ENDODONTIE
Endodontiste
Ancienne AHU en odontologie
conservatrice et endodontie
Ancienne co-directrice du DU EEC
Paris VII
Directrice d’Endosophie, concept de
transmission du savoir en endodontie
À l’heure où les performances technologiques du métier de chirurgien-dentiste ne cessent d’augmenter, pour des patients qui sont, eux, sur le terrain à présenter des signes et des symptômes qu’il faut comprendre et analyser, il est peut-être temps de se rappeler les notions cliniciennes fondatrices de recherche des causes et de bien les ancrer afin de toujours répondre avant tout à la demande du patient, et ensuite d’exploiter de façon plus pertinente les outils d’aujourd’hui.
La compétence en matière de diagnostic est sans doute l’essentiel du métier de chirurgien-dentiste.
Les patients qui viennent consulter attendent une relation de confiance fondée sur les compétences de leur praticien. Cette compétence s’exprime d’abord par la capacité du chirurgien-dentiste à écouter la demande, à analyser et à comprendre le problème, puis à trouver une solution thérapeutique adaptée.
Deux visions d’une même situation s’opposent, celle du patient et celle du praticien :
• les patients se sentent « malades » et il faut les « guérir » ;
• les praticiens diagnostiquent une « pathologie » qu’il faut « traiter » [1]. Les outils techniques d’aujourd’hui sont de plus en plus performants. Qu’il s’agisse du domaine de la radiologie (radiographie numérique et tridimensionnelle) ou de celui de la biologie (utilisation raisonnée de matériaux bioactifs, biocompatibles), les praticiens sont abreuvés de nouvelles techniques, ce qui augmente le niveau de stress puisqu’il s’agit de tout savoir et d’être de plus en plus performants.
Seulement voilà… la technique et la technicité peuvent-elles remplacer le sens diagnostique, la maîtrise du sens clinique ? Ne s’agit-il pas, au contraire, d’augmenter ses compétences cliniques et diagnostiques afin d’utiliser au mieux les outils techniques actuels en ayant un regard critique, c’est-à-dire en étant capable de choisir la thérapeutique adaptée à son patient et à son propre niveau de compétence ?
Le diagnostic est la « connaissance de l’homme de science combinée à la compétence de l’artisan, mûrie par l’expérience » [2].
Malgré le développement actif et productif de la recherche scientifique en la matière, aujourd’hui, il est impossible de savoir exactement quel est l’état de la pulpe au moment où le patient consulte [3]. Il n’y a pas de corrélation objective entre les signes et les symptômes cliniques rapportés par le patient et le réel état histopathologique de la pulpe [4]. De fait, chaque décision thérapeutique dépend de l’évaluation subjective de l’état pulpaire par le clinicien et de l’accord du patient.
L’évaluation de la pulpe est réalisée essentiellement selon quatre angles.
C’est bien le patient qui donne toutes les clés. C’est pour toute la palette des nuances qu’il sera utile de l’écouter, quand les réponses au test seront floues ou peu probantes ou quand les examens complémentaires n’apporteront pas réellement l’information attendue.
Il revient au praticien de savoir si les symptômes décrits se sont installés de façon aiguë ou s’ils sont là de façon chronique, ou les deux.
Il faut partir du temps présent et de l’écoute des symptômes sans intervenir sur le discours du patient, puis remonter dans le temps pour obtenir l’historique de la symptomatologie :
• une douleur aiguë qui survient pour la première fois indiquerait bien que la pulpe en serait à sa première réaction ;
• une douleur chronique, répétitive, qui augmente dans le temps ou dont les intervalles se raccourcissent, indiquerait que la réaction va vers l’irréversibilité de la pathologie.
L’âge du patient est un facteur à prendre en compte : une pulpe jeune va réagir souvent plus vivement qu’une pulpe âgée, elle sera donc susceptible de bien supporter des traitements de conservation pulpaire mais elle sera plus vulnérable aux attaques bactériennes, chimiques ou physiques [5]. Une pulpe âgée se sera naturellement protégée par les phénomènes de sénescence mais la symptomatologie pulpaire sera moins claire, moins évidente que celle d’une pulpe jeune et son volution plus silencieuse, plus subtile.
