RESTAURATION
Mounia AMARA* Alexandra FAUQUE** Brigitte GROSGOGEAT*** Franck DECUP****
*Interne MBD Université Paris-Descartes
**Interne MBD Université Paris-Descartes
***PU-PH Équipe Biomatériaux et interfaces biologiques Laboratoire multimatériaux et interfaces (UMR CNRS 5615) Faculté d’odontologie Lyon
****MCU-PH Laboratoire de Biologie et Physiothérapie Cranio-faciales (EA 2496) Faculté Paris-Descartes
En dentisterie restauratrice, les propositions de traitement engageant la préservation tissulaire et les restaurations adhésives se sont imposées depuis plus de 20 ans. Cela a été un véritable changement de paradigme pour l’approche opératoire des préparations cavitaires, des tissus durs mais aussi plus récemment, pour la préservation de la vitalité pulpaire même pour des atteintes carieuses profondes atteignant le tiers interne dentinaire. Pour mettre en œuvre ces concepts, chaque praticien doit être convaincu de leurs avantages et maîtriser la réalisation des procédures.
Un grand nombre de données scientifiques, dont certaines évaluations en cours actuellement (programme hospitalier de recherche clinique DECAT), tendent à montrer que cette démarche doit devenir le gold standard pour nos traitements.
L’objectif de cet article est de faire le point sur les recommandations de la littérature scientifique concernant le curetage des lésions carieuses profondes et de détailler, à l’aide d’un cas clinique, la procédure recommandée, étape par étape, pour mettre en œuvre ces protocoles récents.
La revue systématique de littérature Cochrane de 2008, complétée en 2013 par les mêmes auteurs [1], met en évidence que le curetage « partiel » ou « incomplet » des lésions carieuses profondes réduit le risque d’exposition pulpaire par rapport à un « curetage complet ».
Les termes « partiel » et « incomplet » ne doivent pas laisser à penser que l’on peut « laisser de la carie sous une restauration » mais doivent faire comprendre qu’il peut y avoir un traitement spécifique, sélectif, des lésions profondes de la dentine lors du curetage afin de préserver la vitalité pulpaire en contrôlant mieux les risques iatrogènes de l’intervention. Pour cette approche de curetage sélectif, il a été montré qu’il n’y avait pas de différence significative à moyen ou long terme sur la progression de la lésion, la santé pulpaire ou la longévité de la restauration.
Cette synthèse de littérature scientifique suggère donc qu’il est préférable de procéder à un curetage sélectif pour les caries profondes asymptomatiques ou sans symptômes de pulpite irréversible afin d’éviter le risque d’exposition pulpaire et des thérapeutiques associées (coiffage ou pulpectomie) [1].
Tenant compte de la complexité des traitements endodontiques et des pronostics de longévité dentaire statistiquement moins bons, cette démarche a pour objectif d’éviter ou de retarder au maximum le traitement endodontique des dents. Les évaluations montrent en effet que les taux de survie des dents dépulpées sont significativement inférieurs à ceux des dents pulpées [2]. Il est également montré que les patients, de plus en plus sensibles à la préservation tissulaire, appréhendent les traitements endodontiques pouvant être provoqués par le curetage complet (même s’ils le considèrent comme un traitement fiable) [3].
Cependant, bien que les praticiens aient acquis toutes ces connaissances, il leur est difficile d’accepter de changer leur pratique et d’apprendre à appliquer ces procédures innovantes [4]. Convaincus de l’intérêt de cette nouvelle approche, les auteurs de cet article ont cherché à présenter un protocole pouvant être facilement réalisé, reproduit et contrôlé.
Une carie profonde peut être définie comme une lésion cavitaire étendue ayant progressé dans le tiers interne de la dentine, nécessitant un traitement de curetage chirurgical (encadré 1) et une intervention restauratrice directe ou indirecte.
