Taux plein, âge légal, capitalisation, réformes, vacances, ennui…, l’idée que l’on se fait de la retraite est un vaste champ de doutes et de questionnements. L’aborder en amont est le meilleur moyen de prendre sereinement un jour cet inévitable virage et d’en faire un nouveau départ. Vers une retraite heureuse.
« Ma retraite est mon Louvre et j’y commande en roi. » Ces mots de Destouches pourraient devenir le mantra de tous ceux qui, de près ou de loin, prennent en main les rênes de l’étape particulière que constitue un départ à la retraite. Car, la retraite correspond à l’entrée dans un nouvel âge, une nouvelle vie, dont chacun est responsable et maître à bord. Une phase tout en ajustements, dont le succès dépend d’une prise en compte plurifactorielle. Bien préparer sa retraite n’a rien d’inextricable, il suffit d’y penser suffisamment tôt et de placer ses pions au bon endroit. « Les retraites les mieux réussies sont celles qui sont préparées le plus tôt possible. Nous recommandons aux confrères de se renseigner au minimum 10 ans avant la prise de la retraite pour connaître le montant estimé de leur pension. Puis, de renouveler cette demande de renseignements tous les ans à partir de 5 ans avant l’âge légal de la retraite. Sans oublier également de réaliser une estimation extrêmement précise du train de vie en cours d’activité afin de pouvoir faire une estimation raisonnable du futur train de vie nécessaire à la retraite », explique Edmond Binhas, chirurgien-dentiste, directeur du Groupe Edmond Binhas et coauteur du guide professionnel Anticiper et réussir sa retraite.
La retraite n’est pas la fin du monde. Elle propose, au contraire, de commencer un pan de vie insoupçonné. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire pour mettre en ordre les aspects administratifs de départ à la retraite, car ils peuvent prendre plusieurs mois, et bien mesurer la date précise de ce départ en fonction du moment du trimestre, car les pensions sont versées trimestriellement à terme échu. « Si vous prenez votre retraite à partir du 1er janvier, le premier règlement interviendra fin mars pour la période du 1er janvier au 31 mars », observe E. Binhas qui conseille notamment aux jeunes praticiens de préparer, en parallèle de la pension de base, une pension privée personnelle dès que possible dans leur carrière. « De fait, le montant qui sera récupéré à la retraite bénéficiera ainsi au maximum du principe des intérêts cumulés sur du long terme. » Il n’en reste pas moins que la profession ne voit pas toujours la retraite d’un bon œil. Les appréhensions sont nombreuses : modalités de calcul de la pension de retraite dues à sa complexité, baisse significative des revenus, perte de patrimonialité des cabinets, peur de l’inconnu et crainte de se retrouver en marge de la société avec une vie sociale réduite (ce qui justifie le fait que de nombreux praticiens continuent de travailler après l’âge du taux plein).
En 2040, une personne sur trois aura plus de 60 ans. Le poids démographique des retraités augmente en même temps que l’espérance de vie qui est passée à 85,1 ans pour les femmes et 79 ans pour les hommes, contre 82,9 et 74,6 en 2000. La France compte ainsi plus de 20,5 % de sa population à la retraite. Et le nombre de naissances ne compense plus le nombre de décès ni celui des personnes à la retraite qui y restent beaucoup plus longtemps qu’avant. « C’est pourquoi nous avons écrit un guide cohérent et réactualisé au fil des réformes, afin d’énoncer clairement les points de gestion et de fiscalité, d’expliquer les différents régimes, leur fonctionnement, de proposer des planifications professionnelles et personnelles. Car nombre de chirurgiens-dentistes ignorent la réglementation, les modalités de calcul de leurs droits et les astuces d’une retraite bien préparée », précise Guy Morel, chirurgien-dentiste, président de la caisse de retraite des chirurgiens-dentistes de 1997 à 2015 et coauteur du guide. En un mot, détailler les tenants et aboutissants d’une retraite bien anticipée.
De plus, les mentalités ainsi que les critères personnels et familiaux se transforment, l’exercice salarial se développe. Ainsi, la complexité croissante et la multiplicité des cas de figure rendent parfois difficile une évaluation. Au cours des dix dernières années, le nombre de cabinets en exercice individuel a diminué (16 715 au lieu de 22 771), les exercices en société ont triplé (7 207 au lieu de 2 653), le nombre de praticiens exerçant dans des centres dentaires s’est considérablement accru. L’exercice en groupe, quant à lui, reste à peu près stable.
Si l’exercice salarié dépend du régime général, la retraite du chirurgien-dentiste libéral se compose de trois régimes : un régime unique de base, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), commun à tous les professionnels libéraux ; un régime complémentaire d’assurance vieillesse, la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF) ; un régime prévoyance complémentaire vieillesse (PCV), pour les praticiens conventionnés.
La CARCDSF (régime par points) est fondée sur une cotisation forfaitaire puis une cotisation proportionnelle solidaire et concerne tous les chirurgiens-dentistes libéraux. Elle dépend de la démographie des chirurgiens-dentistes et de leur mortalité. Il existe bien sûr des cas particuliers, notamment pour les allocataires retraités malades, dans le besoin, handicapés ou autre : ici, la caisse de retraite a une commission de solidarité d’action sociale (sous condition de ressources et selon le nombre de personnes à charge).