Le nombre d’interventions réalisées sur la dent et l’évolution de la symptomatologie au gré du remplacement des restaurations sont à écouter et à noter. Ces étapes donnent une bonne idée de l’historique des réactions pulpaires.
La première étape est donc l’écoute du patient et des symptômes qu’il rapporte car elle permet de s’installer dans la réalité de son cas, de créer la bonne disposition pour l’évaluer.
Tester la pulpe, c’est essayer d’être au plus près de son état histopathologique tout en sachant que l’approche en sera grossière. Dans une vie idéale, le test parfait serait toujours positif en présence de la pathologie et toujours négatif en l’absence de pathologie.
Bien sûr, la réalité est tout autre et certains résultats de test sont des faux positifs, d’autres des faux négatifs [4] (tableau 1). Cela veut dire qu’à lui seul, un test n’est pas nécessairement conclusif. Il n’est pas le seul examen à faire pour évaluer l’état de la pulpe.
Un test ne s’utilise jamais sur une seule dent. Un test n’a de valeur que s’il est utilisé de façon comparative, afin d’étalonner la réponse pulpaire propre au patient. Il doit être pratiqué sur les dents collatérales et controlatérales.
Avant de se focaliser sur la dent désignée par le patient, il faut procéder par élimination et évaluer également la santé des dents collatérales. L’idée est d’élargir le champ de vision pour se focaliser ensuite sur la dent incriminée. Cela évite les erreurs de diagnostic.
Au cabinet, au quotidien, deux tests sont essentiellement pratiqués : le test au froid et le test électrique.
Le test au froid est un test de sensibilité pulpaire. Il s’agit non pas d’évaluer la vitalité mais la sensibilité pulpaire, donc la réponse des nerfs dans la pulpe.
Le test au froid fait mal, il est là pour reproduire la douleur du patient. Il faut le disposer rapidement au milieu de la couronne sur la face vestibulaire de la dent choisie. Une boulette de coton de tétrafluoroéthane adressera à la pulpe la température la plus froide [6].
Une réaction immédiate et qui cède rapidement après la cessation du stimulus ainsi qu’une réponse comparable pour les dents voisines indique que le réseau nerveux pulpaire a une réponse biologique adaptée, que l’on peut qualifier de normale.
Une réponse retardée, corrélée à une image radiologique de pulpe rétractée, et comparable à celle des dents voisines est aussi normale. Il faut penser à observer la radiographie avant de tester les dents.
Une réponse immédiate, prolongée, tout de suite reconnue par le patient indique que la pulpe est suffisamment enflammée pour que la réaction neurogénique soit forte.
Il n’y a pas de difficulté de diagnostic pour une pulpe saine ou pour une pulpe en état d’inflammation irréversible. Là où il est beaucoup plus difficile de statuer, c’est entre les deux.
Le test au froid seul ne suffit pas. La corrélation à l’historique de la douleur est essentielle.
Le test électrique est impopulaire certainement à cause de sa dénomination. Il est évidemment déconseillé de demander à son assistante d’aller chercher le test électrique, en ces termes exacts (on le qualifiera plutôt de “test pulpaire”). Mais il n’est pas déconseillé de s’en procurer un et de l’avoir dans ses tiroirs. Il est en fait très facile à pratiquer et moins douloureux qu’un test au froid.
Dans l’ordre d’efficacité des tests, le plus probant est le test au froid.
Le test électrique reste quand même un bon outil de diagnostic de nécrose pulpaire. Il stimule les fibres A delta du complexe dentino-pulpaire : le courant circule de la surface de la couronne jusqu’à la pulpe par le fluide dentinaire. Une pulpe qui ne répond pas au test électrique indique, dans 90 % des cas, qu’elle est nécrosée [4] (fig. 1 et 2).
Ce test s’utilise très simplement : il s’agit de créer un circuit électrique entre une crosse labiale (identique à celle des localisateurs d’apex) et une sonde plate au bout, appliquée à une hauteur qui pourrait se rapprocher le plus d’une corne pulpaire.
