Clinic n° 05 du 01/05/2017

 

CHIRURGIE

Kévin HAESE*   Sarah LEMOINE**   Benoît LENFANT***   Damien LOCHON****   Philippe LESCLOUS*****  


*Interne en chirurgie orale
**Interne en chirurgie orale
***Interne en chirurgie orale
****Assistant hospitalo-universitaire
*****PU-PH
Responsable de l’Unité fonctionnelle
de chirurgie orale
Faculté de chirurgie dentaire de Nantes
CHU Hôtel-Dieu
Nantes

Le parage alvéolaire permet l’élimination de tous les éléments qui vont gêner la mise en place dans l’alvéole d’un caillot de bonne qualité. Ce dernier sera le garant de la cicatrisation des tissus muqueux et osseux en trois étapes : phase inflammatoire, cicatrisation muqueuse, et enfin cicatrisation osseuse.

Le praticien doit préparer son geste par un examen clinique et radiologique qui évalue les éléments d’intérêts durant l’intervention : tissus à éliminer et structures anatomiques à éviter. Enfin, celui-ci doit se donner les moyens de contrôler son geste : éclairage, abord permettant un accès visuel direct et aides optiques représentent pour cela des outils efficaces.

Le parage alvéolaire est une étape à part entière, essentielle dans la procédure d’avulsion dentaire. Il se situe immédiatement après l’avulsion proprement dite et avant l’étape des sutures. Il consiste en une révision de l’alvéole déshabitée qui va permettre l’élimination de tous les éléments pouvant engendrer une réaction inflammatoire inopportune et, donc, ralentir le processus cicatriciel osseux et même muqueux. Il vise à optimiser la mise en place d’un caillot sanguin de bonne qualité au sein de cette alvéole de manière à préparer les conditions locales les plus favorables au déclenchement du processus cicatriciel consécutif.

Justification biologique

Une fois l’avulsion dentaire effectuée, le praticien doit éliminer les tissus dentaires résiduels, les éventuels débris de matériaux qui ont participé au traitement de la dent et les éventuels tissus pathologiques périradiculaires.

Le résultat du parage alvéolaire doit être l’obtention d’une cavité osseuse remplie d’un caillot sanguin qui contient tous les précurseurs nécessaires à la néo-ostéogenèse.

La cicatrisation d’un site d’avulsion dentaire a été très largement étudiée et se déroule en trois étapes (fig. 1) :

• la phase inflammatoire. Après rupture locale des éléments vasculaires, les cellules de l’immunité non spécifique sont recrutées : polynucléaires, macrophages, monocytes [1]… Les médiateurs cellulaires alors produits vont recruter des cellules souches mésenchymateuses du périoste, de la moelle osseuse, de la circulation générale et des tissus environnants. Le périoste joue un rôle de réserve biologique très importante pour la cicatrisation osseuse ;

• la cicatrisation muqueuse. L’épithélium gingival va être le premier tissu à cicatriser. Sa fermeture entraîne la formation d’un nouveau périoste qui permettra la néo-ostéogenèse sous-jacente. Il s’agit aussi d’une véritable barrière visant à isoler le site osseux de la septicité buccale. Cette cicatrisation muqueuse sera d’autant plus rapide que le site opératoire aura été minutieusement fermé à l’aide de sutures associées ou non à des lambeaux muqueux ;

• la cicatrisation osseuse. Elle succède à la mise en place du caillot sanguin issu de la phase inflammatoire. Celui-ci va être remplacé par de l’os immature. Les cellules souches recrutées, pluripotentes, vont se différencier en ostéoblastes et sécréter une matrice ostéoïde qui va, par la suite, se minéraliser [1].

Plusieurs éléments qui prolongent la phase inflammatoire peuvent ralentir, voire empêcher, le déroulement des étapes suivantes [2]. Ils sont de plusieurs types : pathologies tumorales infectieuses, matériaux iatrogènes, débris dentaires introduits dans l’alvéole au cours de l’avulsion, fragments osseux mobiles, sac péricoronaire laissé en place. Tous ces éléments peuvent engendrer une diminution de la vascularisation, qui ralentit l’arrivée des cellules immunitaires et des cellules souches, et, donc, induire localement un retard de cicatrisation.

Les complications biologiques d’un parage alvéolaire incomplet sont de deux sortes :

• immédiates (alvéolite sèche, alvéolite suppurée) ;

• différées (ostéite chronique, kyste résiduel).

L’inflammation chronique aurait de plus un effet ostéolytique qui peut compliquer les thérapeutiques de restauration de l’édentement postalvulsionnel.

Mise en œuvre

Tout comme l’avulsion, le parage alvéolaire peut poser des difficultés et doit donc être bien préparé. Cela passe d’abord par une bonne analyse clinique et radiologique de la situation.

L’examen clinique consiste en l’observation minutieuse du site opératoire et la palpation des tables osseuses vestibulaire et palatine ou linguale à la recherche d’une zone dépressible, marquant une lyse de la corticale osseuse. La question à se poser est alors la suivante : un abord alvéolaire crestal sera-t-il suffisant pour éliminer les tissus pathologiques dans leur ensemble ?

L’examen radiologique comporte au minimum une imagerie en 2 dimensions de bonne qualité qui montre la dent et une ou plusieurs éventuelles lésions dans leur ensemble, mais également les éléments anatomiques de proximité à éviter : nerf alvéolaire inférieur, sinus maxillaire, fosses nasales. C’est aussi une obligation médico-légale. L’examen de référence est donc l’orthopantomogramme mais, pour une situation simple, un cliché rétroalvéolaire peut être suffisant. Pour toute situation complexe, le rapport bénéfice/risque d’un examen tridimensionnel doit être évalué. L’examen de choix est le CBCT (Cone Beam Computed Tomography) qui apporte des informations précises sur l’extension d’une lésion et sur ses rapports avec les tissus adjacents [2].

