ENDO… AUTREMENT
Maître de conférence en sciences biologiques et endodontie (université Paris
Diderot-Paris 7)Praticien hospitalier (groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière)Directeur du diplôme universitaire
européen d’endodontologie clinique
(université Paris Diderot-Paris 7)
Le traitement de la dent immature par revascularisation est de plus en plus proposé comme une option thérapeutique intéressante. Depuis un premier article publié dans ces colonnes en 2010 [1], les nombreuses publications scientifiques et cliniques ont permis de mieux comprendre les processus de cicatrisation impliqués, les résultats obtenus et escomptés et, surtout, d’avoir un recul clinique suffisant pour considérer cette approche...
Le traitement de la dent immature par revascularisation est de plus en plus proposé comme une option thérapeutique intéressante. Depuis un premier article publié dans ces colonnes en 2010 [1], les nombreuses publications scientifiques et cliniques ont permis de mieux comprendre les processus de cicatrisation impliqués, les résultats obtenus et escomptés et, surtout, d’avoir un recul clinique suffisant pour considérer cette approche thérapeutique comme une alternative recevable pour le traitement de la dent immature nécrosée et infectée.
Depuis l’apparition des premiers cas cliniques en 2001, la désinfection du canal de la dent à traiter est un problème récurrent.
Si l’hypochlorite de sodium est considéré à juste titre comme la solution d’irrigation de choix pour le traitement endodontique conventionnel, la contamination de la dentine par le chlore contenu dans cette solution a longtemps fait penser qu’il ne pouvait être utilisé pour décontaminer un canal amené à recevoir un tissu biologique pour son obturation. En effet, malgré un rinçage au sérum physiologique, la toxicité sur les cellules de la dentine ayant été en contact avec de l’hypochlorite a été démontrée.
Des travaux récents [2] ont confirmé cette toxicité mais ont également démontré que cet effet délétère pouvait être compensé par un rinçage du canal à l’EDTA. L’effet de cette solution serait donc double : d’une part, rendre la dentine compatible avec un tissu conjonctif régénéré et, d’autre part, permettre la libération de facteurs de croissance contenus dans la dentine pour stimuler le processus de régénération une fois les cellules souches recrutées dans le canal [3]. Si l’hypochlorite de sodium peut être utilisé dans le protocole de désinfection, une faible concentration (1,5 %) de la solution est néanmoins recommandée.
La médication intracanalaire entre les deux séances de traitement reste pour le moment largement recommandée. Dès la publication des premiers cas cliniques en 2001 [4], la pâte triple antibiotique d’Hoshino associant métronidazole, ciprofloxacine et minocycline [5] a été préconisée. Si les effets sur la désinfection du canal demeurent incontestables, un certain nombre de problèmes directs et indirects ont progressivement incité les cliniciens à abandonner cette médication temporaire, à savoir :
• la coloration intense de la dentine [6] et les risques encourus, non négligeables, par l’utilisation de médicaments de la famille des tétracyclines sur des patients généralement jeunes ;
• les problèmes médico-légaux relatifs au changement de destination de l’utilisation d’antibiotiques destinés à un usage par voie générale pour une application topique ;
• le problème de la concentration des antibiotiques utilisés en préparation extemporanée. Hoshino et al. [5] ont démontré qu’une concentration de 100 µg/ml de leur pâte antibiotique était largement suffisante pour désinfecter un canal (condition expérimentale). De plus, la fenêtre thérapeutique d’un antibiotique utilisée par voie orale est comprise entre 0,001 et 0,01 mg/ml. La préparation d’une pâte antibiotique à partir de comprimés du commerce permet d’obtenir une pâte avec une concentration de 1 g/ml, soit une concentration 1 million de fois supérieure à celle de la fenêtre thérapeutique.
Une étude récente menée par l’équipe de l’université de San Antonio (États-Unis) a évalué le taux de survie des cellules souches de la papille apicale mises en contact direct avec des médications antibiotiques. L’influence de la concentration de la médication a été confirmée, démontrant un taux de survie nul des cellules en présence d’une médication concentrée à 1 g/l et de 60 % avec une concentration plus faible de 1 mg/ml après 7 jours de culture. Le second résultat intéressant de cette étude est le fait que l’hydroxyde de calcium, initialement utilisé comme moyen de contrôle négatif, non seulement n’a pas d’effet délétère sur les cellules (quelle que soit la concentration de la médication) mais, en plus, présente un effet stimulateur sur la prolifération avec un effet optimal à une concentration de 1 mg/ml.
Pour toutes ces raisons, l’hydroxyde de calcium peut être considéré à ce jour comme la médication de choix à utiliser entre les deux séances de traitement de revascularisation pour désinfecter le canal.
