Clinic n° 02 du 01/02/2015

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie
et d’un master d’éthique médicale et biologique

Depuis 2 ans et demi, la profession subit les attaques répétées de la part d’un gouvernement à la botte de la course au profit des assureurs - ce qui n’a rien de libéral attendu la situation d’oligopole et la critique que la théorie économique en fait. Les arguments employés finissent cependant par devenir risibles à qui prend de la hauteur. Et je ne crois pas impossible de lutter en soignant la relation de confiance qui nous unit aux patients et la qualité des soins. Mais...


Depuis 2 ans et demi, la profession subit les attaques répétées de la part d’un gouvernement à la botte de la course au profit des assureurs - ce qui n’a rien de libéral attendu la situation d’oligopole et la critique que la théorie économique en fait. Les arguments employés finissent cependant par devenir risibles à qui prend de la hauteur. Et je ne crois pas impossible de lutter en soignant la relation de confiance qui nous unit aux patients et la qualité des soins. Mais cela ne suffit pas. Et non. Car il est une bataille que nombre d’entre nous ont déjà perdue. Une bataille capitale, stratégique. Celle du centre de contrôle.

Cette bataille, c’est celle des mots. Riez, mais cette bataille perdue, c’est le sort de la guerre qui bascule. Prenez donc bien ce qui suit au sérieux.

En politique on appelle cela les « éléments de langage ». Ce sont les mots bien choisis par les conseillers des puissants et qu’il faut prononcer face à une situation déterminée. Ainsi, lorsque la police de l’État « assassine » un manifestant, on dira : « Je compatis mais rien n’est prouvé. » Lorsqu’un nuage radioactif traverse le pays par l’est, on dira : « Il a tourné à droite en voyant le Rhin. » Pour des exemples supplémentaires, lisez les journaux quotidiens et suivez l’actualité récente.

Ce n’est ni plus ni moins que de la propagande. Or, utiliser le vocabulaire falsifié et manipulateur de l’ennemi, c’est lui donner raison. Souvenez-vous qu’on appelait, en 1945, « résistants », les mêmes qu’on appelait « terroristes » en 1941. Alors rendez-vous tout de suite ou bien faites preuve de hauteur et d’imagination.

Pour lancer le jeu, voici trois exemples.

Dans la classification commune des actes médicaux (CCAM) il est indiqué que l’on « pose » une prothèse. Mais depuis quand « pose » t-on des prothèses ? On pose ses chaussures dans l’entrée puis les clefs sur la table. On pose, souvent, la prothèse sur le plan de travail ou dans un récipient ad hoc. On ne pose pas une béquille que je sache. Vous ne sentez pas, dans ce terme, le vent glacé de la dissociation « acte de conseil-conception de la prothèse par le prothésiste au choix du patient-pose et adaptation d’un machin que l’on n’a pas voulu » ? Allez, on assemble une prothèse fixe au pire.

Il en va de même avec le mot « dépassement ». Les actes dont on parle à ce propos ont des honoraires libres. Il n’y a donc aucun dépassement. Si un patient parle de « dépassement », faites mine de ne pas comprendre. Faites-le répéter. Dites ne pas comprendre ce mot. Peut-être veut-il parler des honoraires « libres » ? Mais notre pays aime-t-il tant que ça la liberté ?

Enfin, la fameuse différence entre « soins » et « prothèses ». De grâce ! C’est une distinction administrative. Purement et simplement administrative. Dans le monde réel, il y a un continuum thérapeutique : des actes dont on a besoin en fonction du diagnostic et du pronostic, selon l’importance de la lésion et la ?situation dans la bouche par rapport à l’apparence et à la fonction. Cette idée aide beaucoup à recentrer le débat sur le juste soin et non les remboursements.

Chères consœurs, chers confrères, amusez-vous un peu, prenez de la hauteur (l’air y est meilleur) et - surtout ! - n’utilisez pas le vocabulaire des « éléments de langage ». Il y en a encore certainement plein à découvrir. À vous de jouer.