IMAGINA DENTAL 2017
Attaché d’enseignement en OCE Université Paris-Descartes
C’est sous le soleil monégasque, du 13 au 15 avril dernier, que s’est tenue la sixième édition d’Imagina Dental 2017, congrès incontournable dans le domaine des technologies numériques et esthétiques. Plus de 500 visiteurs originaires de 30 pays différents se sont pressés au Grimaldi Forum pour participer à 3 jours de conférences et d’ateliers animés par 25 conférenciers et entourés de 26 exposants.
Des conférenciers de haute envergure, venus d’une dizaine de pays différents, ont apporté leur vision sur la place du numérique tant en implantologie qu’en dentisterie restauratrice et esthétique. Le verdict est sans équivoque : la dentisterie numérique n’est désormais plus un gadget du futur mais une réalité du présent que les praticiens peuvent intégrer dans leur pratique quotidienne. Imagina Dental est donc l’occasion pour de nombreux praticiens de découvrir les technologies disponibles aujourd’hui sur le marché et de comprendre leurs applications grâce à des présentations et des cas cliniques de qualité.
Nous revenons ici plus en détail sur différentes interventions majeures de ce congrès.
François DURET
La journée a démarré avec le discours du Pr François Duret, pionnier de la CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur) dentaire. Ce dernier explique comment le progrès scientifique s’est fait, historiquement, soit par des avancées lentes et incrémentées, soit par des changements de paradigme plus brusques avec des ruptures fondamentales. Il en est de même pour la dentisterie. L’optique et le numérique ont, aujourd’hui, créé une véritable rupture avec la dentisterie conventionnelle. La CFAO et le numérique n’ont plus pour seul but d’usiner des éléments prothétiques comme certains le pensent (l’usinage permettant de justifier la rentabilité de l’achat du matériel). Grâce au numérique, il est désormais possible de réaliser des diagnostics, notamment par la réalisation d’empreintes en couleur, la modélisation tridimensionnelle et les mock-up virtuels.
Le congrès traitera donc d’implantologie et de l’aide que le numérique permet d’apporter tant au niveau de la planification et de la modélisation de la position des implants que du guidage de la pose d’implants ainsi que la gestion des tissus mous pré-implantaire, en particulier pour l’esthétique. Il y aura également une mise au point sur le digital workflow, ou flux de travaux numériques, et sur son importance dans la gestion et l’efficacité du travail. Enfin, le congrès abordera également les thèmes de la couleur, de l’imagerie polarisée et du biomimétisme.
Le Pr Duret rend également hommage à SAS le prince Albert II de Monaco qui a inauguré le congrès le jour même.
Wiebe DERKSEN
Le workflow, ou flux de travaux, se définit comme la suite de tâches et d’opérations réalisées par une ou plusieurs personnes afin d’aboutir à la réalisation d’un acte. Il se veut systématique et reproductible pour permettre un meilleur suivi du travail et une meilleure gestion du temps. La séance se concentre donc sur l’influence des technologies numériques sur la chaîne de travail en implantologie et en prothèse avec l’utilisation à la fois de la CFAO, des empreintes optiques et du cone beam (CBCT, cone beam computed tomography, ou tomographie volumique à faisceau conique). Le Dr Derksen décrit un protocole mis en place à l’Academic Centre for Dentistry Amsterdam (ACTA) afin de mesurer la précision du digital workflow en implantologie. Les études menées à ce jour n’intégrant pas l’empreinte optique au fauteuil, l’équipe d’ACTA, dont le Dr Wiebe fait partie, a souhaité le faire. En effet, ces études mesuraient la précision en comparant un CBCT initial préopératoire avec un autre CBCT postopératoire. Dans une revue systématique [1], la meilleure précision était alors obtenue grâce à des guides chirurgicaux dento-portés avec placement des implants à travers le guide. Le workflow décrit ici suit une approche différente avec une empreinte optique initiale prise avec le 3M True Definition Scanner qui facilite l’enregistrement des tissus mous. Le fichier .stl obtenu est alors superposé au fichier .ftl du CBCT. S’ensuit la planification implantaire à partir de ces deux fichiers combinés puis un guide est usiné grâce à une usineuse, la DWX-4 de chez Roland, qui présente l’avantage d’être de taille réduite et simplifie ainsi l’incorporation en pratique libérale. L’implant est ensuite posé grâce au guide et l’empreinte optique entre à nouveau en jeu en utilisant un pilier de scannage. Le modèle obtenu sera comparé au modèle préopératoire afin d’évaluer la précision du workflow, éliminant ainsi la nécessité de réaliser un nouveau CBCT.