Les résultats cliniques et biologiques obtenus avec ce traitement sont aujourd’hui très discutés. Afin de comprendre l’objet de la discussion, il convient de définir clairement les notions de régénération et de réparation.
Dans le processus de réparation, le tissu manquant ou lésé est remplacé par un autre tissu mais la fonction biologique n’est pas restaurée, contrairement à ce qui se passe dans le cas de la régénération.
Les premiers cas cliniques publiés (et quelques suivants) montraient la reprise de la radiculogenèse, voire une apexogenèse et un épaississement des parois radiculaires [7]. Ces faits ont laissé penser alors que ce traitement permettrait une régénération ad integrum du tissu pulpaire avec une activité dentinogénétique.
Depuis, plusieurs analyses histologiques sur dents traitées puis extraites démontrent assez clairement que le tissu régénéré est proche d’un tissu parodontal, à savoir un tissu du type ostéoïde à l’intérieur du canal qui reste séparé des parois radiculaires par un ligament néoformé.
Après quelques observations histologiques classiques sur l’animal [8] puis sur l’homme [9], des études plus sophistiquées ont mis en évidence l’expression d’une protéine connue pour être exprimée dans le ligament, l’ostéopontine, à l’interface dentine/tissu régénéré, ainsi que l’absence d’activité ostéoclastique à cette même interface [10]. Cette dernière donnée est cliniquement importante car elle confirme la protection de la dentine contre tout risque de résorption qui pourrait exister en cas de contact direct entre les deux structures.
L’ensemble de ces résultats histologiques corroborent nos observations cliniques publiées ou personnelles. Le recul clinique de plusieurs années et la collection d’images permettent de confirmer l’hypothèse que le tissu régénéré serait finalement plus de nature parodontale que pulpaire.
Cela étant, doit-on considérer l’issue de ces thérapeutiques comme des échecs à partir du moment où l’objectif initial n’est pas rempli ? Si l’objectif du traitement est d’obtenir une guérison des lésions osseuses inflammatoires associées aux pathologies endodontiques, nous pouvons considérer, à partir de nos données personnelles (non publiées), que le succès est proche de 100 %. En revanche, si l’on associe le succès à la régénération d’un tissu pulpaire, qui serait indirectement objectivable par une reprise de l’activité dentinogénétique (apexogenèse, épaississement des parois radiculaires), le taux de réussite devient très faible (fig. 1 et 2).
Finalement, la notion de réparation/régénération devient un problème de sémantique qui a d’ores et déjà été très discuté en parodontologie il y a quelques années. Si la notion de régénération est associée à une reformation du tissu ad integrum, il n’est alors pas convenable de parler de régénération dans le cas présent. Si elle est associée à une reformation d’un tissu biologique dans un site vidé de son contenu, ce tissu pouvant être conjonctif, voire minéral, alors il est possible de parler de technique de régénération endodontique [11].
Les processus biologiques impliqués dans la cicatrisation et la régénération/réparation ne sont pas encore clairement définis. Les premières hypothèses impliquaient le recrutement de cellules souches de la papille apicale (les SCAP : stem cells of apical papilla), cellules dont la niche se trouve au sein d’une matrice extracellulaire très dense et peu vascularisée. Cette spécificité topographique permet d’expliquer comment les cellules survivent malgré un environnement très agressif et délétère. La destruction de cette papille par la manœuvre instrumentale permettrait de les libérer et de les inciter à remonter dans le canal avec le flux sanguin afin de recoloniser l’espace vidé de son contenu par l’infection.
Si cette hypothèse était retenue, alors la technique de revascularisation serait limitée au traitement des dents immatures sans possibilité d’élargir les indications aux dents matures, à apex fermé.
La récente découverte de la véritable nature du tissu régénéré au sein du canal incite peu à peu à revisiter cette hypothèse. Nous en proposons aujourd’hui une nouvelle, fondée sur l’observation des résultats obtenus et sur une réflexion très clinique, sans pour autant avoir de preuve scientifique formelle qui permette pour le moment de la justifier. Pour énoncer cette hypothèse, il suffit de considérer le processus de cicatrisation osseuse après une chirurgie apicale. En effet, après curetage de l’alvéole et obturation a retro du canal, un caillot sanguin est reformé au sein de la crypte osseuse. Ce caillot se comporte alors d’une part comme une matrice (scaffold) naturelle de cicatrisation, mais également comme un concentré de facteurs de croissance nécessaire au processus de cicatrisation. Le suivi du patient permet de confirmer la reformation osseuse de l’espace vide en supposant que celui-ci est formé d’un os identique au précédent (sans pour autant en avoir de preuve formelle sur le plan biologique). Dans ce cas précis, c’est bien le caillot qui joue un rôle primordial d’ostéoconduction et d’induction.