Le courant est paresseux, il prend toujours les chemins les plus courts. Pour éviter les courts-circuits, l’idéal est d’isoler la dent à tester (digue ou, au moins, aspiration et rouleaux de coton salivaire) et de déposer à l’interface sonde/couronne un peu de dentifrice. Ensuite, on allume l’appareil et on observe l’intensité du courant augmenter. Lorsque le patient ressent un chatouillement, on coupe le circuit, la dent est donc encore sensible en profondeur. L’absence totale de réponse, même à forte intensité de courant, est facile à analyser : la pulpe est nécrosée.
C’est la palette de réactions, entre une réaction normale et une absence totale de sensation, qu’il est difficile d’interpréter. Il faut à nouveau se rapporter à l’historique du patient et corréler les examens cliniques et radiologiques entre eux.
L’ensemble de la littérature scientifique décrit ?amplement ces tests. Peu de praticiens les mettent en œuvre : il faut les faire sous champ opératoire, utiliser un bâton de gutta chaude ou de l’eau chaude à bonne température [8].
En fait, il se trouve que le patient fait souvent lui-même son test au chaud. En effet, il relate systématiquement une douleur au chaud, en buvant son café ou son thé… Ces douleurs sont plus remarquables que celles au froid et elles sont le signe d’un début de nécrose.
C’est une des orientations diagnostiques des plus rapides qui soient.
Ces tests ne seront pas détaillés ici car ils ne sont, pour ainsi dire, pas praticables au cabinet. En réalité, il est utile de les évoquer afin de bien faire réfléchir à la notion de vitalité de la pulpe.
Qui dit vivant, dit vascularisé et non innervé. Même si l’ensemble du tissu pulpaire doit être considéré comme un tissu innervé et vascularisé, susceptible d’être modifié par la pathologie inflammatoire, si on veut savoir si une pulpe est vivante, il faut savoir si elle est encore vascularisée [4].
Le réseau vasculaire d’une pulpe est riche, il se développe finement entre artérioles, capillaires, veinules et veines, pour pourvoir à l’espace complet. Mais il est fragile car il occupe un espace limité et que la seule porte d’entrée est le foramen. Un apex fermé, un espace caméral sont autant de facteurs physiques limitant la guérison de la pulpe.
Cela est à méditer en termes de thérapeutique de conservation pulpaire et donc de capacité de la pulpe à guérir, bien plus qu’en termes d’outil diagnostique.
Cliniquement, au quotidien, le praticien n’arrivera pas à faire un diagnostic de l’état de la vascularisation pulpaire. En réalité, ce qui l’intéresse c’est de savoir si la pulpe va pouvoir subir et endurer les thérapeutiques pulpaires qu’il va choisir. Surtout quand une lésion carieuse s’en approche et qu’il va falloir opter entre un coiffage pulpaire, une pulpotomie (il est à noter dans ce cas que toutes les précautions sont encore à prendre pour cette option thérapeutique qui est en cours d’évaluation scientifique) ou un traitement endodontique.
Et pour évaluer cette capacité de la pulpe à bien réagir aux options thérapeutiques envisagées, il faut encore une fois corréler les signes cliniques à l’historique du patient, à son âge, à l’analyse de la radiographie (anatomie pulpaire, volume de la lésion carieuse).
L’analyse du tissu dentinaire et la corrélation à l’état histopathologique pulpaire sont d’apparition récente et viennent compléter la notion de diagnostic pulpaire [9].
On a appris à reconnaître depuis longtemps la couleur que prend le tissu dentinaire qui réagit à l’attaque carieuse mais jamais en essayant d’établir une sorte de cartographie des réactions de la pulpe dans le temps, considérant définitivement que la dentine et la pulpe forment un tandem [10].
L’entité dentino-pulpaire est une entité très fine.
Dès l’apparition d’une lésion carieuse, même confinée à l’émail, la pulpe réagit ; l’odontoblaste, cellule frontière, l’informe. Il sait tout dire à la pulpe et la pulpe sait tout dire à l’odontoblaste. La pénétration d’un agent infectieux va déclencher une réaction pulpaire. L’odontoblaste va se conditionner pour répondre, pour se préparer à réparer ou à se régénérer.
