DERMATOLOGIE BUCCALE
Sarah LEMOINE* Benoît LENFANT** Kevin HAESE*** Élisabeth CASSAGNAU**** Philippe LESCLOUS***** Saïd KIMAKHE******
Un homme de 23 ans consulte dans le cadre d’un bilan bucco-dentaire de routine. À l’interrogatoire, ce patient ne rapporte aucun antécédent médical ou chirurgical. Il est fumeur : 1 paquet de cigarettes par jour depuis 5 ans. L’examen clinique exobuccal ne révèle rien de particulier. L’examen endobuccal dentaire retrouve la présence de plusieurs lésions carieuses nécessitant des soins conservateurs. L’observation clinique des muqueuses met en évidence une lésion isolée au niveau du palais en regard de la 12. Il s’agit d’une lésion arrondie, pédiculée, présente depuis plusieurs mois selon le patient, indolore et d’aspect papillomateux. D’environ 1 cm de diamètre, cette lésion est légèrement ferme. Le patient rapporte quelques rares épisodes de saignement à la stimulation mécanique. La muqueuse avoisinante est d’aspect normal (fig. 1).
Le diagnostic s’oriente d’emblée vers une lésion papillomateuse bénigne, compte tenu de l’aspect exophytique de la lésion, de sa localisation palatine, de son caractère indolore et du jeune âge du patient.
Toutefois, d’autres orientations diagnostiques peuvent être avancées, notamment les lésions papillomateuses exophytiques à human papilloma virus (HPV), dont la verrue vulgaire et le condylome acuminé. La verrue vulgaire se retrouve volontiers sur les mains et la face dorsale des doigts et au niveau de la cavité buccale. Elle siège principalement sur les lèvres et le palais. Cette double localisation cutanéo-muqueuse s’expliquerait par l’inoculation main-bouche. Le condylome acuminé correspond à des verrues vénériennes préférentiellement localisées dans la région ano-génitale. Au niveau de la muqueuse buccale, il siège majoritairement sur le palais et, dans une moindre mesure, sur la face dorsale de la langue. Il se transmet sexuellement ou par auto-inoculation. Un carcinome épidermoïde ne peut être écarté d’emblée, surtout chez un patient fumeur. Cependant, aucun signe usuel de malignité n’est retrouvé (lésion pédiculée, absence d’adénopathie, faible évolutivité selon le patient).
L’ablation chirurgicale de la lésion sous anesthésie locale est d’emblée proposée au patient. Son exérèse complète est réalisée, le site est suturé et la pièce opératoire est envoyée au service d’anatomopathologie pour préciser sa nature histologique (fig. 2 et 3).
Le compte rendu de cet examen (coloration HES (hématoxyline éosine safran), grossissement 25 (fig. 4) coloration PAS (periodic acid schiff), grossissement 200 (fig. 5)). rapporte la description suivante : prélèvement lésionnel de type papillome caractérisé par un épithélium malpighien hyperplasique, papillomateux sans dysplasie. La surface montre une maturation de cornée.
De nombreux spores et filaments mycéliens en surface témoignent d’une surinfection candidosique.
En fin de compte, il s’agit d’un papillome sans argument anatomopathologique en faveur d’une lésion d’origine virale de type HPV.
Lors de la consultation de contrôle à 1 mois postopératoire, on observe une cicatrisation parfaite et une absence de récidive précoce (fig. 6). Un suivi actif semestriel est organisé et un sevrage tabagique est demandé. Il est en outre conseillé au patient de réaliser une autosurveillance et de consulter en cas de récidive.
Le papillome est une lésion exophytique qui s’observe le plus souvent chez l’adulte jeune vers la trentaine mais aussi chez l’enfant. Il intéresse avec la même fréquence les deux sexes et s’observe essentiellement sur les muqueuses palatine, linguale (face dorsale), labiale et gingivale. C’est une lésion unique, indolore et pédiculée, d’une taille maximale d’environ 1 cm de diamètre. Elle présente à sa surface des projections papillaires multicolores (rouges, roses, blanches). Sa consistance peut être dure ou molle selon le degré de kératinisation épithéliale.
Le papillome est majoritairement provoqué par des virus à ADN : les HPV. Ces virus se transmettent par contact direct. Il en existe une centaine de types identifiés.
La classification est fonction de leur capacité à induire une transformation maligne des cellules infectées : les HPV à faible risque (2, 4, 6 et 11 par exemple) et les HPV à haut risque (18 et 31 par exemple).
Si la voie de transmission est principalement bucco-génitale, la présence de ces lésions peut être en rapport avec une contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et doit donc faire penser à la réalisation d’une sérologie VIH.
L’excision chirurgicale est la technique la plus usuelle. Elle doit inclure la base de l’implantation pour éviter une récidive. Toutefois, une électrocoagulation ou une cryothérapie de la lésion peut aussi être proposée.
Kuffer R, Lombardi T, Husson-Bui C, Courrier B, Samson J. La muqueuse buccale : de la clinique au traitement. Paris : Med’Com, 2009.
• Les lésions papillomateuses sont des tumeurs bénignes épithéliales de la muqueuse buccale.
• Elles sont généralement exophytiques, c’est-à-dire se développant au-dessus du plan de la muqueuse voisine.
• En présence de papillome, quelle que soit son origine, l’exérèse chirurgicale complète est indiquée car le risque de transformation maligne est toujours considéré comme une éventualité.
• Une surveillance clinique à long terme doit être instaurée.