« La retraite moyenne est de 30 % des revenus d’activité, ce qui est un changement radical au moment du passage à la retraite. Il faut donc l’avoir prévue, ce qui est d’autant plus vrai que les revenus ont été importants », ajoute Frank Lefèvre, chirurgien-dentiste et président de la CARCDSF. En 2015, les 17 766 praticiens retraités ont perçu en moyenne 2 414 € par mois (avant les prélèvements sociaux CSG et CRDS), à comparer aux 2 390 € perçus un an plus tôt : une hausse donc de 2,97 % (chiffres de la Confédération nationale des syndicats dentaires). La contribution mensuelle de chacun des trois régimes est la suivante : 587 € pour le régime de base (24,3 %), 1 158 € pour le régime complémentaire (48 %) et 669 € pour le régime des prestations complémentaires vieillesse (27,7 %). Enfin, en matière de réversion aux conjoints retraités survivants (4 823 en 2015), la pension mensuelle s’élève à 1 285 €. Il est également possible de reprendre une activité relevant de la CARCDSF dans les mêmes conditions qu’au régime de base : pas de limite si le retraité remplit les conditions du taux plein ; revenu limité au plafond de la Sécurité sociale dans le cas contraire, avec écrêtement de la pension en cas de dépassement. Il s’agit du cumul emploi-retraite. « Sans jamais oublier, tout au long de sa carrière, que le cabinet est la plaque tournante de la retraite avec, au cœur, sa patientèle. Et que la CARCDSF a des réserves considérables », ajoute Guy Morel.
En 10 ans, pas moins de six réformes. Certaines ont apporté des modifications profondes du régime d’assurance vieillesse de base.
La réforme de 2004 (Fillon) définit un régime unique proportionnel fondé sur des points. L’un des axes d’équité de cette réforme a consisté à rendre le régime des professionnels libéraux proportionnel aux revenus. Les principaux éléments tels que cotisations, rachats de points et calcul de la pension sont issus de cette réforme. La réforme de 2011 (Woerth) a principalement abouti à un report de l’âge du départ à la retraite et de l’âge du taux plein (c’est-à-dire l’âge auquel on touche sa retraite à 100 %). Il y a globalement, selon l’année de naissance, cinq années de décalage entre l’âge légal de départ à la retraite et l’âge du taux plein. Enfin, la réforme de 2014 opère un allongement progressif de la durée d’assurance pour les générations partant à la retraite à compter de 2020. Elle entraîne également de nouvelles règles en matière de cumul emploi-retraite. Compte tenu de l’évolution des démographies, générale et professionnelle, les lois concernant les retraites évoluent et changent de fait la donne. Mais, on ne peut pas prédire l’avenir. Et le fer de lance de la CARCDSF reste sa réserve financière favorable aux trente ou quarante prochaines années. La seule inquiétude concernerait le PCV financé par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) par convention, car il pourrait être remis en question, mais la réforme de 2007 a été modifiée de façon à le sécuriser jusqu’en 2018. « Nous voyons l’avenir avec sérénité », assure Guy Lefèvre.
Son conseil : « Ne surtout pas croire les bruits infondés, rester précautionneux, jamais défaitiste. Car il n’y a pas de grande menace. »
Avec une moyenne à 92 000 € de revenu annuel et une médiane à 83 000 €, la moyenne à la retraite se situe autour de 32 000 € (chiffres CARCDSF 2015). Enfin, concernant la pension de réversion, elle représente en moyenne de 57 à 58 % de la retraite du conjoint.
Un conseil aux jeunes praticiens ?
Rester informé sur le taux de remplacement et préparer son départ à la retraite bien en amont avec deux grandes données : être propriétaire de sa résidence principale (et ne pas avoir de loyer ou de remboursement de prêt) au moment du départ à la retraite et, dans la mesure du possible, prévoir des compléments de retraite via des sociétés, des assurances, le Madelin. Par ailleurs, investir dans l’immobilier et être en mesure d’en tirer des bénéfices sont une autre forme de prévoyance.
Le cumul emploi-retraite, une bonne option ?
À partir de 67 ans, on peut prendre sa retraite à taux plein. Si l’on décide de continuer à travailler après, on continue néanmoins à cotiser à la CARCDSF mais à fonds perdu. Beaucoup de chirurgiens-dentistes le font. Mais je recommande de faire au préalable une analyse fiscale car différents cas de figure peuvent se présenter. Notamment si l’on décide de réduire son activité (dans le cas surtout de chirurgiens-dentistes aux revenus importants) et donc ses revenus, car les cotisations fiscales peuvent rendre cette nouvelle situation peu avantageuse. C’est du cas par cas.