Comme dans toute chirurgie, la vision est un élément essentiel qui permet à l’opérateur de contrôler son geste et de s’assurer d’un résultat macroscopiquement satisfaisant. Aussi, il convient d’employer un éclairage adapté, avec si besoin l’usage d’aides visuelles (loupes, voire microscope). Pour les lésions d’étendue importante, le décollement d’un lambeau muco-périosté va permettre un contrôle visuel direct des limites d’exérèse de la lésion. Le praticien aura ainsi un contrôle macroscopique du site opératoire et de l’efficacité du parage.

Cette procédure d’optimisation du parage alvéolaire est illustrée par les deux cas cliniques suivants.

Cas n° 1

Une patiente présente une fracture radiculaire transversale de la 27 depuis plusieurs semaines et se plaint de douleurs chroniques indiquant l’avulsion de cette dent.

L’examen clinique ne révèle aucun signe d’extension d’une lésion inflammatoire hors de l’alvéole (absence de tuméfaction vestibulaire ou palatine, absence de fistule). Le sondage en distal de cette dent est punctiforme à 7 mm (fig. 2).

Sur le cliché rétroalvéolaire, la lésion semble être principalement interradiculaire (fig. 3). On peut remarquer la proximité du sinus maxillaire sus-jacent.

L’avulsion est réalisée sous anesthésie locale (articaïne à 1/200 000).

Une partie du tissu de granulation est éliminée d’emblée car adhérant à la dent elle-même (fig. 4).

Le reste de l’alvéole est nettoyé à la curette jusqu’à l’obtention d’un contact osseux sur chaque paroi (fig. 5). Apicalement, on prend soin de ne pas forcer pour éviter de provoquer une communication avec le sinus maxillaire. L’alvéole est ensuite rincée au sérum physiologique, ce qui va diminuer la charge bactérienne postopératoire [4].

L’obtention d’un caillot de bonne qualité (fig. 6) dans une alvéole propre est contrôlée visuellement en fin d’intervention. Cela permet une bonne cicatrisation du site opératoire en 3 mois (fig. 7 et 8).

Cas n° 2

Une patiente présente une douleur persistante sur la 11 ainsi qu’une mobilité II selon la classification de Muhlemann. Cette dent a été traitée sur le plan endodontique il y a plusieurs années. À la suite d’une parodontite apicale aiguë, une chirurgie endodontique par voie rétrograde a été entreprise. Mais on observe, sur la radiographie rétroalvéolaire, une lésion périradiculaire d’origine endodontique persistante (fig. 9). À l’examen endobuccal, la palpation vestibulaire révèle une voussure dépressible au niveau apical qui signe une lyse de la corticale (fig. 10).

L’intervention est réalisée sous anesthésie locale (articaïne à 1/200 000).

Une intervention permettant de visualiser ce site est alors décidée, à l’aide d’un lambeau vestibulaire de pleine épaisseur. Une incision principale est pratiquée de la papille mésiale de la 21 à la papille mésiale de la 13. À ce niveau, une incision secondaire verticale est réalisée. De la sorte, le site opératoire est bien visible (fig. 11). La lésion kystique est alors délicatement disséquée de manière à préserver le plus possible la corticale osseuse vestibulaire jusqu’à retrouver un contact osseux.

La dent est alors retirée là encore délicatement au davier de manière à préserver la table osseuse vestibulaire résiduelle au maximum (fig. 12).

Puis le parage alvéolaire est effectué à l’aide d’une curette jusqu’à avoir un contact osseux franc. Un rinçage de l’alvéole au sérum physiologique est réalisé. Le site opératoire est alors envahi d’un caillot sanguin abondant, illustrant bien le caractère inflammatoire de la lésion réséquée. Une éponge collagénique permet, en fin d’intervention, d’éviter l’invagination de la muqueuse dans le défaut osseux et de stabiliser le caillot sanguin (fig. 13).

Le lambeau est finalement suturé par des points simples (fig. 14).

Conclusion

Le parage alvéolaire est un temps indispensable faisant partie intégrante de toute procédure avulsionnelle. Il ne doit pas être négligé car il permet d’éviter les complications infectieuses et douloureuses, qu’elles soient immédiates ou différées. Il favorise la bonne cicatrisation de l’alvéole déshabitée et, par conséquent, les thérapeutiques de restauration de l’édentement consécutif, en particulier implantaires.

Bibliographie

  • [1] Amler MH. The time sequence of tissue regeneration in human extraction wounds. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1969;27:309-318.
  • [2] Jone D, Glimcher LH, Aliparantis AO. Osteoimmunology at the nexus of arthritis, osteoporosis, cancer, and infection. J Clin Investig 2000;106:R59-R67.
  • [3] Uraba S, Ebihara A, Komatsu K, Ohbayashi N, Okiji T. Ability of cone-beam computed tomography to detect periapical lesions that were not detected by periapical radiography: a retrospective assessment according to tooth group. J Endod 2016;42:1186-1190.
  • [4] Manor Y, Alkasem A, Madinger O, Gaushu G, Greenstein RB. Levels of bacterial contamination in fresh extraction sites after a saline rinse. Int J Oral Maxillofac Implants 2015;3:1362-1368.