Ce workflow a également subi un essai clinique avec 148 implants posés chez 70 patients : la précision de pose des implants et des éléments prothétiques a été mesurée et comparée à celle d’un workflow classique intégrant des empreintes conventionnelles. Les résultats préliminaires montrent une meilleure précision en matière de pose des implants par rapport aux résultats d’études précédentes. Ils montrent également que le digital workflow permet une précision au moins identique à celle du workflow classique.
L’avantage majeur du workflow entièrement numérisé est, selon le Dr Derksen, qu’il permet de planifier à la fois la pose implantaire et la prothèse correspondante. En effet, la combinaison de l’empreinte optique et du CBCT permet également la réalisation d’éléments provisoires dans la même séance, un atout essentiel pour le confort du patient et une diminution du temps au fauteuil si l’élément provisoire est usiné sur place. Le Dr Derksen utilise actuellement ce workflow pour le remplacement de dents unitaires dans son cabinet.
Tidu MANKOO
Cette séance est consacrée au comportement et à la gestion de l’os et des tissus mous autour des sites postextractionnels et des implants dentaires, à la gestion des défauts osseux et des tissus mous dans les mêmes sites ainsi qu’à la mise en charge immédiate et retardée des implants.
Le Dr Mankoo [2] propose ici une stratégie de traitement de cas complexes en zone esthétique afin d’obtenir des résultats durables, fiables et aisés à entretenir par le patient et par le praticien, en faisant appel à une approche multidisciplinaire notamment aux extrusions orthodontiques lentes. En effet, l’extrusion orthodontique a été proposée comme option viable pour le développement de site pré-implantaire et elle peut avoir un rôle certain dans l’augmentation verticale osseuse et gingivale dans le cas de parodontite terminale sur des dents de la zone esthétique.
Cette stratégie se décline en cinq phases :
• une phase de traitement étiologique parodontal, carieux et endodontique ;
• une phase de correction incluant l’extrusion des dents compromises dans la zone esthétique ainsi que l’alignement vestibulo-lingual et mésio-distal avec la possibilité de placement d’implants postérieurs en cas de besoin d’ancrage. Cette phase inclut une contention postorthodontique de 3 mois afin de permettre une minéralisation complète de l’os et une stabilisation des tissus mous conduisant à l’obtention des sites d’extractions nécessaires. Lors de cette phase correctrice, auront lieu également les chirurgies correctrices parodontales ainsi que l’extraction et l’implantation ;
• une phase de restauration avec la mise en place de provisoires, la stabilisation des tissus mous et durs s’accompagnant d’une réévaluation ;
• une phase de restauration définitive ;
• une phase de maintenance.
De plus, Dr Mankoo [3-5] a insisté sur l’interface entre les tissus mous et les éléments implantaire. Il est primordial, notamment dans des zones esthétiques, de prendre en considération le biotype gingival du patient car un biotype fin présente un plus grand risque de récessions gingivales qu’un autre biotype. L’augmentation de l’épaisseur gingivale par la chirurgie parodontale permet de modifier le comportement des tissus autour des implants. Il est également primordial de comprendre la biocompatibilité entre les piliers implantaires et les tissus mous. Effectivement, un pilier implantaire mal désinfecté ne permettra pas une bonne adhésion des tissus mous et compromettra l’esthétique. Il faut également noter les différences de biocompatibilité entre les céramiques et la zircone qui présente une meilleure biocompatibilité que l’e.max®. Un autre élément important est la forme du pilier et de la couronne qui doit respecter l’anatomie transmuqueuse et permettre une maintenance adéquate.
Paulo KANO
Selon le Dr Kano [6], il est fondamental, lors de la reconstitution de la morphologie dentaire, d’observer les éléments dans leur état tant statique que dynamique.
L’observation de la symétrie et de la géométrie à l’état statique permet de retranscrire une morphologie se rapprochant de l’état naturel du patient alors que l’observation de la dynamique de son sourire et de ses mouvements permet de retranscrire un état émotionnel qui améliore l’intégration des éléments prothétiques dans son visage. Il ne suffit pas de redonner une forme aux dents à restaurer. Cette restauration doit aussi pouvoir s’intégrer facilement dans l’aspect général du patient, ses expressions faciales, ses mimiques.