L’idée est :
• d’observer le tissu carieux ;
• d’en déduire l’état de l’activité pathologique dans ce tissu (la carie est-elle active ou est-elle arrêtée ?) ;
• de corréler cela aux modifications histologiques de la pulpe [10].
Il s’agit de s’orienter vers un choix thérapeutique approprié à l’état de la pulpe, qui raconte ce qui s’est passé pour elle au travers de la dentine (fig. 3).
Une lésion carieuse active rapide se traduit par un tissu humide, jaune et lumineux. La pulpe est presque prise de court et n’a pas le temps de réagir, surtout si la lésion est très protégée de l’environnement par une belle coque d’émail par exemple. La lésion va donc avancer très vite et atteindre aussi vite la pulpe.
Une lésion carieuse progressive, quant à elle, donne le temps à la pulpe de répondre et on observe un tissu plus sombre, dans les marrons, de texture plus dure et moins humide.
Ici, précisément, cette lecture est intéressante, la pulpe a bien réagi, elle a eu le temps de se défendre naturellement ; on peut penser qu’elle s’est protégée et que le diagnostic concernant son état de santé est bon.
En cas de lésion arrêtée, le tissu est encore plus dur et plus sec, la pulpe s’est elle-même efficacement protégée (fig. 4 à 6).
Cette étape de lecture de la dentine a lieu au cours du soin, elle rend donc la notion de diagnostic très dynamique. Au fond, lorsque l’on ouvre la chambre d’une dent pour laquelle on a fait un diagnostic de nécrose et que l’on voit qu’il n’y a plus de tissu vivant, on valide le diagnostic préétabli. On a parfois la surprise de constater qu’une partie du tissu est vivante et, si l’on reprend l’historique de la dent, on se rend compte que le patient a déjà exprimé cette sensibilité partielle.
Dans la notion de diagnostic, il y a donc la notion de vérification de son diagnostic afin d’augmenter sa propre finesse clinique ; mais il y a aussi la notion de dynamique du diagnostic qui consiste à lire la dentine avant d’approcher une pulpe, pour valider le diagnostic déjà posé.
L’ensemble des activités de recherche sur la pulpe part avec un sérieux handicap : il est impossible de savoir quel est l’état histopathologique de la pulpe.
Idéalement, il faudrait pouvoir observer la pulpe au travers de la dent ou faire un mini-prélèvement, ou même arriver à absorber les liquides sur une bande de papier, pour ensuite les analyser et guider la thérapeutique de façon précise par l’analyse de la réponse inflammatoire.
Mais si l’on veut réfléchir vraiment à cela, il semble que l’ensemble des voies de signalisation qui conduisent à l’établissement de l’inflammation est si vaste et fait intervenir un tel nombre de facteurs de l’inflammation que ce serait vraiment risqué de vouloir attribuer à un seul facteur le marquage indubitable d’une réaction pulpaire que l’on comprendrait et contrôlerait.
La part du rêve est belle, mais celle de la réalité est tout autre et rien ne pourra remplacer le développement du sens clinique et la capacité de l’omnipraticien à confronter entre eux les différents éléments de réponse à ses questions pour faire une évaluation clinique de la situation.
• Si le seuil est dépassé sans sensibilité particulière pour le patient, il y a plus de 80 % de chances que la pulpe soit nécrosée.
• Si le test doit être refait sur la même dent, respecter un intervalle de temps de deux minutes.
• Protocole clinique [7] :
1. Placer deux rouleaux de coton en vestibulaire et en palatin/lingual de la dent à tester ;
2. Sécher délicatement la surface dentaire ;
3. Le bout de l’électrode est enduit d’un gel isolant ;
4. Disposer la crosse labiale ;
5. Allumer l’appareil, choisir le seuil de sollicitation : faible, moyen, élevé ;
6. Appliquer et observer l’intensité de l’impulsion électrique augmenter ;
7. Couper le circuit dès les premières sensibilités.