Prendre sa retraite est un vrai job administratif pour une profession libérale
Devant ce qui me semblait « l’ampleur de la tâche », j’ai pris ma retraite en deux temps. J’ai d’abord fait le choix d’un cumul emploi-retraite intégral, c’est-à-dire que j’ai totalement liquidé toutes mes retraites (ce qui est obligatoire dans ce cas) puis j’ai touché ma retraite car j’avais 65 ans et j’ai continué à travailler comme avant, c’est-à-dire que je n’avais pas à me soucier de contraintes administratives sur le chiffre d’affaires réalisé et d’autres contraintes administratives changeantes, comme cela est le cas avec l’emploi-retraite dit partiel. Et j’ai demandé à être payée de ma retraite. Il faut la demander, ce n’est pas automatique à 65 ans, et remplir des formulaires pour chacune des caisses auxquelles on a cotisé : Urssaf si on a été salarié en début de carrière, CARCDSF pour les dentistes libéraux, pour moi MSA (Mutuelle sociale agricole) parce que je suis propriétaire de terrains agricoles en Lozère de plus de 2 ha et j’avais donc l’obligation de m’inscrire à cette caisse comme exploitante. Trois ans plus tard, j’ai décidé d’arrêter définitivement et j’ai mis mon cabinet en vente. J’ai pris ma retraite en 2014 avec l’impression de partir pour de longues vacances.
Mon conseil : ne pas croire les défaitistes qui pensent que les cotisations retraites sont de l’argent mal placé et se faire aider par la CARCDSF, son syndicat et l’Union des chirurgiens-dentistes retraités (UCDR). L’ADF édite des brochures chaque année sur les diverses démarches à entreprendre selon les situations. Enfin, après achat de son logement et des murs de son cabinet, si l’on pense avoir besoin de beaucoup d’argent à la retraite (plusieurs divorces et mariages agrémentés de familles nombreuses recomposées à entretenir), on peut penser à investir dans des fonds « loi Madelin » et se constituer une retraite Préfon.
La difficulté, quand on aime son métier, est de rester occupé
À 72 ans, j’exerce toujours. Il n’est pas facile de cesser une activité que l’on aime. Lorsque j’ai eu 68 ans, j’ai donc prolongé mon activité sous cumul emploi-retraite. Néanmoins, j’envisage de passer le cap à la fin de l’année et de céder mon cabinet, hormis les murs dont je reste propriétaire, au jeune collaborateur avec lequel je me suis associé il y a 3 ans. Il connaît mes patients, apporte de nouvelles méthodes, je suis rassuré : après mon départ, mes patients seront bien soignés. Peut-être reviendrai-je de temps en temps. J’ai également des pistes de bénévolat dentaire, notamment avec l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) qui cherche des praticiens pour aller expliquer aux jeunes dans les écoles comment se brosser les dents. D’un point de vue financier, j’ai anticipé, mis de l’argent de côté, investi dans l’immobilier. Si mes ressources venaient à ne pas suffire, je pourrais donc vendre un de mes biens.
La CARCDSF, où j’ai été administrateur pendant 9 ans, a fait les réformes qui s’imposaient pour assurer des réserves à long terme. Mais il faut toujours rester vigilant et ne pas laisser tous ses œufs dans le même panier. Les assurances-vie, même décriées, sont une très bonne solution.
Mon conseil : penser à la retraite dès 40 ans, pas à 50 ou 60 ans. Faire des placements, dont l’immobilier reste le meilleur. Et profiter de la vie !
En tant que titulaire, tout chirurgien-dentiste libéral peut évaluer régulièrement, et ce largement en amont, son montant de cotisation pour le comparer à ses appels de fonds. Un logiciel de simulation du calcul des cotisations est accessible (et recommandé) sur le site de la CARCDSF : www.carcdsf.fr/chirurgiens-dentistes/simulation-de-cotisations-346.html
J’ai commencé par 3 années de cumul emploi-retraite, car j’ai préféré aborder ma retraite en douceur. Pensée en amont, elle s’est donc faite dans les meilleures conditions, étape après étape, en commençant par l’achat de mon local professionnel, puis de mon domicile. J’ai contracté ensuite une assurance complémentaire retraite Madelin, puis d’autres produits tels qu’une assurance-vie et de l’immobilier. Pas d’incidence financière, donc, avec cette diversification des produits et des charges moins importantes à la fin de ma carrière (une seule assistante, pas de prélèvement Urssaf puisqu’en cumul emploi-retraite…). Sans oublier une gestion budgétaire réévaluée au quotidien. Je viens de céder ma patientèle et mon matériel à une consœur, tout en restant propriétaire des murs. Nous travaillons ensemble depuis 2 mois dans un souci de transmission en règle. Il y a toujours quelques facteurs inconnus lorsqu’on change de vie, mais j’ai déjà des projets dont, peut-être, du bénévolat dentaire. Mon conseil : anticiper est une évidence, en se préparant au plus tôt, par la propriété, puis la diversification des produits.
• Binhas E, Morel G, Delprat L. Anticiper et réussir sa retraite. Rueil-Malmaison : CdP, 2016.
• Helson J, Levy D. En avant la retraite. Mieux gérer la transition. Paris : L’Harmattan, 2015.
• Thierrey D. Soyez un retraité heureux. Montrouge : ESF éditions, 2014.
• www.info-retraite.fr, simulateur M@rel