Avec la mise à disposition de nouvelles techniques numériques, cette capacité d’observation humaine doit trouver sa place. À cette fin, le Dr Kano explique qu’il est nécessaire que le praticien, par exemple lors d’une restauration directe sur dent postérieure, ne fasse pas que combler les cavités manquantes mais qu’il observe d’abord les formes des sillons et des lobes avant de reconstruire. En recherchant des motifs dans la forme des sillons occlusaux, il peut par la suite les reproduire afin d’améliorer l’intégration esthétique. La forme des lobes est aussi primordiale dans une reconstitution. Elle n’est jamais parfaitement linéaire ou bombée mais présente plus une forme bosselée qu’il faut observer et comprendre avant toute reconstitution. La connaissance de l’anatomie dentaire dans toute sa complexité, tant au niveau de la hauteur des cuspides que de la profondeur des rainures et de la position de la table occlusale, prend alors tout son sens dans la réflexion de la reconstitution de la morphologie.
Pour le Dr Kano, la connaissance de ces éléments et leur application permettent à l’être humain de pouvoir mieux interpréter la morphologie dans son état statique et dynamique.
Le Dr Kano explique ensuite comment, aujourd’hui, il est possible d’effectuer des restaurations totales entièrement à partir du numérique grâce à des outils tels que le Digital Smile Design ou le Skin Concept. Ces logiciels permettent de puiser dans un dossier constitué de données numériques et de modèles physiques rendant possible la création d’un grand nombre de sourires et de morphologies ainsi que l’élaboration d’un mock-up en utilisant l’anatomical shell technique.
L’année dernière, l’équipe du Paulo Kano Institute de São Paulo a mis au point un logiciel nommé Data Shaping qui permet de faire des restaurations totales en utilisant uniquement des outils numériques. Selon le Dr Kano, ces types de restaurations nécessitent tout de même des ajustages par le prothésiste, ne rendant pas le processus totalement numérique. Toutefois, le Dr Kanoa réussi à ce jour à traiter deux cas de restauration complète sans ajustage du prothésiste avec uniquement un polissage occlusal au fauteuil. Les modèles numériques sont également étudiés dans leur dynamique grâce à des articulateurs numériques permettant des simulations de mouvements. Les points de contact sont alors ajustés numériquement sans devoir modifier la morphologie des dents. Toutefois, le Dr Kano précise que cette technique est encore à ses débuts, même s’il agit d’une avancée considérable.
Jan-Frederik GÜTH
Le Dr Güth souhaitait démontrer comment les concepts de biomimétisme et de dentisterie s’inspirant de la morphologie naturelle ainsi que la révolution numérique qu’aborde la dentisterie moderne se complètent pour pouvoir créer des restaurations les plus précises possible.
Il explique d’abord que l’exactitude (accuracy) est une combinaison de la précision (precision) et de la justesse (trueness). Ces notions sont importantes pour la compréhension du travail que l’on cherche à faire de manière numérique.
Selon le Dr Güth, une grande partie des empreintes conventionnelles ne montrent pas la totalité de la préparation. Il expose par la suite l’avantage de l’empreinte numérique permettant de mettre en avant, quasi instantanément, les défauts des préparations et de pouvoir enregistrer plus exactement que de façon « classique » les dents préparées. Dans une étude in vitro [7], les auteurs montrent que la numérisation directe révèle une exactitude plus élevée que celle de la méthode conventionnelle, et ce de manière statistiquement significative.
Une autre étude in vitro [8] réalisée par l’équipe du Dr Güth a cherché à introduire une nouvelle approche pour évaluer l’exactitude des empreintes optiques en faisant appel à la « Munich bar », une barre métallique s’étendant de la deuxième molaire mandibulaire jusqu’à la dent controlatérale, le but étant d’échapper à la réalisation d’empreintes optiques en évitant l’alignement de meilleur ajustement (best-fit matching) et en permettant d’avoir un point de repère fixe afin de réaliser des mesures dans les trois axes spatiaux (X, Y et Z). Les résultats obtenus montrent que les empreintes numériques présentent une exactitude identique ou supérieure à celle des empreintes conventionnelles après calibrage par le modèle de la barre métallique.
Une étude in vivo est en cours mais les résultats semblent déjà prometteurs.