La correspondance histologique décrit une cavitation amélo-dentinaire avec extension de la couche de dentine cariée latéralement et en profondeur impliquant le tiers profond. La déminéralisation dentinaire y est étendue sous la jonction amélo-dentinaire en profondeur et en direction pulpaire, avec le maintien d’une zone de dentine réactionnelle ou plus ou moins déminéralisée, « protégeant » la pulpe [5]. La charge bactérienne est importante. L’inflammation pulpaire existe. Les signes cliniques sont inconstants.
Cette description est retrouvée dans la plupart des classifications cliniques : Pitts, Axelsson et, plus récemment Mout, SiSta (site et stade) et ICDAS (International Caries Detection and Assessment System) [5]. Le stade indiqué correspond à des options thérapeutiques chirurgicales.
Dans cette situation, l’objectif du parage cavitaire est de stopper le processus carieux en réduisant la charge bactérienne de façon contrôlée. Le geste opératoire consiste en « l’élimination chirurgicale partielle » de la dentine infectée en préservant le complexe dentino-pulpaire et la restauration anatomique, en assurant l’étanchéité et en rétablissant la fonction et l’aspect visuel.
L’International Carie Consensus Collaboration (ICCC), regroupant 21 experts en cariologie, s’est réunie récemment pour proposer un consensus dans le traitement des lésions carieuses et sur la terminologie de ces traitements [6, 7].
Le terme « curetage partiel » précédemment employé est remplacé par celui de « curetage sélectif » qui peut être limité, en fonction des zones concernées, à la soft dentin, ou dentine ramollie (pouvant être retirée à l’aide d’un excavateur manuel avec une légère pression), ou à la leathery or firm dentin, ou dentine ferme mais déminéralisée ayant une texture proche du cuir (colorée, pouvant encore être retirée à l’excavateur mais nécessitant un peu plus de pression pour la leathery et une franche pression pour la firm). Enfin le « curetage non sélectif » jusqu’à la dentine dure, ou hard dentin, celle du cri dentinaire, correspond à l’ancienne appellation « curetage total » et est désormais considéré comme un surtraitement lorsqu’il est effectué en direction pulpaire.
Cliniquement, la distinction entre les différents aspects de la dentine mérite une attention particulière. Les données scientifiques disponibles actuellement demeurent limitées dans leurs recommandations sur la reconnaissance et la possibilité de sélection des différents tissus à éliminer ou à préserver mais la perception clinique reste un repère fiable pour réaliser ces traitements. Elle est fondée sur :
• l’analyse visuelle, sous aide optique (loupe, microscope) afin de mieux apprécier les différentes teintes des tissus (claire pour les tissus sains, colorée pour les tissus déminéralisés) ainsi que leur texture ;
• la sensation tactile, qui reste la plus importante bien que praticien-dépendante, à l’aide d’une sonde ou d’un excavateur manuel. Une sensation de dureté est nécessaire en périphérie alors que la région la plus profonde de la lésion pourra être plus molle, rappelant celle du cuir.
Des outils complémentaires sont également à la disposition du praticien pour assister ses gestes chirurgicaux :
• les colorants (Carie Detector, Kuraray ; Caries Finder Danville). Ils sont composés d’une solution acide de propylène glycol qui colore en rouge le collagène désagrégé contenu dans la matrice d’une dentine déminéralisée. Ils quantifient donc non pas une concentration en bactéries mais, plutôt, un niveau de déminéralisation des tissus. Est colorée en rouge foncé la dentine hautement déminéralisée, désorganisée, qui s’enlève en copeaux et qui doit être entièrement retirée là où l’on ne risque pas de faire d’effraction pulpaire. Est colorée en rouge clair ou en rose la région para-pulpaire composée de dentine réactionnelle moins concentrée en cristaux d’hydroxyapatite mais au fort potentiel de reminéralisation ;
• la fluorescence laser (SOPROLIFE(r), Acteon). Il s’agit d’une technique fondée sur la fluorescence de métabolites bactériens (porphyrines) lorsqu’ils sont exposés à une longueur d’onde de 650 nm. La SOPROLIFE(r) est une caméra qui permet d’observer, via un logiciel de lecture, les tissus. La dentine saine apparaît en vert tandis que la dentine atteinte par le processus carieux est rouge avec une certaine nuance de rouge foncé pour la soft dentin et de rouge clair pour la leathery dentin.
