PROTHÈSE
Grégoire CHEVALIER* Selma CHERKAOUI** Margaux HINET*** Roger DETIENVILLE****
*Diplôme hospitalier de parodontie
et d’implantologie
(CHU Albert-Chenevier, Créteil)
Pratique privée, Paris
**Diplôme hospitalier de parodontie
et d’implantologie
(CHU Albert-Chenevier, Créteil)
Diplôme universitaire de pathologie de la
muqueuse buccale (université Paris VI)
Pratique privée, Paris
***Assistante hospitalo-universitaire
en prothèse (Paris V)
Pratique privée, Paris
****MCU, université Paris V
Ex-responsable du diplôme universitaire de parodontologie (Paris V)
Pratique privée, Paris
Ce rapport de cas propose une solution originale pour préparer un maxillaire présentant 6 implants inutilisables avant la réalisation d’une prothèse amovible complète. La procédure chirurgicale décrite est une implantotomie dont le principe est de couper les implants sous le niveau de la crête osseuse, à la manière d’une coronectomie. Cette option thérapeutique préserve la crête et améliore ainsi le pronostic de la prothèse amovible complète.
Un patient de 60 ans est adressé à notre consultation. Il présente un maxillaire totalement édenté, avec 6 implants et 3 racines dentaires résiduelles. Sa requête est de retrouver une denture maxillaire, même amovible. La chirurgie implantaire a été pratiquée 6 ans auparavant, à Budapest, où le patient s’est rendu pour des raisons économiques. Lors de son retour en France après la chirurgie, on lui a diagnostiqué un lymphome.
Il est ainsi resté édenté au maxillaire pendant le traitement de son lymphome. Lorsqu’il consulte, il est en rémission et son oncologue autorise tout traitement de chirurgie dentaire.
L’examen clinique révèle 6 émergences implantaires et 3 racines résiduelles (fig. 1). Grâce à ces implants et à ces racines, le maxillaire est très peu résorbé. Trois implants sont positionnés en lieu et place des dents 22, 23 et 24, deux sont positionnés en 12 et 13 et le dernier en 17. Les racines résiduelles correspondent aux dents 11, 21 et 14. Du tissu kératinisé est présent autour de toutes les émergences implantaires et dentaires et le biotype parodontal est épais, mais les implants présentent une inflammation gingivale ainsi qu’un saignement au sondage. Un cone-beam du maxillaire a été prescrit et analysé (fig. 2 et 3) : chaque implant présente une péri-implantite, la perte osseuse marginale est comprise entre 20 et 50 % de la longueur des implants. De plus, l’implant remplaçant la dent 17 est intrasinusal, avec un épaississement important de la membrane de Schneider.
La première option consiste à terminer le travail qui avait été commencé en réalisant un bridge implanto-porté. Mais la mise en fonction des implants est impossible en l’état à cause de leur répartition inadéquate et de l’importante perte osseuse. La perte osseuse marginale autour des implants excède les critères de succès d’Albrektsson [1] : une résorption osseuse normale n’excède pas 1 mm durant la première année et 0,2 mm par an les années suivantes. En outre, 20 à 50 % de perte osseuse définissent une péri-implantite. Celle-ci devrait être traitée avant la mise en fonction des implants. Malheureusement, le traitement des péri-implantites est ici rendu difficile par la morphologie osseuse : pour pouvoir combler les défauts osseux autour des implants, il faudrait que l’alvéolyte soit verticale et non horizontale [3], ce qui n’est pas le cas. Concernant la répartition des implants, la situation n’est pas plus favorable pour réaliser un bridge implanto-porté. Des débats subsistent aujourd’hui dans la communauté scientifique sur le nombre et la répartition des implants nécessaires pour traiter un maxillaire totalement édenté [4] : si le choix de poser 6 implants semble consensuel, la position des implants actuels du patient engendrerait un long cantilever à gauche, ce qui augmente beaucoup les risques de fracture [4]. En dernier recours, on pourrait envisager de connecter les implants existants avec un implant supplémentaire au niveau de 27. Mais, même après avoir interrogé le patient, il est impossible de retrouver la marque des implants et encore moins de commander les pièces nécessaires. Ainsi, il est impossible de lui proposer une solution implanto-portée, que ce soit par un bridge ou par des attachements sous une prothèse amovible.