Dans la technique de revascularisation, on ne fait finalement qu’étendre la formation du caillot au-delà de la crypte, au sein du canal lui-même. Le processus de cicatrisation/régénération, s’il est guidé par le caillot lui-même, s’élargit donc au-delà de la seule crypte osseuse et envahit le canal traité (fig. 3).
Cette hypothèse est doublement intéressante. Elle peut facilement être appréhendée car, d’une part, elle s’accommode aux connaissances déjà disponibles sur les processus de cicatrisation plus connus et conventionnels, et, d’autre part, elle sous-entend le recrutement de cellules autres que les SCAP. En effet, si ces dernières ont une aptitude de différenciation vers divers phénotypes (pulpaire et parodontal), d’autres cellules souches (d’origines variées telles qu’osseuses, de la voie circulante, du ligament alvéolo-dentaire) pourraient également être considérées comme des actrices de la régénération. Dans ce cas, la niche de la papille apicale ne serait plus indispensable et les indications de la technique s’en trouveraient élargies, notamment, à la dent mature. Si quelques publications rapportent la description de la technique sur dent mature [12], il convient cependant de garder à l’esprit qu’aucune preuve scientifique solide ne permet, à ce jour, de confirmer cette seconde hypothèse et encore moins d’étendre les indications de la technique. De plus amples recherches sont nécessaires et des résultats convergents permettront alors de reposer la question de l’intérêt de la technique et de ses indications.
La seule chose qui a été confirmée à ce jour sur le plan clinique est la présence de cellules souches au sein du canal traité par revascularisation, et avec une densité notable, voire importante [13]. Néanmoins, aucune information n’est actuellement disponible sur la nature précise de ces cellules ni sur leur niche d’origine.
La décision d’intégrer une nouvelle thérapeutique dans son exercice quotidien est toujours délicate. La peur de l’inconnu, le manque de preuve scientifique, la validation partielle des hypothèses, l’incertitude quant aux succès attendus sont notamment des freins justifiés et finalement nécessaires. En opposition, et dans ce cas précis, l’intérêt d’intégrer une thérapeutique plus biologique à des approches purement mécanistes de l’endodontie justifie le fait de se poser la question.
La littérature scientifique sur ce sujet est finalement assez étoffée. Une simple recherche sur un moteur de recherche adapté a fait ressortir, le jour de la rédaction de ce document, 113 références. Néanmoins, hormis les publications qualifiées de « recherche fondamentale », le niveau de preuve atteint par les publications cliniques reste faible. La totalité des documents cliniques relatent des « rapports de cas », voire des « séries de cas ». On notera la publication de quelques textes comparant des approches un peu différentes – revascularisation versus utilisation de PRF (platelet rich fibrin) [14] –, mais avec des groupes trop faibles pour pouvoir en tirer des conclusions formelles sur la supériorité d’une technique par rapport à l’autre.
Des auteurs se sont intéressés très récemment au niveau de preuve de l’endodontie régénératrice [15]. Leur conclusion va dans le même sens quant à la « qualité » des publications. Néanmoins, ils concluent leur document par la phrase suivante : « Cependant, les preuves sont dorénavant suffisantes pour indéniablement autoriser les cliniciens à proposer cette thérapeutique en toute sécurité à leur patient. »
Les nombreuses interrogations qui persistent à ce jour sur les processus biologiques engagés et les objectifs attendus doivent nous inciter à limiter ces traitements aux patients avertis et capables de s’engager à effectuer une surveillance régulière. En tant que praticiens, nous devons nous engager à rester en permanence en contact avec les données cliniques et médicales publiées sur le sujet. Comme toute nouvelle thérapeutique, elle sera en constante évolution dans les années à venir. Les objectifs s’affineront, comme cela a été le cas avec les médications intracanalaires récemment. Cette évolution imposera une adaptabilité de chaque praticien décidé à appliquer ce type de traitement et l’acceptation d’un revirement des discours. L’adaptation impose parfois la contradiction. Mais cette contradiction et les changements d’opinion sont louables et nécessaires dans la mesure où les données scientifiques l’imposent.
Les techniques de régénération en odontologie sont en pleine évolution et ont le vent en poupe. L’endodontie profite des évolutions biotechnologiques et les applications se précisent petit à petit. Comme pour toute innovation thérapeutique, les données s’affinent, les hypothèses évoluent, les suivis à moyen et long termes permettent de mieux cerner nos objectifs. Le but de cet article est de faire le point sur la technique de revascularisation en 2015.