Le curetage sélectif concerne les parois de la cavité dites à risque, c’est-à-dire les parois pulpaires du fond de la lésion. Deux situations sont distinguées selon l’ICCC :
• pour une lésion carieuse atteignant le tiers externe ou le tiers moyen dentinaire sans risque d’exposition pulpaire, un curetage sélectif jusqu’à la leathery or firm dentin est préconisé au niveau de la paroi pulpaire ;
• pour une lésion carieuse profonde atteignant le tiers interne dentinaire avec risque d’exposition pulpaire, un curetage sélectif préservant la soft dentin est préconisé pour la paroi pulpaire.
Dans ces deux cas de figures, la dentine de la périphérie de la cavité est curetée de manière non sélective, c’est-à-dire jusqu’à la dentine dure (hard dentin), sur une largeur de 2 mm, pour éliminer complètement la charge bactérienne dans les zones sans risque d’effraction pulpaire. Cela assure une rupture complète de l’écosystème bactérien de surface nécessaire à la dynamique de progression de la lésion en profondeur.
L’élimination non sélective de la dentine périphérique permettra également de retrouver un tissu dentinaire sain seul capable d’assurer à la restauration adhésive la formation d’une couche hybride de bonne qualité et donc une étanchéité optimale à ses contours. Avec une valeur d’adhérence d’environ 45 à 55 MPa au niveau du joint contre 30 MPa en profondeur et environ 15 MPa au niveau de la soft dentin para-pulpaire, la procédure adhésive permet d’assurer le succès du curetage sélectif en scellant les bactéries résiduelles et en les privant de nutriments tout en restaurant l’étanchéité périphérique au niveau de la jonction amélo-dentinaire saine [8].
Parallèlement, l’émail altéré doit être aussi complètement éliminé et régularisé. De même, le curetage de la jonction amélo-dentinaire doit être particulièrement contrôlé car il constitue une zone de diffusion carieuse privilégiée.
Cette démarche est illustrée par un cas clinique, exemple d’une situation couramment rencontrée (fig. 1 à 20).
Le curetage sélectif des tissus dans le cas d’une lésion carieuse profonde s’inscrit pleinement dans la dentisterie dite a minima, fondée sur l’économie tissulaire. C’est un traitement opératoire qui a vocation à être adopté de façon régulière et dont le taux de succès est élevé. Le niveau de difficulté opératoire n’est pas très important si l’on prend soin de respecter le protocole recommandé. Il représente une vraie avancée vers la préservation pulpaire et, donc, vers une amélioration du taux de survie des dents atteintes.
En cas d’échec iatrogène et d’effraction pulpaire, les procédures de secours (coiffage pulpaire, pulpotomie ou pulpectomie) sont toujours possibles.
Le patient est toujours reconnaissant quand des gestes opératoires le moins invasif possible sont effectués. Une simple recommandation de suivi des signes cliniques est dispensée après l’intervention.
Ce changement de paradigme constitue un enjeu de santé publique certain, porté par l’omnipraticien, comme en témoignent les nombreuses études récemment publiées sur le sujet.
Une étude prospective multicentrique est actuellement conduite en France (programme hospitalier de recherche clinique DECAT). Réalisée à la fois au sein des différents services hospitaliers et dans des cabinets libéraux, elle a pour objectif premier de comparer l’éviction carieuse sélective à l’éviction non sélective sur des lésions carieuses profondes. Les résultats sont à attendre prochainement et permettront de préciser les recommandations actuellement proposées.
• Préservation des tissus dentaires.
• Sauvegarde de la vitalité pulpaire.
• Évitement de toute exposition pulpaire.
• Réalisation d’une restauration étanche.
• Contrôle direct du geste technique.