La deuxième option consiste à déposer les implants en vue de réaliser une prothèse amovible complète. La dépose des implants peut être nécessaire dans différentes situations cliniques : lors de fractures mécaniques ou en cas d’échec du traitement de péri-implantites sévères [5]. La dépose des implants serait ici nécessaire pour traiter les péri-implantites avant de réaliser la prothèse amovible complète. Mais cette chirurgie serait invasive : les techniques chirurgicales traditionnelles recourent à des trépans pour enlever l’os directement adjacent à l’implant [6, 7]. De telles chirurgies engendrent une perte osseuse importante, préjudiciable à la stabilisation ultérieure de la prothèse amovible complète.
Enfin, l’implant n° 17 est intrasinusal et sa dépose comporte des risques de complications. Ainsi, la dépose des implants ne semble pas être la meilleure solution car elle engendrerait une perte osseuse importante, non souhaitable pour réaliser la prothèse amovible complète dans les meilleures conditions.
La troisième option est de réaliser des implantotomies : le principe est de couper les implants juste en dessous du niveau osseux pour permettre une fermeture complète de la gencive par-dessus les implants et, ainsi, offrir un appui muqueux compatible avec la réalisation de la prothèse amovible complète. Le principal avantage de cette technique est de conserver le support osseux intact, contrairement à la résorption importante qu’occasionnerait la dépose des implants. De plus, la solution de la prothèse amovible complète est plus adaptée au maxillaire qu’à la mandibule car le support osseux est plus important : la stabilisation d’une prothèse amovible complète maxillaire est tout à fait susceptible de donner satisfaction au patient alors que celle d’une prothèse amovible complète mandibulaire est plus incertaine. C’est pourquoi la prothèse amovible complète ne doit pas être considérée comme un traitement par défaut en présence d’un maxillaire totalement édenté mais non résorbé [8] : les patients porteurs d’une prothèse amovible complète maxillaire bien réalisée ne rapportent pas de problèmes majeurs, contrairement aux patients porteurs d’une prothèse amovible complète mandibulaire [9]. Pour toutes ces raisons, et après discussion avec le patient, cette troisième option est choisie.
Tout d’abord, une préparation initiale parodontale est réalisée. Un nettoyage professionnel des émergences implantaires et des racines résiduelles est effectué. Puis, après diminution de l’inflammation, la chirurgie est réalisée en deux temps. Après anesthésie, un lambeau de pleine épaisseur est levé autour des 3 implants gauche (fig. 4). Le tissu de granulation autour des implants est éliminé, puis les émergences implantaires sont coupées sous irrigation juste en dessous du niveau de la crête osseuse (fig. 5). Une attention particulière est portée au polissage des émergences afin de permettre une bonne fermeture de la gencive. Pour ce faire, des fraises spécifiques pour la découpe du titane sont utilisées (Komet(r) H856G 314-016 et H379G 314-023) : leur efficacité a été démontrée pour des indications d’implantoplastie dans le traitement des péri-?implantites. Elles permettent de laisser une surface métallique lisse et polie [10]. Enfin, la racine de la dent 11 est extraite de façon atraumatique et le lambeau est suturé en première intention autant que possible avec du fil 4.0 (fig. 6). Les soins postopératoires consistent à faire nettoyer la plaie chirurgicale par le patient avec un gel de chlorhexidine (Elugel) et les fils sont déposés au bout d’une semaine. La même intervention est réalisée du côté droit (fig. 7 à 9). Au bout d’un mois, la cicatrisation muqueuse est complète (fig. 10) et la réalisation de la prothèse amovible complète selon une technique traditionnelle peut être commencée. Le traitement donne satisfaction au patient, il peut de nouveau sourire et mastiquer (fig. 11 et 12).