Enfin, le Dr Güth nous parle de ce qu’il appelle l’impression 4D, c’est-à-dire la réalisation de restaurations biomimétiques avec une stratification de différentes couches pour le noyau dentinaire et la surface amélaire. Ce noyau dentinaire (qui donne tous les effets optiques de la dent) constitue l’élément clé pour la réalisation d’une restauration multicouche avec des propriétés esthétiques nettement supérieures à celles des restaurations monolithiques. Les processus d’impression 3D permettent de réaliser des éléments avec différentes couches et, actuellement, de confectionner des répliques de dents naturelles afin de constituer une bibliothèque de différentes morphologies étayant ainsi la réalisation de projets prothétiques numériques. Comprendre et enregistrer l’anatomie des dents naturelles nous autorise à avoir une base afin d’allier l’aspect numérique et le biomimétisme [9].
Angelo PUTIGNANO
Selon le Pr Putignano, deux éléments clés sont importants dans la réalisation des restaurations antérieures (plus particulièrement en composite) : l’anatomie et la couleur. Pour lui, l’anatomie peut être détaillée en plusieurs éléments :
• l’anatomie de base constituée de la forme de la dent ;
• l’anatomie primaire, soit les lignes de transition qui traversent les zones mésiales et distales et qui définissent alors un angle et une longueur de la dent ;
• l’anatomie secondaire, qui définit les lobes vestibulaires et le profil d’émergence de la dent ;
• enfin, l’anatomie tertiaire, qui définit la texture de la dent et les détails amélaires.
De plus, il faut considérer l’anatomie dentinaire, mais celle-ci peut difficilement être évaluée à l’œil nu et nécessite l’utilisation de photographies.
La couleur, quant à elle, et plus particulièrement le choix de la teinte forment la problématique majeures selon le conférencier. Il explique qu’il s’agit de trouver un équilibre entre l’opacité et la translucidité, cet équilibre variant d’une dent à l’autre. Des tentatives de systématisation ont déjà été faites [10], notamment en influençant la source de lumière.
A. Putignano énonce également les limites des teintiers en matière de choix de la teinte. En effet, ils ne permettent pas d’évaluer le changement de teinte dû à l’épaisseur de composite. De plus, le Pr Putignano explique que, en comparant les mêmes teintes de composite pour de mêmes épaisseurs mais de différentes marques, on obtient des effets optiques très différents.
La stratification modifie également les caractéristiques optiques de la restauration. Il faut donc comprendre l’influence de la technique de stratification sur l’optique [11].
Néanmoins, le Pr Putignano considère qu’un certain nombre de ces techniques de stratification ne seront pas accessibles à bien des praticiens vu le niveau de technicité requis. Selon lui, la couche d’émail qui peut être utilisée sans modification de l’opacité de la couche de dentine dans les restaurations antérieures est de 0,5 mm.
Afin de faciliter la prise de teinte, le Pr Putignano propose de reprendre l’idée d’un guide de teinte personnalisé [12].
Panoghiotis BAZOS
Un des inconvénients de la photographie classique en dentisterie est que le flash est limité par les propriétés physiques de la lumière. Les reflets rendent difficile la distinction entre la surface et les éléments sous la surface. La polarisation croisée permet de surmonter cette limite. La lumière ne réagissant pas de la même manière lorsqu’elle se reflète sur l’émail ou sur la dentine, la polarisation croisée aide à visualiser ce changement de comportement. Cette technique est réalisable grâce à la mise en place d’un filtre polarisant.
La polarisation croisée offre plusieurs avantages. Elle :
• élimine entièrement les reflets ;
• améliore le contraste et la saturation ;
• est non invasive et sans contact ;
• propose une conception ergonomique ;
• est simple d’utilisation, sans courbe d’apprentissage ;
• est économique.
Le Dr Bazos décrit différents mécanismes qu’il a mis en place afin de capter ses images en polarisation croisée ainsi qu’en fluorescence pour obtenir une mesure la plus précise possible des éléments optiques.
Le prix Imagina Dental 2017 a été remis à Raffaella et Massimo Gai (photo), de Euromax Monaco, pour leur produit Dental Wings Laser Mill. Cette usineuse développée au Canada permet de réaliser en CFAO des restaurations précises par ablation au laser d’un bloc. La taille des faisceaux laser autorise ainsi une résolution supérieure aux fraiseuses CNC traditionnelles.