent la mise en œuvre de l’expertise. De même, les couleurs, dont l’importance n’est pas discutable à certains niveaux de l’analyse, sont aussi très souvent dénaturées. Elles diffèrent selon la position ou l’éclairage considéré.

Toutes ces constatations ont mené à l’établissement d’un cahier des charges pour éliminer au mieux les erreurs qui perturbent quelquefois lourdement l’exploitation des données.

Dans cette étude, l’imagerie en 3 dimensions a semblé convenir pour améliorer ou résoudre ces problèmes. Il a été retenu de l’expérimentation la facilité d’utilisation de la caméra intrabuccale pour enregistrer l’image des lésions. Il a été constaté l’élimination des distorsions et des couleurs erronées. Le système d’échelle 1/1 universel, déterminant pour la gestion de la superposition de deux objets virtuels, a montré une augmentation de la précision et une diminution du temps d’analyse.

Enfin, la troisième dimension rend possibles les déplacements et les rotations de l’objet modélisé et multiplie ainsi le choix des images. Mais la décision ultime dans ce choix reste l’apanage de l’expert (fig. 14 à 17).

  • [1] Duret F. Empreinte optique. DDS n° 273. Lyon : faculté d’odontologie, université Claude-Bernard, 1973.
  • [2] Georget C, Conigliaro A, Duret F. Post mortem dental examination : 3D modeling of dental arches. American Academy of Forensic Sciences 66th annual scientific meeting – Seattle proceedings. Colorado Spring : AAFS, 2014.
  • [3] Guidelines for bite mark analysis. American Board of Forensic Odontology Inc. J Am Dent Assoc 1986;112:383-386.
  • [4] Dorion RBJ. The comparison. In : Dorion RBJ (ed). Bitemark evidence. A color atlas and text. New York : CRC Press, 2011 : 241-281
  • [5] Golden GS, Wright FD. Photography. In : Dorion RBJ (ed). Bitemark evidence. New York : Marcel Dekker, 2005 : 87-168.
  • [6] Dailey JC. The comparison. In : Dorion RBJ (ed). Bitemark evidence. New York : Marcel Dekker, 2005 : 423-452.
  • [7] Martin-de-las-Heras S, Tafur D. Comparison of simulated human dermal bitemarks possessing three-dimensional attributes to suspected biters using a proprietary three-dimensional comparison. Forensic Sci Int 2009;190:33-37.
  • [8] Georget C, Conigliaro A, Schuliar Y. Contribution of new technologies to the bitemarks study. American Academy of Forensic Sciences 63rd annual scientific meeting – Chicago proceedings 2011. Colorado Spring : AAFS, 2011.