Dans le cadre des implantotomies, la question est de savoir à quelles conditions la gencive peut se refermer de façon homogène et durable au-dessus des implants résiduels. À notre connaissance, de telles implantotomies n’ont pas encore été décrites dans la littérature scientifique. La technique chirurgicale décrite la plus proche est l’implantoplastie, utilisée dans le traitement des péri-implantites. Celle-ci est définie comme étant le polissage mécanique de la partie exposée d’un implant par une péri-implantite, dans le but de rendre sa surface lisse et d’enlever les stries implantaires [11]
Il est démontré que c’est une procédure efficace pour le traitement des péri-implantites sévères [12, 13] : la surface polie réduit la contamination bactérienne et améliore le contrôle de plaque et la cicatrisation gingivale. Il en résulte une profondeur de sondage et un saignement au sondage réduits. Cependant, la cicatrisation après implantoplastie est différente de celle après implantotomie : dans le premier cas, l’implant reste transmuqueux alors que, avec l’implantotomie, il doit être totalement enfoui.
Bien qu’elle ne concerne pas les implants, la coronectomie aurait donc plus de similitude avec l’implantoplastie. Elle est définie comme une section de la dent concernée (souvent une troisième molaire mandibulaire) à 3 ou 4 mm sous l’émail de la couronne, permettant une fermeture du lambeau au-dessus de la racine résiduelle [14]. Cette procédure a été proposée pour laisser les apex des troisièmes molaires mandibulaires in situ lorsque ceux-ci sont en contact intime avec le nerf alvéolaire inférieur. La coronectomie est bien documentée et ses complications sont essentiellement l’exposition de la racine résiduelle : en d’autres termes, le lambeau ne se referme pas complètement. Dans une récente revue de la littérature scientifique, l’exposition de la racine n’est rapportée que dans 2 des 4 études analysées et apparaît à un taux compris entre 0 et 1,3 % [15]. Pour obtenir la fermeture de première intention, il est recommandé de couper la racine 3 mm en dessous du niveau des corticales vestibulaire et linguale. Ainsi, dans le cadre de l’implantotomie, nous nous attendions à une fermeture de première intention grâce à la découpe des implants sous le niveau de la crête.
Dans ce rapport de cas, les objectifs sont d’éliminer le risque infectieux chez un patient avec des antécédents médicaux et de lui permettre de bénéficier d’une prothèse amovible complète fonctionnelle. Pour atteindre ces objectifs, la principale condition requise est d’obtenir une fermeture complète du lambeau et, ainsi, d’offrir un appui muqueux satisfaisant pour la prothèse amovible complète. Les implantotomies sont moins invasives que la dépose des implants et la conservation d’un maxillaire non résorbé est un atout pour la stabilisation et la réussite de la prothèse amovible complète. De plus, la fermeture complète des lambeaux prévient la progression des péri-implantites et maintient le patient à l’abri d’un risque infectieux lié à ces implants. Enfin, cette solution a permis d’obtenir la satisfaction du patient, avec une chirurgie minimalement invasive.
L’implantotomie est indiquée lorsque les implants sont définitivement inutilisables. Malgré le faible niveau de preuve de cet unique rapport de cas, on peut conclure que les implantotomies sont moins invasives que la dépose des implants et permettent ainsi de limiter la perte osseuse. Cet atout est particulièrement intéressant lorsque la chirurgie est réalisée avant une prothèse amovible complète, dont la stabilisation est directement sous la dépendance du volume de la crête osseuse.
Les auteurs tiennent a remercier :
Arthur Zarakolu et Sébastien Milliasseau, prothésistes
Le Dr Norbert Bellaïche, radiologue
Le Dr Philippe Holleville, psychiatre